Un mois à peine après avoir publié le décret activant le blocage des sites « terroristes » et pédopornographiques, le gouvernement vient de faire paraître celui relatif au déréférencement administratif de ces mêmes sites, qui pourront donc disparaître des Google, Bing et autres « annuaires » Internet. Explications.Mise en musique de la LOPPSI et de la loi anti-terroriste de novembre 2014

Parmi la batterie de mesures adoptées au travers de la dernière loi anti-terroriste, figurait deux dispositifs complémentaires : le blocage administratif des sites faisant l'apologie du terrorisme (telle que réprimée par l'article 421-2-5 du Code pénal), ainsi que le déréférencement, toujours sans passer par la case du juge, de ces mêmes sites. En somme, l'idée était de faire en sorte que ces pages soient inaccessibles tant en passant par un moteur de recherche qu'en s'y rendant directement, en tapotant leur URL dans un navigateur.

Alors que les décrets d'application de ces dispositifs contestés tardaient à être pris par le gouvernement, les tragiques événements du mois de janvier sont venus en accélérer l'activation. Dès le lendemain des attentats contre Charlie Hebdo, l'exécutif notifiait son projet de décret sur le blocage administratif des sites terroristes et pédopornographiques (prévu par la LOPPSI de 2011, mais jamais appliqué faute de texte d'application) à la Commission européenne. Le 6 février, c'était au tour de celui sur le déréférencement administratif de ces mêmes sites d'être transmis à Bruxelles.

Des sites déréférencés dans les 48 heures suivant la notification de l'OCLCTIC

Ce matin, le décret signé notamment de Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, a été publié au Journal officiel. Il entrera donc en vigueur dès demain. Calqué sur celui relatif au blocage administratif, qui fait en quelque sorte figure de grand frère, ce texte d'application n'a guère changé depuis sa notification à Bruxelles. Le déréférencement au sein des « moteurs de recherche » et « annuaires » (comme l'indique la loi, sans que le décret ne définisse ce qu'est un « annuaire »), se fera en deux étapes.

Premièrement, l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) transmettra « aux exploitants de moteurs de recherche ou d'annuaires les adresses électroniques » à déréférencer. Ce service composé de gendarmes et de policiers - le même qui gère la blocage administratif des sites - devra avertir par la même occasion et « sans délai » la personnalité qualifiée désignée par la CNIL, Alexandre Linden.

Deuxièmement, les moteurs et annuaires seront tenus de prendre « toute mesure utile destinée à faire cesser le référencement de ces adresses », et ce « dans un délai de quarante-huit heures suivant la notification ». Autrement dit, ces intermédiaires devront se débrouiller pour que les sites litigieux disparaissent de leurs écrans... Très peu bavard sur ce point, le décret ajoute simplement que ces acteurs mis à contribution ne devront pas modifier « les adresses électroniques, que ce soit par ajout, suppression ou altération ».

Une vérification tous les trimestres

Une fois les sites déréférencés, l'OCLCTIC vérifiera « au moins chaque trimestre que les adresses électroniques notifiées ont toujours un contenu présentant un caractère illicite ». Si tel n'est pas le cas, l'institution avertira les moteurs et annuaires afin que ceux-ci « rétablissent par tout moyen approprié le référencement de ces adresses électroniques », à nouveau dans un délai de 48 heures.

S'agissant du contrôle exercé par la personnalité qualifiée désignée par la CNIL, Alexandre Linden, la loi de novembre dernier lui confère des pouvoirs identiques à ceux qui prévalent pour les blocages de sites : il pourra « recommander » à l'OCLCTIC de mettre fin à une mesure de déréférencement s'il « constate une irrégularité ». En cas d'opposition de l'institution, l'intéressé aura la capacité de « saisir la juridiction administrative compétente, en référé ou sur requête ».

Les moteurs et annuaires pourront obtenir le remboursement de leurs « surcoûts »

Au niveau de la compensation du coût de ces mesures pour les intermédiaires, le décret renvoie comme prévu à celui sur le blocage administratif. Seuls les « surcoûts » éventuels seront pris en charge par l'État, ceux-ci étant entendus comme les « investissements et interventions spécifiques supplémentaires » résultant de ces nouvelles obligations.

Pour obtenir un remboursement, les moteurs et annuaires devront tout d'abord envoyer à l'OCLCTIC « un document détaillant le nombre et la nature des interventions nécessaires ainsi que le coût de l'investissement éventuellement réalisé ». Ce récapitulatif sera ensuite passé au peigne fin par le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies. Et ce n'est qu'au vu de cette analyse que le Trésor public procèdera au paiement des « surcoûts justifiés », sur présentation d'une facture.

Plusieurs QPC bientôt déposées devant les tribunaux ?

Si le dispositif pourra officiellement prendre son envol dès demain, il n'en demeure pas moins menacé. Maintenant que ce décret est paru, il peut être attaqué devant les tribunaux. Alors que le législateur n'a pas jugé utile de déférer la dernière loi anti-terroriste devant le Conseil constitutionnel, plusieurs organisations ont d'ores et déjà fait savoir qu'elles tenteraient de porter une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) jusque devant les Sages de la Rue Montpensier. C'est notamment le cas de La Quadrature du Net et de l'Association des sites Internet communautaires, qui réunit en son sein Google, Microsoft ou Dailymotion.