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Nous aurions pu nous contenter de "rafraîchir" notre texte du 23 janvier 2015 où il était largement question de Russia Today (RT)... Mais non. La nouvelle mérite sans aucun doute une autre approche, parce qu'elle relève d'un autre thème, sinon d'un autre domaine que ceux qui étaient abordés dans le texte référencé. Cette fois, il n'est plus question de tresser des couronnes à RT mais, au contraire, de le classer parmi les plus graves "menaces" qui pèsent sur les États-Unis ou, dans tous les cas, sur les autorités dirigeantes des États-Unis. En un mot, RT est une menace (mais le mot employé estchallenge, ou "défi") aussi "terrible" que ISIS ou Boko Haram.

Il s'agit d'une déclaration de Andrew Lack, nouveau directeur du BBG (US Broadcastings Board of Governors), dans le cadre d'une interview du New York Times. RT cite ce passage de l'interview de Lack, dans un texte du 23 janvier 2015, citant également une réaction indignée de sa rédactrice-en-chef et directrice, Margarita Simonyan.
« Lack, premier directeur général de la BBG, a parlé de RT dans une interview du New-York Times. "Nous sommes confrontés à un certain nombre de défis venant d'entités comme RT qui donne son point de vue, l'État islamique dans le Moyen-Orient et des groupes comme Boko Haram", a t-il dit. "Mais je crois fermement que cette agence a un rôle à jouer pour faire face à ces défis." »

« RT ne s' attendait pas à se trouver sur une liste comprenant les deux groupes terroristes les plus dangereuses du moment et demande une clarification du propos. « Nous sommes vraiment indignés que le nouveau chef de la BBG mentionne RT et dans la foulée l'armée terroriste n° 1 dans le monde », a déclaré Margarita Simonyan, rédacteur en chef de RT. "Nous considérons que cela est un scandale d'ampleur internationale et exigeons une explication." »
L'article de RT rappelle que ce n'est pas la première fois qu'il est l'objet d'attaques officielles du gouvernement US, notamment du prédécesseur de Lack et de John Kerry soi-même. (Pour ce dernier, voir le 26 avril 2014.) Ces diverses occurrences sont les signes de la panique qui habite les dirigeants US devant le succès de RT qui dépasse, y compris aux USA, la plupart des grands médias d'information télévisée et multimédias. (Voir le 23 décembre 2015.)
« Ce n' est pas la première fois que le BBG, un organisme bipartite qui supervise les médias parrainés par le gouvernement, et destiné à un public international, parle de RT comme d' un défi. « Mettons sur pied un plan pour savoir combien cela coûterait et comment créer quelque chose qui puisse rivaliser avec RT, puis passons à la Maison Blanche pour leur dire ce que coutera la compétition, et voyons si nous pouvons le faire ", a déclaré le président de BBG, Jeffrey Shell, en Août 2014. RT est perçu de cette façon : "parce qu'il y a une terreur à Londres et à Washington à l'encontre de ces petits nouveaux, de cette nouvelle information remettant en cause la narrative qu'ils étaient les seuls à propager durant les 50 dernières années" dit le rédacteur en chef de la politique co.uk, Ian Dunt . »
...Mais la surprise, dans ce cas où l'on a l'habitude de se référer à la politique systématiquement extrémiste de la direction US, est venue
du département d'État, de la bouche de la charmante porte-parole Jan Psaki. RT avait en effet, dès connue l'interview de Lack, le projet de
poser la question de ces déclarations, pour clarification, lors du briefing de presse du département d'État. Sa journaliste accréditée s'en
chargea et obtint une réponse in téressante, qui est un acte de désolidarisation du ministère des déclarations de Lack. (Sur RT toujours, le
23 janvier 2015.)
« Le Porte-parole du Département d'État Jen Psaki n'est pas d'accord avec le chef du conseil des gouverneurs récemment nommé de radiodiffusion des États-Unis (BBG), qui a mis RT au même niveau que ISIS et Boko Haram sur la liste des défis. "Le gouvernement voudrait nous mettre ces trois-là dans la même catégorie? Non, nous ne devrions pas, a déclaré Psaki lors d'une séance d'information, le vendredi, répondant à une question posée par Gayane Chichakyan, de RT, concernant les observations faites par le chef de BBG, Andrew Lack... [...]« Psaki a tenté d'expliquer les "préoccupations " que le nouveau chef de BBG essayait d'exprimer, et avec lesquels "nous sommes d'accord" . Toutefois, elle a souligné que " ce n'est pas la façon dont nous l'exprimerions ", se référant à la liste de Lack montrant RT comme un défi similaire à l'État islamique (anciennement ISIS) et Boko Haram. »
Certes, la réaction du département d'État n'est pas la seule. On a enregistré d'autres réactions officielles ou semi-officielles, aux USA
même, notamment celle de Steven M. Ellis, directeur de l'IPI, ou Advocacy and Communications of the International Press Institute
(« En tant que média, RT représente bien sûr un défi pour le média américain, en termes de concurrence pour l'auditoire. Mais RT ne présente évidemment pas le type de menace à la sécurité physique des journalistes comme celle posée par les entités de l' État Islamique ou de Boko Haram . Mr lack aurait pu formuler ses commentaires plus prudemment afin de faire cette claire distinction, et nous espérons qu'il le fera à l'avenir. ») Il y a là, d'une façon générale, un produit typique de la structure et de l'organisation opérationnelle du Système aux USA.

