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© Flickr/ Caitlin Regan
Véritable « CIA privée », le groupe Stratfor conseille aussi bien l'administration US que des patrons de multinationales désireux d'opérer quelques nouvelles rapines «abroad» en limitant les risques. C'est une agence qui compte. Ses prévisions sont donc un excellent baromètre non pas de la «vérité de la situation», loin s'en faut, mais de la perception US de cette situation. Et là, la grande «Prospective 2015-2025» que vient de nous pondre Stratfor vaut son pesant de cacahuètes : effondrement de la Russie ; fragmentation de l'Europe ; reflux chinois et, bien sûr, triomphe total d'un Empire US plus puissant et prospère que jamais. L'analyse de Stratfor est si grossièrement biaisée que si elle ne dit rien de ce qui pourrait advenir, elle révèle beaucoup des ambitions stratégiques qui commandent actuellement aux actions de l'Empire. Ambitions au service desquelles Nemtsov est peut-être devenu une victime expiatoire.
Une guerre hégémonique

On ne le répètera jamais assez. La nouvelle guerre froide qui se déroule sous nos yeux depuis le début 2014 a été délibérément voulue par Washington. Pour tenter de freiner leur déclin et de contrer la montée en puissance des pays émergents, les USA ont en effet décidé de fracturer l'Eurasie, avec deux objectifs principaux :

Le premier est d'empêcher définitivement la constitution d'un Bloc concurrent Euro-BRICs en brisant la dynamique de rapprochement naturel entre l'Europe et la Russie. Et quoi de mieux qu'une guerre pour ce faire. La guerre froide 2.0 d'aujourd'hui a ainsi été préparée de longue date avec l'aide de tout l'appareil « merdiatique » atlantiste qui, depuis des années, travaille l'opinion publique occidentale au corps pour y semer la nécessaire haine du Russe qui prospère aujourd'hui.

Le deuxième objectif est de casser la dynamique du BRICs. En mettant la Russie à genoux, les USA pensent pouvoir briser la constitution de ce bloc rival et montrer aux autres puissances émergentes qui en font partie (Chine-Brésil-Inde notamment), que les USA restent les patrons de la planète et qu'on ne les défie pas impunément.

En prophétisant l'effondrement de la Russie, la fragmentation de l'Europe, le reflux de la Chine et, surtout, le maintien du statut incontesté d'hyperpuissance militaire et économique des USA, Stratfor ne fait donc pas de prévisions basées sur une analyse objective des faits, mais nous confirme bien involontairement les ambitions stratégiques qui commandent actuellement aux actions de l'Empire.

L'aveu de Friedman

Des ambitions qui passent bien évidemment par la crise ukrainienne (1), dont le patron de cette même agence Stratfor, George Friedmann, avait attribué la responsabilité du déclenchement aux USA lors d'une interview accordée au quotidien russe Kommersant, le 21 décembre dernier (2). Verbatim :
« (...) Au début de cette année [2014], il existait en Ukraine un gouvernement assez pro-russe mais très faible. Cette situation convenait parfaitement à la Russie : après tout, la Russie ne voulait pas contrôler complètement l'Ukraine ni l'occuper ; il était suffisant pour elle que l'Ukraine ne rejoignît ni l'OTAN ni l'UE. Les autorités russes ne peuvent tolérer une situation où des forces militaires occidentales seraient stationnées à une centaine de kilomètres de Koursk ou de Voronezh.

Les USA, pour leur part, étaient intéressés par la formation d'un gouvernement pro-occidental en Ukraine. Ils voyaient que la puissance russe augmentait et ils cherchaient à empêcher la Russie de consolider cette position dans l'espace post-soviétique. Le succès des forces pro-occidentales en Ukraine devait permettre de contenir la Russie.

La Russie définit l'événement qui a eu lieu au début de cette année [en février 2014] comme un coup d'État organisé par les USA. Et en vérité, ce fut le coup [d'État] le plus flagrant dans l'histoire. (...) Le point central, l'argument fondamental, c'est que l'intérêt stratégique des USA est d'empêcher la Russie de devenir hégémonique. »
Nemtsov, victime expiatoire ?

Contrer la montée en puissance de la Russie constitue donc un objectif stratégique des USA. Et lorsqu'il s'agit de briser un adversaire, les pressions extérieures (chantage, sanctions, pressions économiques voire militaires) s'accompagnent toujours de pressions intérieures pour affaiblir l'adversaire. Dans le pays-cible, le soutien massif aux oppositions et activistes de tous poils fait ainsi partie des missions classiques des officines de renseignements US. Les actions de déstabilisation intérieures pouvant bien évidemment aller jusqu'à l'assassinat selon l'intérêt du moment.

Dès lors, pour coller à l'actualité, faut-il classer l'assassinat de Nemtsov dans la catégorie false-flag made in CIA ? Il est clair que sacrifier ce personnage, devenu un has been de l'opposition russe depuis quelques années, entrait parfaitement dans les critères opérationnels acceptables de l'agence compte-tenu des bénéfices qu'elle pouvait en tirer (3).

Le modus operandi des tueurs soulève d'ailleurs bien des questions embarrassantes pour la narrative officielle de notre presse-Système (4). Pour l'inoxydable Gorbatchev en tous cas, c'est clairement une provocation destinée à déstabiliser le pays (5). Même l'opposition russe a rechigné à incriminer le Kremlin (6), une pudeur que ne connaissent évidemment pas les merdias bobo-atlantistes qui sévissent ici (7). En tout état de cause, d'où que vienne le coup, l'assassinat de Nemtsov joue pleinement son rôle déstabilisateur pour la Russie de Poutine. Et il y a fort à parier que les USA vont capitaliser là-dessus, pousser aussi loin qu'ils le peuvent leur avantage, ce qui laisse augurer d'un durcissement de l'hystérie antirusse à Washington.

Une hystérie qui va sans doute pousser nos vertueux stratèges US à remettre très vite sur la table l'option d'une livraison d'armes à la junte de Kiev, histoire d'alimenter l'incendie d'une guerre froide 2.0 qui a décidément de très beaux jours devant elle.

Notes :

1. Enfumage ukrainien, contre-propagande
2. L'interview de Friedman en français
3. Les Etats-Unis ont-ils assassiné Nemtsov
4. Assassinat à Moscou
5. Gorbachev: Murder of Opposition Leader Was a False Flag
6. Bonnes nouvelles de Russie
7. Nemtsov et la théorie du complot