Norman Finkelstein
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Interview de Norman Finkelstein sur Russia Today par Afshin Rattansi le 23 février 2015 - Voir plus bas la vidéo sous-titrée en français

Dans cet extrait, Norman Finkelstein, intellectuel juif américain dont les parents sont des rescapés d'Auschwitz et du ghetto de Varsovie, référence internationale sur le conflit israélo-palestinien, s'exprime sur Gaza, Israël et l'antisémitisme.

Il commence par récuser l'argumentaire selon lequel Israël ne ferait que répondre aux attaques palestiniennes en rappelant que même durant la première Intifada, un mouvement de résistance palestinienne populaire massif et non-violent à l'Occupation, Israël a répondu de manière très violente, réprimant la population civile de manière meurtrière et recourant systématiquement à la torture. De plus, durant les agressions militaires contre Gaza, les organisations internationales de défense des droits de l'homme ont établi qu'Israël a délibérément ciblé les populations civiles et s'est rendu coupable de crimes de guerre voire de crimes contre l'Humanité.

Norman Finkelstein récuse l'idée d'une montée de l'antisémitisme en Europe, et dénonce la responsabilité d'Israël : ce pays se réclamant comme l'Etat de tout le peuple juif, et Netanyahu, le fou furieux, proclamant que toutes ses actions se font au nom de la communauté juive mondiale dans son ensemble, il est prévisible que certaines personnes le prennent au mot et puissent avoir un sentiment d'hostilité envers les Juifs en général. Mais la responsabilité en incombe avant tout à Israël et ses thuriféraires.

Commentaire du traducteur

Il est intéressant de comparer l'amalgame entre Islam et Etat Islamique d'une part, et Juifs et Israël d'autre part. Bien que de tels amalgames soient tous deux absolument illégitimes, on peut se demander pourquoi le premier est courant et parfaitement autorisé sur les scènes politique et médiatique (ce alors qu'aucune autorité ou personnalité musulmane reconnue, en France ou dans le monde, ne s'en réclame, bien au contraire, l'Etat Islamique étant dénoncé (et combattu) par l'écrasante majorité des musulmans qui en sont les premières victimes), tandis que le second est impensable malgré le fait que les organismes et personnalités françaises de premier plan (CRIF, BHL, Finkielkraut, Valls...) font éternellement allégeance à l'Etat terroriste d'Israël, donnant caution à cet amalgame.

De même qu'on demande aux musulmans qu'ils se dissocient de l'Etat Islamique qui usurpe leur religion (au service d'Israël, un de ses principaux alliés), on devrait pouvoir attendre, avec la même légitimité, des Juifs (et des hommes politiques) qu'ils se dissocient d'Israël et des atrocités que ce pseudo « Etat Judaïque » perpètre régulièrement. Mais bien sûr, dans un monde où les criminels sont élevés au pinacle et que le haro est jeté sur leurs victimes, et où les terroristes prétendent mener des croisades contre le terrorisme qu'ils ont créé et continuent à armer, il ne faut pas s'attendre à ce que des vérités si élémentaires soient acceptées ou même énoncées.

Sayed 7asan

Vidéo sous-titrée : Norman Finkelstein sur Gaza, Israël, les Juifs et l'antisémitisme (VOSTFR)


Transcription :

Afshin Rattansi : En prévision de la session du Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU à Genève prévue la semaine prochaine, et qui doit produire un rapport sur la situation à Gaza, des militants, ici en Grande-Bretagne, ont fermé une usine associée à l'assaut israélien contre le territoire assiégé. Cela se produit au moment où le principal conseiller juridique de l'armée israélienne a déclaré qu'il n'est aucunement inquiété par la possibilité d'une enquête de la Cour pénale internationale sur la guerre de cet été qui a tué des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants (Palestiniens).

Le dernier livre de Norman Finkelstein s'intitule Méthode et démence : les dessous des agressions israéliennes contre Gaza, et il me rejoint sur le plateau. Bienvenue, Norman. Dans ce livre, vous évoquez le fait que Tzipi Livni, la politicienne israélienne, a annulé une visite à Londres de crainte d'être arrêtée. A quel point les personnalités politiques israéliennes considèrent-elles la sériosité de la menace légale lorsqu'ils viennent en Angleterre ?

Norman Finkelstein: Il est difficile d'estimer, à présent, la réalité des craintes des Israéliens, car ils ont pu neutraliser le rapport Goldstone et aller de l'avant. Le nouveau rapport qui devait être le fait du Conseil des Droits de l'Homme, dirigé par [William] Schabas...

Afshin Rattansi : Il vient de démissionner de son poste.