La censure existe sous la forme quasi-totalitaire d'une autocensure de la presse-Système, impliquant une soumission complète à la
narrative officielle, et cette situation est en général satisfaisante dans la mesure de la solidarité et de la complicité complètes
avec la ligne-Système du Corporate Power qui tient toute la grande presse. Cela justifie complètement de désigner cette "grande
presse" comme la "presse-Système". Par contre, il y a également la nécessité de respecter les structures du système de la communication,
avec ses règles officielles dont la sacro-sainte "liberté de la presse" qui doit garder un statut symbolique intouchable. Cela implique
qu'on ne peut agresser directement des organisations de presse d'une très grande envergure correspondant à la puissance telle que l'envisage
le Système dans son opérationnalité capitaliste. Ainsi désapprouve-t-on les termes de l'attaque du nouveau directeur de la BBG, dans la
mesure où il faut bien admettre que RT présente ces caractéristiques.

Le cas du département d'État prenant ses distances de Lack entre dans ce schéma, mais on peut et l'on doit aller plus loin selon une
hypothèse classique et toujours très active sur la situation concurrentielle des différents pouvoirs au sein du Système. La prise de
position du département entre dans le cadre de la concurrence des centres de pouvoir au sein de l'appareil du Système. Le département d'État
n'aime pas le BBG, qui empiète nettement sur ce que le département juge comme une de ses prérogatives essentielles dans cette époque où la
communication est la première source de puissance : le contrôle de l'information. L'attaque doucereuse mais catégorique contre Lack
contribue donc à discréditer le nouveau directeur du BBG qui semble vouloir en faire trop pour élargir la puissance de sa position tout en
marquant ainsi sa prise de pouvoir. Il est donc aussitôt taclé, d'une façon qui suggère le jugement dans son chef d'un manque de retenue et
d'un professionnalisme qui laisse à désirer, et cela implique un adoucissement de la position du département d'État vis-à-vis de RT par
rapport au temps des déclarations de Kerry.

Le bénéficiaire de la passe d'armes est bien RT, qui reçoit ainsi, indirectement, une sorte de consécration officielle (même si du bout des lèvres charmantes de Psaki) complétant le succès professionnel reconnu par ses désormais-pairs du monde anglo-saxons. Les humeurs et les capacités du Système ont changé depuis qu'il se prenait pour "l'Empire", à mesure de la décrépitude de ses moyens, de son discernement et de sa détermination dans le champ de la communication. Il n'est pas question de bombarder les installations centrales de RT comme il le fut, in illo tempore (voir le 23 novembre 2005), des installations d'Aljazeera, du temps où la chaîne qatarie était ressentie comme un obstacle aux entreprises générales, interventionnistes et déstructurantes, dudit "Empire". Par contre, cet épisode nous confirme que RT est bien apprécié comme une terrible "menace" (pardon, un terrible "défi") pour le contrôle de l'information par le Système, y compris aux USA même ; sans aucun doute, bien plus terrible que ne fut jamais Aljazeera du temps de sa splendeur contestatrice...