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Depuis le troisième vote du Parlement hellénique pour le candidat proposé par le parti Nouvelle Démocratie, Stavros Dimas, qui a eu lieu lundi 29 décembre 2014, le parti de la gauche radicale grecque, Syriza a beaucoup fait parler de lui. En effet, comme le prévoit la Constitution, le Parlement n'ayant pas réussi à investir le candidat proposé, des élections législatives seront organisées le 25 janvier 2015. Les deux partis de gouvernement, Nouvelle Démocratie et Pasok sont minés par les politiques d'austérité appliquées depuis quatre ans dans le pays. Dans les sondages, Syriza est, quant à lui, crédité d'environ 30% des intentions de vote.

Réactions européennes

Le 5 janvier 2015, le quotidien Libération titrait "Europe du Sud. Le printemps de la gauche rouge". Le 4 janvier 2015, Angela Merkel déclarait qu'une sortie de la Grèce de la zone euro pourrait être "supportable" et le Spiegel annonçait que "le gouvernement allemand juge quasiment inévitable une sortie de la zone euro, si le chef de l'opposition Alexis Tsipras dirige le gouvernement après les élections, abandonne la ligne de rigueur budgétaire et ne rembourse plus les dettes du pays".

Dans un article du 30 décembre 2014 de Guillaume Stoll sur le site de l'Obs, on peut lire au sujet de Syriza les propos dogmatiques suivants: "Ce mouvement politique, qui a prospéré en 2008 lors de la grave crise économique qui a touché le pays et menacé d'emporter avec elle toute l'Europe, promet en cas de victoire de revenir sur de nombreuses mesures d'austérité imposées ces dernières années à la Grèce. Pire, le parti extrémiste menace de ne pas rembourser ce que doit le pays à ses créanciers."

Les représentants de la troïka, quant à eux, n'hésitent pas à s'exprimer sur le "bon" choix à faire aux prochaines élections. Pierre Moscovici s'est ainsi positionné: "Un engagement fort envers l'Europe et un large soutien de la part des électeurs et des dirigeants politiques grecs envers le nécessaire processus de réformes favorables à la croissance sont essentiels pour que la Grèce prospère à nouveau au sein de la zone euro."

Au soir du premier tour pour la désignation du Président, Jean-Claude Juncker a, lui, été plus direct: "J'aimerais que la Grèce soit gouvernée par des gens qui aient un regard et un cœur pour les pauvres gens en Grèce mais aussi qui comprennent la nécessité des processus européens [...] Ma préférence serait de revoir des visages familiers en janvier." En Grèce, Samaras n'a pas hésité à brandir le spectre d'une sortie de la zone euro et d'un arrêt du versement des pensions de retraite ainsi que des salaires si Syriza arrivait au pouvoir.

Depuis plusieurs semaines, une véritable psychose, antidémocratique, s'est donc abattue sur les médias grecs et européens à l'approche des élections attendues le 25 janvier prochain. Alors pourquoi ces élections font-elles couler autant d'encre? Comment le vote du 29 décembre dernier a-t-il pu faire chuter de 10% la bourse d'Athènes? La tranche d'aide du FMI suspendue, la bataille électorale entamée, nous sommes beaucoup à nous demander pourquoi Syriza fait peur aux élites bien-pensantes de Bruxelles et à certains dirigeants européens. Que représente donc ce parti pour, à la fois, effrayer et susciter tant d'espoir en Europe ?

Origine et électorat de Syriza

Avant de devenir un parti en juillet 2013, Syriza était une coalition de différentes formations. Constituée officiellement en 2004, elle était formée de Synaspismos (Coalition de la Gauche et ancien parti d'Alexis Tsipras issu d'une scission avec le Parti communiste grec), de l'Organisation Communiste de Grèce (organisation maoïste) et de la Gauche Communiste Écologiste et Rénovatrice. La coalition obtient des résultats modestes en 2004 mais symbolise une nouvelle radicalité dans un paysage électoral national fortement marqué à gauche par le parti communiste grec, d'influence stalinienne. En effet, Synaspismos est issu du Parti communiste de l'intérieur à l'orientation eurocommuniste. Dans la mouvance de cette tendance qui a su s'ouvrir aux mouvements sociaux, Syriza dialogue, collabore et soutient des formes de radicalité autres: mouvements féministes, altermondialistes, antiracistes. Dans le même temps, elle demeure implantée dans les mouvements syndicaux. Les élections de 2012 ainsi que les évolutions organisationnelles ont contribué à changer son électorat. Néanmoins, le vote pour Syriza repose, pour Stathis Kouvelakis1, sur un vote de classe du salariat dans les grands centres urbains de Grèce ; il est très bien implanté chez les jeunes et dans les couches intellectuelles.

