Image
© Inconnu
Pouvons-nous vivre normalement sans Poutine ? Il semble que non, aux dernières nouvelles ; et il semble même que Poutine soit pour le Système une voie sans fin d'exploitation de ce complotisme que ce même Système reproche tant, jusqu'à l'excommunication, à ceux qui eurent l'audace insensée de développer des thèses, voire des constats de complot à propos de 9/11 à l'origine, - puis, depuis, à propos de la majorité des entreprises du Système. Ainsi ne craignons-nous pas, - nous parlons ici pour "ceux du Système", - de faire exactement ce que nous reprochons aux dissidents de faire, et nous-mêmes (nous, le Système) pas dans la dentelle du tout. Durant l'épisode du 5-15 mars (disparition-réapparition de Poutine), le Système a fait preuve d'un "déchaînement de complotisme" qu'on pourrait définir symboliquement selon les normes du "déchaînement de la Matière".

Il faut d'ailleurs noter que la réapparition de Poutine, ou la résurrection si vous voulez puisqu'il semble s'agir d'un homme hors du commun, a permis de compléter le carnet des thèses et hypothèses à ce propos. Son porte-parole Pechkov interrogeait hier les journalistes : « Comment, vous n'avez pas vu Poutine paralysé et capturé par les généraux révoltés parmi lesquels se cachait un médecin étranger ? Il vient juste d'arriver en Suisse où il doit livrer quelques nouveau-nés, comme vous le savez », tandis que de nouvelles investigations concluaient que Poutine aurait bien pu être le deuxième tireur inconnu de l'assassinat de John Kennedy. Comme on voit, il ne faut jamais perdre espoir car la vérité finit toujours par éclater...

Pour illustrer les leçons très-opérationnelles qu'on peut tirer de cet épisode de la vie aventureuse de Vladimir Poutine, on pourrait s'en remettre au texte, surmonté de l'excellent titre The Great Putin Disappearance, de Patrick Armtrong, le 16 mai 2015 ' (nde : article en anglais) sur Russia Insider. On notera l'hypothèse, mi-sérieuse mi-pas-sérieuse, mais certainement fascinante pour l'auteur, selon laquelle après tout Poutine et son équipe pourraient aussi bien avoir eux-mêmes monté ce "coup" de la disparition de Poutine, - pour ridiculiser les "experts" et autres représentants de la sacro-sainte liberté d'expression du fameux bloc BAO de la meilleure façon qui soit, - savoir, se ridiculiser eux-mêmes (to make fools of themselves)...

Comment donner une définition générale de cet épisode, sinon justement sous l'étiquette évidente d'épisode maniaque" ? L'obsession que Poutine constitue pour la psyché des élites-Système du bloc BAO est d'une puissance extraordinaire et, d'ailleurs dans la logique primaire du fonctionnement utilitaire du système de la communication avide de sensationnel et de surenchère, dans une dynamique absolument incontrôlable. Il n'y a aucun moyen d'arrêter cette vague de spéculations, d'hypothèses hollywoodienne, de surenchères complotistes, et surtout pas la conscience, - évidemment inexistante, selon la caractéristique principale de l'épisode maniaque, - de l'invraisemblance et du ridicule. Tout cela est balayé par le constat du "tout est possible", - ce qui est objectivement et théoriquement acceptable dans une sphère de la direction d'un État de la puissance de la Russie, - qui constitue une espèce de drogue, d'ivresse si l'on veut pour l'exercice de la liberté d'expression, d'un point de vue "technique" spéculatif si l'on veut, complètement commandée par le mythe de la puissance et l'idéologie antirusse maximaliste. Par conséquent tout peut être dit dans ces limites maniaques, et il n'y a rien à regretter ; le Daily Mail peut écrire un jour, sous une manchette tapageuse, «... C'est un coup d'état. "Vladimir Poutine est vivant mais neutralisé après un putsch discret fomenté par d'obscurs responsables, à Moscou," a t-on affirmé la nuit dernière... », et paraître le lendemain en s'intéressant au sort de la prochaine émission de télé-réalité comme s'il ne s'était rien passé, comme s'il n'avait rien imprimé de la sorte.

