Charles de Gaulles


De nos jours, la plupart des gouvernements de la planète invoquent « la crise » -que leur politique de cadeaux fiscaux aux plus riches a délibérément provoquée- pour « justifier » le démantèlement social qui a toujours été un objectif en soi du néolibéralisme, puisqu'il vise à mettre en concurrence les salariés des pays riches avec ceux des pays pauvres pour le plus grand profit des exploiteurs.


Il est particulièrement intéressant de revenir sur la situation de la France telle que la trouvée Charles de Gaulle à son retour au pouvoir, en mai 1958, et d'observer les mesures qu'il a prises pour y remédier, telles qu'elles sont décrites dans ses Mémoires d'espoir.

Cela permet d'apprécier toute la différence entre un homme d'État au service de l'intérêt général et l'un de nos quelconques politiciens vendus aux banquiers et aux multinationales.
« A peine suis-je à Matignon qu'Antoine Pinay m'en fait le tableau [la situation de la France]. Sur tous les postes à la fois nous sommes au bord du désastre. Le budget de 1958 va présenter un découvert d'au moins mille deux cents milliards de francs [Il s'agit d'anciens francs français. 100 anciens francs valaient 1 nouveau franc. Les anciens francs étaient donc des centimes]. Notre dette extérieure dépasse trois milliards de dollars, dont, pour la moitié, le remboursement est exigible avant un an. Dans notre balance commerciale, les rentrées atteignent à peine 75 pour 100 des sorties, malgré la dévaluation de fait, dite « opération 20 pour 100 », que le gouvernement Félix Gaillard a réalisée en 1957. Comme réserves, nous n'avons plus, le 1er juin, que l'équivalent de six cents trente millions de dollars en or et en devises, soit la valeur de cinq semaines d'importations, et toutes les ressources extérieures de crédit, auxquelles le régime précédent avait puisé sans relâche, sont maintenant complètement taries. Il ne reste rien des dernières possibilités d'emprunt -soit environ cinq cents millions de dollars- qui ont été à grand-peine accordées au début de l'année, tant par le Fonds monétaire international que par les banques américaines, à l'implorante mission de Jean Monnet. Quant à l'activité économique, qui était longtemps demeurée vive, quoique toujours désordonnée, elle marque un ralentissement de plus en plus accentué à cause des restrictions que, sous peine d'effondrement, il a fallu imposer à nos achats extérieurs. Enfin, les engagements qui ont été pris sur le plan européen et mondial de procéder avant la fin de 1958 à une certaine libéralisation de nos échanges, pour que la France soit placée, comme les autres pays développés, dans un début de compétition, ne peuvent pas être tenus. On ne voit pas non plus comment le seraient ceux qui résultent du traité de Rome et qui comportent, pour le jour de l'an 1959, un premier abaissement des douanes entre les six États membres du Marché commun. En somme, l'alternative, c'est le miracle ou la faillite ».
On relèvera que la situation décrite par Charles de Gaulle est bien plus grave que celle de la quasi-totalité des pays dont les gouvernements actuels tirent prétexte pour imposer à la population leur « politique d'austérité », puisque la France n'était même plus en mesure d'emprunter sur les marchés financiers internationaux.

Qu'a donc fait Charles de Gaulle pour redresser la barre d'un pays en perdition -et de surcroît en pleine guerre civile algérienne, avec toutes les dépenses militaires que cela impliquait ? A-t-il sabré dans les prestations sociales ? A-t-il multiplié les cadeaux fiscaux aux plus riches, sous prétexte de créer ou sauver des emplois ?
« La première chose à faire, et qui est d'extrême urgence, consiste à procurer de l'argent aux caisses du Trésor, afin de pourvoir aux dépenses de l'État autrement qu'en actionnant la presse à billet de banque. Je suis d'accord avec Antoine Pinay pour lancer tout de suite un emprunt [national] qui, par le fait que de Gaulle est là et que c'est lui qui décide de l'ouvrir, prend l'allure d'une grande entreprise nationale. [A la suite de cet emprunt] 324 milliards, dont 293 « d'argent frais », ont été apportés aux guichets. En outre, 150 tonnes d'or, équivalentes à 170 millions de dollars, sont revenues à la Banque de France, soit presque autant qu'en 1945 et cinq fois plus qu'en 1952. Le soulagement qui en résulte dans le règlement des dépenses publiques et dans les échanges extérieurs est notable et immédiat. On constate, littéralement du jour au lendemain, un premier mouvement de rentrée des capitaux qui avaient fui et, par là, une tendance sensible vers le retour à l'équilibre de notre balance des paiements. [...]

Dans les derniers jours de juillet, mon gouvernement prend une série de décisions dont le moins qu'on puisse dire est que, pour le salut commun, elles vont à l'encontre de tous les intérêts particuliers.