Le parti revendique aujourd'hui plus de 40 000 militants.

L'engagement de Syriza auprès du peuple grec

Quel est le pays où...

- la dette d'État passe de 115% du PIB avant l'application des "plans d'aide" à plus de 175% aujourd'hui?
- la diminution du budget du Ministère de la Santé dépasse les 48% depuis 2009 et où plus d'un quart de la population n'a plus de couverture sociale?
- la franchise médicale sur les médicaments a été augmentée de 70% depuis 2009?
- le droit du travail est démantelé et les politiques éducatives, sociales et sanitaires sont drastiquement réduites?
- le taux de chômage est passé de 9% en 2009 à plus de 25% en 2014 (et 50,6% pour les 15-24 ans)?
- les inégalités augmentent, les taxes explosent, les salaires et retraites s'effondrent? Et où beaucoup de citoyens, petits propriétaires, sont au bord de l'expropriation et du désespoir?

La liste noire pourrait encore se poursuivre. Exsangue, la Grèce de 2015 est divisée politiquement, socialement, économiquement. Alors, concrètement quel est l'engagement de Syriza auprès du peuple grec?
"Aujourd'hui Syriza a apporté des réponses. Réalistes et subversives à la fois. Nous n'avons pas formulé des suppositions. Nous avons pris des engagements. Nous n'avons pas partagé des promesses. Nous avons départagé des responsabilités. Car nous nous engageons sur un sentier ardu. Le gouvernement de Syriza ne trouvera pas seulement sur son chemin une terre brûlée. Mais un pays divisé et disloqué, politiquement, socialement et économiquement. Notre responsabilité: le sauver et le ramener vers le redressement, la démocratie, la justice sociale."

Discours d'Alexis Tsipras à l'exposition de Thessalonique le 13 septembre 2014
Lors de l'exposition commerciale internationale annuelle de Thessalonique, le 13 septembre dernier, Alexis Tsipras avait présenté les différentes mesures du programme de Syriza qui seront appliquées dès son arrivée au pouvoir. Il s'agit de 27 propositions thématiques qui s'articulent autour de quatre grands thèmes: la réaction face à la crise humanitaire, le redémarrage de l'économie réelle, la reconquête de l'emploi avec des garanties d'un droit du travail consolidé et la refonte citoyenne des pouvoirs de l'État. Le coût de ces mesures est estimé à 11.3 milliards d'euros et devrait être financé par le budget de l'Etat.

Voici de manière détaillée les points principaux des quatre piliers :

Réaction face à la crise humanitaire :

- Fourniture d'électricité gratuite à 300 000 foyers vivant sous le seuil de pauvreté

- Subvention alimentaire à 300 000 foyers vivant sous le seuil de pauvreté grâce à une mobilisation de l'État et des acteurs militants et sociaux

- Des soins médicaux et pharmaceutiques accessibles à l'ensemble de la population et la gratuité pour les plus défavorisés

- Garantie du logement pour environ 30 000 familles grâce à la cession de logements inoccupés et petite subvention au loyer

- Paiement d'un 13ème mois aux retraités et pensionnés dont la retraite ou la pension est inférieure à 700 euros

- Gratuité des transports publics pour les personnes vivant sous le seuil de pauvreté

- Baisse de la taxe sur le fuel de chauffage au niveau antérieur à l'application du mémorandum

Le coût annuel de ces mesures est estimé à 2 milliards d'euros.