Norman Finkelstein : ...a déjà été neutralisé car Schabas a été accusé d'être un partisan de l'OLP (Organisation de Libération de la Palestine) et il a été contraint d'abandonner. La personne qui l'a remplacé est une juge de l'Etat de New York, et elle est assez faible.

Afshin Rattansi : Parlez-nous du rapport Goldstone.

Norman Finkelstein : Le rapport lui-même était effectivement assez dévastateur, c'était un rapport accablant. Ses conclusions étaient qu'Israël essayait d'humilier, punir et terroriser la population civile, et qu'il était probablement coupable de crimes de guerre considérables et de crimes contre l'Humanité. C'était un rapport accablant, et il a suscité chez Israël de véritables craintes. Ils ne savaient pas du tout comment réagir face à cela. Lorsque le rapport est paru, il y a eu un grand tumulte et une véritable hystérie en Israël.

Des gens comme Shimon Peres, qui est tellement admiré en Occident pour des raisons qui sont absolument incompréhensibles, Shimon Peres dénonça Goldstone comme un homme petit, qui ne connaît rien au droit international, et c'est en fait la dénonciation la plus respectueuse qu'a subie Goldstone. Alan Dershowitz, de l'Université d'Harvard, a déclaré que Goldstone était pire que [Josef] Mengele, l'ange de la mort d'Auschwitz. Michael Oren a dit que le rapport Goldstone était pire que Mein Kampf et les Protocoles des Sages de Sion... Ils se sont vraiment déchaînés comme des fous furieux.

Afshin Rattansi : Des personnalités de nos principaux partis politiques comme David Cameron essaient toujours de les renvoyer dos à dos, en évoquant les attaques de roquettes des Palestiniens - dont vous parlez dans votre livre. Vous dites effectivement que Paul Wolfowitz, l'ancien Secrétaire à la Défense néo-conservateur, a déclaré que tout irait bien si les Palestiniens adoptaient une politique de non-violence, ce qui n'est pas le cas du fait de ces attaques de roquettes. Pouvez-vous partager le point de vue que vous développez dans votre livre ?

Norman Finkelstein : Eh bien premièrement, les Palestiniens ont déjà adopté des moyens de résistance non-violents, et il ne faut surtout pas l'oublier. Vous êtes trop jeune, mais malheureusement ce n'est pas mon cas, pour vous rappeler de manière poignante la première Intifada qui a commencé en décembre 1987. Elle a duré (de facto) environ deux ans. J'ai vécu plusieurs fois dans les Territoires Occupés durant cette époque.

C'était une démonstration véritablement héroïque de résistance massive par la non-violence, et elle a eu un véritable écho international. On l'appelait... Les armes les plus violentes que les Palestiniens utilisèrent furent les pierres. Quelquefois, ils brûlaient des pneus. Mais Israël répondit par une répression extrêmement violente, et ce mouvement fut vaincu.

Ces faits sont complètement oubliés aujourd'hui.

Toutes les organisations de défense des droits de l'homme (B'tselem, Amnesty International, Human Rights Watch), toutes affirment qu'Israël recourait à la torture de manière méthodique et systématique sur les prisonniers Palestiniens. Selon les estimations de Human Rights Watch pour les années 1988-1990 , et je les cite, « des dizaines de milliers de prisonniers palestiniens ont été torturés ». C'est un chiffre très intéressant.

Si vous me permettez - ce n'est pas une digression, mais c'est une perspective légèrement différente - , si vous considérez le rapport récent du Sénat américain sur la torture, qui a suscité une énorme réaction internationale, les gens ne semblent pas se rendre compte que d'après le rapport, on parle « seulement » de 39 à 44 cas de torture.

Afshin Rattansi : Mais ce qui est décrit est horrible et accablant.

Norman Finkelstein : C'est horrible, mais ce qui est intéressant, c'est que, plus ou moins, les types de tortures pratiqués par la CIA contre les 39 à 44 prisonniers n'étaient pas tellement différents des tortures pratiquées par Israël. En ce qui concerne les tortures israéliennes, je n'ai pas connaissance de la pratique de la réhydratation rectale ni de torture par l'eau et ils n'ont pas déshabillé les prisonniers pour les humilier. Ok, laissons ces trois tortures de côté. Cela mis à part, le répertoire de tortures était identique, à peu de choses près.

La différence essentielle est dans la magnitude : dans le cas des tortures de prisonniers palestiniens durant la première Intifada, il y a eu des dizaines de milliers de cas, alors que dans le rapport du Sénat, on parle de 39 à 44 cas.

Et tout cela durant la période de résistance palestinienne non-violente.

