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Poutine et Hollande se saluent l’un l’autre à leur rencontre à l’aéroport de Moscou.
Après sa rencontre surprise avec le président français François Hollande à un aéroport de Moscou, Poutine a tenu une conférence de presse improvisée qui dura un peu moins de six minutes.1 De la manière dont il souriait lorsqu'il a répondu à la première question, il était évident, de son point de vue, que la rencontre s'était extrêmement bien déroulé. Et il n'est pas difficile de comprendre pourquoi.

Ayant créé une brèche parmi les alliés de l'OTAN par la négociation d'un marché de gaz majeur avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, Poutine pense qu'il est à présent capable d'enfoncer le clou aux faiseurs de politique va-t-en-guerre à Washington, Londres et Bruxelles du fait que des désaccords majeurs sur la politique envers la Russie existent également au sein de l'Union européenne. En d'autres mots, il voit la visite de Hollande comme une fissure importante dans l'édifice des actions punitives de l'UE contre la Russie.

Il est bon de signaler que des grognements de mécontentement à propos des sanctions étaient présents dans l'UE quasiment depuis le premier jour. Peu de temps après que les sanctions furent imposées comme réaction à l'implication russe supposée dans l'abattage du MH-17, pour lequel, à ce jour, il n'y a pas une once de preuve crédible, le Premier ministre slovaque Robert Fico avertissait que les sanctions contre la Russie « menaceraient » la croissance positive attendue des économies européennes.2

Le jour d'après l'annonce à contre-courant de Fico, le Premier ministre hongrois Viktor Orban fut encore plus explicite. Il a dit que l'Union européenne « se tirait une balle dans le pied » en imposant des sanctions à la Russie3. Étant donné que la Russie est le plus gros partenaire commercial de la Hongrie en dehors l'UE, il est aisé de comprendre son problème. Cependant, Orban ne s'arrêta pas là. Il a également promis de « chercher des partenaires pour changer la politique de sanctions de l'UE ».

Et il les trouva rapidement dans la République Tchèque voisine.

À la fin septembre, le président tchèque Milos Zeman appela également à la levée immédiate des sanctions contre la Russie.4 Il déclara qu'elles ont causé « un effet inverse à celui que ses auteurs espéraient atteindre » et que, à la place, la voie du dialogue et de la coopération avec la Russie doit être poursuivie.

Prenez un instant et observez une carte de l'Europe. Quand vous mettez ensemble la Slovaquie, la Hongrie, la République Tchèque, et maintenant possiblement la France (ajoutez cela l'Autriche et l'Italie, qui ne sont pas si enthousiasmés par les sanctions), vous obtenez un curieux encerclement géopolitique pro-russe du cercle anti-Russie (Roumanie, Pologne et les états baltes). À quoi cela ressemble-t-il sinon à une énorme couche de l'oignon UE que Poutine a déjà pelé ?

Cependant, il est indéniable que l'opposition aux va-t-en-guerre hégémoniques se paie à un prix très élevé. Tant Orban que Zeman sont depuis lors soumis à l'intense pression politique des personnages politiques aux É.-U. et leurs potes de l'UE. Pour exemple, plusieurs jours auparavant, le sénateur républicain John McCain, qui est sur le point de devenir le président du puissant Comité des forces armées du Sénat, a qualifié Orban de « néo-fasciste ».5 Et Zeman fut assailli par des œufs et des tomates à la commémoration célébrant le 20e anniversaire de la Révolution de velours anti-communiste tchèque le mois dernier.6 Jusqu'à présent, ces attaques ont été symboliques, mais qui sait quels genres d'avertissements ont été adressés à Orban et Zeman loin du regard de la foule ? Peu plaisant, j'en suis sûr.

Mais, maintenant que Hollande, le président d'un état constitutif clef de l'UE, a rompu le rideau de fer encore vacillant activement assemblé par la horde des va-t-en-guerre perpétuels, il sera plus facile pour tous les autres d'intervenir et disculper les opposants initiaux aux sanctions. Le résultat net est que la Russie ne se sera pas isolée. Elle ne subira pas le destin de la Serbie de Milosevic (inflation galopante et désintégration politique) prévu pour elle par les russophobes agressifs néo-conservateurs.

Ce message politique est aussi très important pour Poutine pour des raisons intérieures. Et c'est peut-être cet aspect qui le rendait si joyeux après sa rencontre avec Hollande. Cela remontait seulement à quelques jours lors de son discours à l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie qu'il insistait sur le fait que la Russie poursuivait la seule voie possible quant à l'agitation politique en Ukraine. Que les intérêts nationaux vitaux de la Russie requéraient qu'elle incorpore la Crimée et Sébastopol, et que la communauté internationale viendrait éventuellement à reconnaître ces actions comme légitimes. En d'autres termes, le prix terrifiant que les Russes ordinaires payent en ce moment du point de vue de la chute du niveau de vie ne sera que temporaire et que c'est, par conséquent, un prix qui en vaut la peine.

Alors que la majorité des citoyens russes peuvent approuver Poutine, les va-t-en-guerre ont encore beaucoup de coups dans leurs manches. Et « pas mal de chemin à parcourir avant qu'ils ne dorment (finalement) ».

Notes :

1 vk.com
2 reuters.com
3 reuters.com
4 radio.cz
5 defensenews.com; nationalinterest.org
6 bbc.com

À propos de l'auteur
Filip Kovacevic, Dr, est un auteur géopolitique, professeur d'université et le président du Mouvement pour la Neutralité du Monténégro. Il peut être contacté via cette adresse courriel : fk1917@yahoo.com