Relance de l'économie réelle :

- Mesures favorisant le recouvrement des prélèvements obligatoires en direction des PME, des indépendants et des foyers en difficulté afin de soulager les citoyens et de créer des recettes réelles

- Suppression de la nouvelle loi d'imposition du patrimoine immobilier (ENFIA) qui vise les petits propriétaires sans tenir compte de leurs revenus et instauration d'un impôt progressif sur la fortune immobilière

- Affranchissement fiscal pour les revenus des personnes physiques à hauteur de 12 000 euros

- Règlement global de la dette privée envers les banques, la sécurité sociale et le Trésor Public: il s'agit de plafonner les versements des mensualités à un tiers des revenus de l'endetté avec la possibilité de l'effacement de la dette pour les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté

- Possibilité de fondation d'une banque de développement

- Rétablissement du salaire minimum au niveau d'avant mémorandum

L'ensemble de ces mesures est estimé à 6,5 milliards d'euros.

La reconquête de l'emploi et la restauration du droit du travail :

- Rétablissement de la législation du travail: prorogation de la durée d'application des conventions collectives, restauration des procédures d'arbitrage social, interdiction des licenciements collectifs...

- Projet de création de 300 000 emplois dans les secteurs public, privé et dans l'économie solidaire avec des dispositifs spécifiques concernant l'embauche des chômeurs

- Extension du nombre de bénéficiaires de l'allocation chômage ainsi que sa durée (financé par un programme de création d'emplois)

Refonte citoyenne de l'État et de ses institutions :

- Réforme de la structure de gouvernance locale par une autonomie administrative et financière accrue, plus d'efficacité dans l'action et par un renforcement de la démocratie participative

- Renforcement du rôle législatif et de contrôle du Parlement, diminution de l'indemnité parlementaire et ministérielle. Introduction d'institutions de démocratie directe.

- Refonder la carte des médias d'information: réouverture d'ERT et encadrement des médias d'information privés

Syriza : parti de gauche sur la voie de la social-démocratie ?

L'ensemble de ces propositions doit permettre d'accompagner et d'illustrer le concept de "restructuration de la production" afin de sortir de la crise. Au premier congrès fondateur de juillet 2013, le projet dans lequel s'inscrit le programme de Syriza a été défini dans les termes suivants: "le socialisme dans la démocratie et la liberté", "le monde où l'humain et ses besoins sont au-dessus des profits et où le profit ne sera plus la force motrice de l'économie, le monde "où les travailleurs sont en position de planifier, de diriger et de protéger par leurs organes démocratiquement élus la production en l'orientant vers la satisfaction des besoins sociaux".

Au fur et à mesure que se rapproche l'échéance des élections et la perspective de devoir constituer un gouvernement de coalition, on peut noter une modération de la ligne tenue par le parti. Si Alexis Tsipras déclarait en 2012 qu'il souhaitait une abrogation des mémorandums ainsi qu'une annulation de la dette, cette position a évolué. Désormais, les dirigeants évoquent un rééchelonnement de la dette, l'annulation d'une importante partie de la valeur nominale de la dette ainsi que l'introduction d'une "clause de croissance", d'une indexation des remboursements sur la croissance réelle du pays ainsi que d'un moratoire sur les intérêts. De plus, Syriza demande, la convocation d'une conférence, qui serait similaire à celle de Londres en 1953, pour annuler la majeure partie du montant nominal de la dette grecque.

Dès le congrès fondateur du parti en 2013, des divisions internes sont apparues entre l'aile majoritaire et la plate-forme de gauche qui regroupait des organisations à tendance trotskyste.

Celles-ci concernaient l'adoption d'amendements sur les points suivants : l'annulation totale de la dette grecque et des accords de prêts, la nationalisation de tout le système bancaire et des secteurs stratégiques de l'économie, la formation d'un gouvernement de gauche et d'un front uni des partis de gauche et enfin la rupture avec l'euro et l'UE. Ces amendements ont finalement été rejetés par le Congrès.