L'épisode de la disparition de Poutine n'est donc par une phase exceptionnelle, un "dérapage" de la pensée dans une sorte de délire complotiste mais au contraire un développement complètement logique. Il s'agit (dans le chef d'un développement qui ne peut être mis en cause en soi, essentiellement de tout ce qui est couvert par le déterminisme-narrativiste) d'une simple application d'une logique maniaque à une situation de communication assez banale, - mais qui, comme dans toutes les situations de cette sorte, peut effectivement recéler un élément d'exceptionnalité (il y a 1% ou 2% de possibilité qu'une hypothèse extraordinaire soit rencontrée par la situation, et ce 1%-2% sont étendus dans l'absolu jusqu'à constituer les 100% réglementaires, - formule du conformisme, de l'alignement, etc.).

A notre sens, l'observation la plus importante est dans ceci que ce n'est pas l'événement qui suscite l'hypothèse la plus folle, les dérives complotistes, etc., mais bien la logique elle-même, fortement distordue par la psychologie maniaque, qui interprète toutes les situations et tous les événements dans le même sens. Par conséquent, le vrai Poutine, sa politique, sa personnalité, voire sa position dans l'équation du pouvoir, voire son état de santé éventuellement, ne jouent strictement aucun rôle dans les développements spéculatifs auxquels on a assisté sinon celui de stimuli du processus, de détonateur du développement. Pour le coup, le système de la communication tel qu'il s'est déployé à cette occasion nous a permis de mesurer combien la psychologie maniaque des élites-Système est forte et influente jusqu'à l'exclusivité du contrôle de la pensée par son alimentation de perception maniaque, combien elle est l'unique mère nourricière de ce qui est perçu du dehors comme un "délire complotiste" lorsqu'il s'agit de Poutine et de la Russie.

... Et, dans ce cas, sans aucun doute, Poutine et la Russie sont les stimuli et les détonateurs idéaux des convulsions et des paroxysmes de la psychologie maniaque. Ils disposent des attributs de la réalité qui leur donnent effectivement cette position, - ces attributs qui restent présents à l'esprit dans les vieilles mémoires du temps de la Guerre froide soigneusement entretenues par les paranoïa structurelles engendrées par l'hybris permanent de cette contre-civilisation.
Pour cette raison, il y a une proximité troublante jusqu'à l'identité entre le fantasme maniaque et toute l'appréciation politique et stratégique que le bloc BAO doit/devrait développer dans une telle situation crisique. Cela implique que, jamais plus que dans ce cas Poutine/Russie, la narrative n'a été aussi forte, jusqu'à totalement infecter tous les domaines de l'évaluation et de l'appréciation. Littéralement, nous sommes proches de ne rien percevoir de la vérité de la situation de la crise ukrainienne, de la situation russe, etc. Jamais une crise sectorielle n'a été aussi forte, aussi complète, aussi fermée dans son interprétation par une des deux parties engagées. (Jamais une crise sectorielle, par cette sorte de totalitarisme des folies du bloc BAO enfermées en elles-mêmes, n'a donc été aussi proche de ce qu'est la crise haute, puisqu'elle identifie l'essentiel d'elle-même à l'essentiel de la psychologie maniaque de la crise d'effondrement du Système.)
Le plus remarquable dans ce genre d'épisodes est évidemment qu'il s'est peut-être passé quelque chose avec Poutine, qu'il se passe peut-être quelque chose, quant à sa position politique, son état de santé, la situation du pouvoir en Russie, etc., mais que cela n'est absolument pas le sujet du délire de ces dix derniers jours. Dans ce cas où à peu près tous les développements possibles, et l'absence de développement éventuellement, sont du domaine du secret, l'hypothèse la plus intéressante, la plus réjouissante, la plus enrichissante, celle qui nous détendra le plus sûrement, est évidemment celle qui plaît tant à Armstrong, - que "Poutine et son équipe" aient eux-mêmes organisé cette "disparition"pour le bien du statut de nos élites-Système, to make fools of themselves.