C'est ainsi que les majorations des traitements et des salaires, qui devaient intervenir précisément à ce moment-là dans la fonction et les services publics, sont reportées aux années futures. C'est ainsi qu'on fera de même pour l'augmentation des prix des produits agricoles, bien qu'une loi de 1957 ait prescrit leur indexation sur l'indice général ; par exemple, le quintal de blé sera vendu 113 francs de moins que l'escomptaient les agriculteurs. C'est ainsi que des baisses importantes sont imposes aux prix de vente du commerce. C'est ainsi qu'un supplément de taxes d'une cinquantaine de milliards est mis sur les sociétés et les biens de luxe. C'est ainsi que l'essence est payée plus cher. C'est ainsi que les crédits alloués à beaucoup de constructions et de travaux d'équipement sont réduits ou suspendus. De cette façon, les dépenses prévues dans le budget de l'année en cours subissent une diminution d'environ six cents milliards, la consommation intérieure est restreinte au profit des exportations, la montée des prix, qui avait atteint plus de 1 pour 100 par mois pour chacun des six premiers de 1958, sera trois fois moindre pour chacun des six derniers. Au total, l'inflation recule et, sans que la production éprouve de nouvelles atteintes, on voit apparaître les signes de la stabilisation. [...]

Il est vrai qu'en conséquence, quelque inquiétude surgit au sujet du plein emploi. Le nombre des chômeurs secourus s'élève de 19000 à 36000 et la durée hebdomadaire du travail s'abaisse en moyenne d'une demi-heure. Mais dans l'ambiance de détente sociale qui coïncide avec la relâche politique, le gouvernement obtient que les entreprises s'imposent une contribution permanente égale à 1 pour 100 des rémunérations, que les syndicats acceptent d'en gérer l'utilisation concurremment avec le patronat et que soit créé un « Fonds commun de salaires garantis » qui, quoi qu'il arrive, assure aux travailleurs une rémunération de base et organise le reclassement de ceux qui perdraient leur emploi. [...] »
A la demande de Charles de Gaulle, une commission présidée par Jacques Rueff est formée en vue d'établir un plan d'ensemble pour le redressement de la France.
« Le plan comporte, en effet, trois éléments essentiels, liés entre eux et qui sont de nature à changer de fond en comble l'activité économique et la politique financière françaises. Le premier est l'arrêt effectif de l'inflation ; celle-ci n'étant qu'une drogue qui par des phases alternées d'agitation et d'euphorie mène la société à la mort. On va s'en guérir, d'abord en comprimant les dépenses et en augmentant les recettes de l'État pour que le découvert des budgets, à commencer par celui de 1959, ne donne plus lieu à la création de moyens de paiement artificiels, ensuite en réduisant momentanément la consommation interne afin qu'une part excessive du revenu national ne soit pas ainsi dévorée, qu'au contraire s'accroisse l'épargne, mère des investissements, et que la production se tourne vers l'exportation. Un rude ensemble de dispositions est proposé dans ce sens : limitation à 4 pour 100 ne varietur de la majoration des traitements et salaires publics, réduction des subventions que l'État verse aux entreprises nationalisées et à la Sécurité sociale pour combler leur déficit et de celles qu'il accorde à des produits de consommation, non-paiement en 1959 de la retraite des anciens combattants valides [cette mesure ne privait pas les anciens combattants valides de leur retraite civile]. En même temps, nouvelle augmentation des impôts sur les sociétés et sur les gros revenus, taxation plus forte du vin, de l'alcool, du tabac, accroissement des tarifs de 15 pour 100 pour le gaz, l'électricité, les transports, de 10 pour 100 pour le charbon, de 16 pour 100 pour la poste. Par contre et afin que ce surcroît de charges épargne, autant que possible, les ressources des plus modestes, supplément de 4 pour 100 au salaire minimum garanti, majoration de 10 pour 100 des allocations familiales dans un délai de six mois, versement de 5200 francs ajouté immédiatement à la retraite des gens âgés ». [...]
Aux mesures qui précèdent se sont ajoutées une dévaluation du franc français de 17,5 % et sa libre conversion en n'importe quelle autre devise, ainsi que la création du franc nouveau. Par ailleurs, sur le plan commercial, dès le 1er janvier 1959, 90 % des produits ont pu être échangés avec les pays de l'Europe et 50 % avec les pays de la zone dollar, ce qui mettait fin à une politique protectionniste datant d'un siècle.

On constate que, malgré la situation catastrophique qu'il a trouvée en arrivant au pouvoir, à aucun moment Charles de Gaulle n'a envisagé de s'en prendre aux plus démunis ni de favoriser le dumping salarial. Bien au contraire, il a massivement taxé les riches et les produits de luxe. Mieux, il a augmenté le revenu des plus démunis, en sorte de compenser certaines hausses de prix.

La politique d'intérêt général de Charles de Gaulle s'est traduite par un redressement prodigieux sur tous les plans. A peine quelques années plus tard, la France avait remboursé toutes ses dettes et c'est à elle qu'on empruntait, de grands travaux étaient entrepris - autoroutes, construction de logements par centaines de milliers, etc.-, les revenus se sont mis à augmenter systématiquement en proportion de l'augmentation du PIB, et la France a connu, sous la présidence de Charles de Gaulle, une période de prospérité jamais vue auparavant et jamais vue depuis.

Ajoutons que Charles de Gaulle était un homme aux idées sociales très progressistes. Non seulement il voulait que les salaires augmentent en proportion de l'amélioration du PIB de la France, mais il voulait que les salariés aient leur mot à dire dans la marche des entreprises et qu'ils obtiennent une part des bénéfices. Même de nos jours, les syndicats ne revendiquent pas cela.