Renégocier la dette et les mémorandums, mettre en place un plan d'investissement public, restaurer et renforcer l'État providence afin de permettre une reconstruction productive, environnementale et sociale pour retrouver la croissance et la dignité : les points forts du programme ressemblent fortement aux vieilles propositions keynésiennes. En effet, Syriza propose de réaliser l'ensemble de ces mesures grâce au plan global de relance de l'économie (sorte de New Deal où les investissements publics seraient financés par la Banque Européenne de Développement où la Banque Centrale Européenne pourrait racheter directement des obligations aux États membres), à un plan d'action destiné à lutter contre les pratiques d'évasion fiscale actuelles ainsi que grâce à la réaffectation des ressources issues de programmes européens et du fonds de stabilité financière.

De la même manière, le Pasok avait mené une politique d'inspiration keynésienne lors de son arrivée au pouvoir en 1981 en optant pour une redistribution en faveur des classes populaires. Voulant ménager la chèvre et le chou en prônant tantôt une intervention massive de l'État, tantôt l'application de politiques d'austérité pour préserver les intérêts de certains monopoles ou élites: le Pasok n'a pourtant pas pu se relever depuis 2009 et sa gestion désastreuse des finances publiques.

Alors Syriza pourrait-il devenir le nouveau Pasok? Il est impossible de répondre maintenant à cette question; cela dépendra des résultats des prochaines élections ainsi que des alliances que devra nouer le parti pour former un gouvernement.

Il est, néanmoins, certain que, tout comme le Pasok, la vision du socialisme du parti ne repose pas sur une stratégie de lutte dirigée par la classe ouvrière. Le programme évoque plutôt "une voie alternative de salut social, de reconstruction sociale, productive et environnementale au bénéfice de la grande majorité sociale" et les mesures proposées s'inscrivent dans un cadre réformiste radical.

Syriza n'évoque donc pas de mobilisations massives de travailleurs ou de la classe ouvrière contre la résistance prévisible de la classe bourgeoise. Le parti présente plutôt un système capitaliste réformable par l'accès au pouvoir grâce à une plus grande justice sociale, à des valeurs humanistes et à la restauration de l'Etat-providence. Si le Pasok parlait de "troisième voie vers le socialisme" en 1981, Syriza parle aujourd'hui de "socialisme du 21ème siècle".

Dans un entretien accordé à la Tribune le 29 juin 2012 au lendemain des élections législatives, Georges Stathakis définit de la manière suivante l'action visée par Syriza : "Les Grecs manifesteront peut-être. Mais à Syriza, nous allons mener la bataille par notre travail d'opposition au parlement, sans appeler les gens à aller dans la rue."

Il serait donc préférable de ne pas trop s'alarmer face à la possible arrivée d'une gauche qu'on définit abusivement comme radicale. Syriza n'a jamais voulu la sortie de l'euro et se définit comme un parti tourné vers l'Union européenne. Ce qui dérange et effraie c'est l'apparition d'une nouvelle gauche européenne qui critique les orientations économiques et politiques prises par Bruxelles. Une nouvelle gauche qui propose une alternative au modèle d'inspiration néolibérale qui prévaut dans les sociétés d'Europe occidentale et qui tente de trouver sa propre voie en s'éloignant du marxisme, en se rapprochant parfois du keynésianisme en essayant de déconstruire le capitalisme pour ensuite le dépasser. Une nouvelle gauche qui se veut subversive, comme on peut le lire à plusieurs reprises dans le programme, et qui n'utilise plus le terme de "lutte des classes".

Plus qu'un programme révolutionnaire et radical, c'est l'existence même de ces voies alternatives qui s'institutionnalisent et mettent en mot l'indignation, la colère et la contestation des citoyens européens qui fait peur à la bien-pensance européenne. C'est la possibilité de voir apparaître une critique massive aux politiques néolibérales appliquées partout en Europe qui effraie.

D'ailleurs, on pourrait même objecter que réfléchir à la construction d'une autre Europe, à la refondation d'une idéologie de gauche, ou d'un "imaginaire social" selon le sens accordé par Cornelius Castoriadis, est aujourd'hui prématuré. Concrètement, l'action politique de Syriza devra d'abord viser à soulager le peuple grec et à agir face à la crise humanitaire qui touche aujourd'hui le pays en rompant la chaîne de l'austérité.