Afshin Rattansi : Vous vous basez donc sur les contenus des rapports de Human Rights Watch et Amnesty International. Comment considérez-vous leur rôle ? Car je sais que parfois, vous citez Human Rights Watch mais vous dites que même eux [ne disent pas tout]. Ont-ils une position (véritablement) critique (à l'égard d'Israël) pour ceux qui, en Occident, connaissent leur niveau de violence ?

Norman Finkelstein : On peut faire des distinctions subtiles. Amnesty International est une organisation de bénévoles plus indépendante qu'Human Rights Watch. Human Rights Watch finit souvent, selon moi, par couvrir Israël. Mais en général, les rapports des organisations de défense des droits de l'homme n'ont pas... - je ne veux pas le dire de manière négative, je vais utiliser une tournure affirmative - : ces rapports ont été fiables.

Et on ne peut pas remettre en question le fait que l'opinion publique a changé de manière significative sur cette question, ni le fait que les rapports des organisations de défense des droits de l'homme ont contribué de manière substantielle à cette évolution de l'opinion publique et à ce qu'elle ait un regard très sévère sur Israël. Mais ce regard très critique sur Israël ne s'est pas converti en une bonne opinion sur les Palestiniens. Encore aujourd'hui, si on demande aux gens de choisir entre les Israéliens et les Palestiniens, le public désigne massivement Israël comme la partie la plus respectable.

Afshin Rattansi : Au sujet de l'antisémitisme, dont la presse parle beaucoup ici, il a été intéressant de lire que la montée de l'antisémitisme en Grande-Bretagne était liée par certains à l'agression contre Gaza. Comment considérez-vous ces analyses ?

Norman Finkelstein : Il n'y a pas la moindre preuve d'une montée de l'antisémitisme. Ce que nous observons est que périodiquement, chaque fois qu'Israël se lance dans l'une de ses agressions meurtrières, il y a une montée, un pic de ce qu'on appelle des incidents antisémites. On a pu le voir durant l'opération Rempart en 2002, de même que durant Plomb Durci [2008] et Bordure Protectrice cet été. La question est la suivante : est-ce de l'antisémitisme ?

Vous avez cet Etat qui se désigne comme l'Etat du peuple juif. Et vous avez ce chef d'Etat qui, en l'occurrence, est un fou furieux, qui proclame partout dans le monde qu'il représente la communauté juive internationale. C'est ce qu'il dit. Il le déclare en toutes lettres : « Lorsque je vais à Paris, je représente l'ensemble de la communauté juive mondiale... Lorsque je vais m'exprimer au Congrès (américain) sur la soi-disant menace iranienne, je représente l'ensemble de la communauté juive mondiale. » Et vous voulez donc accuser les gens d'avoir commis une faute pour l'avoir pris au mot ?

Il le dit lui-même : « Lorsque je déclare que nous devrions attaquer l'Iran, je représente l'ensemble de la communauté juive mondiale... Lorsque je déclare que nous devrions attaquer l'Irak, je représente l'ensemble de la communauté juive mondiale... Lorsque je déclare que nous devrions attaquer le Liban une nouvelle fois, lorsque je déclare que nous devrions encore attaquer le Hamas ou Gaza, je représente l'ensemble de la communauté juive mondiale. »

Vous avez donc un fou furieux qui prétend représenter l'ensemble de la communauté juive mondiale, et des gens qui le prennent au mot et se disent : « Très bien, s'il représente l'ensemble de la communauté juive mondiale, alors c'est que les Juifs sont un problème. C'est la conclusion logique. » Donc s'il y a quelqu'un qui est responsable de ce problème (l'antisémitisme), c'est bien l'Etat d'Israël et son chef, qui ne cessent de proclamer que leurs actions meurtrières sont commises au nom des Juifs du monde entier.

Il y a une manière simple de résoudre le problème : Arrêtez de vous prétendre l'Etat du peuple juif parce que ce n'est pas vrai : vous n'êtes que l'Etat d'Israël. Et arrêtez de prétendre que vous représentez l'ensemble de la communauté juive mondiale car la communauté juive mondiale ne vous a pas élus. Personne ne vous a donné ce titre, d'accord ?

Il n'est pas surprenant que face à un Etat qui se prétend être l'Etat du peuple juif, et à un chef d'Etat qui prétend agir en leur nom, des incidents antisémites aient lieu. Est-ce que cela en fait des actes antisémites ? Je ne sais pas pourquoi on les appellerait (ainsi).

Si par antisémitisme vous entendez une haine irrationnelle - c'est généralement la manière dont les gens essaient de le décrire - des Juifs, ce n'est pas une haine irrationnelle des Juifs.

Afshin Rattansi : Norman Finkelstein, je vous remercie.

Norman Finkelstein : De rien.