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On connaît quelques extraits du discours qu'a prononcé Poutine devant les cadres du FSB, le service de renseignement russe, le 26 mars au matin. Ces extraits qui sont tous semblables et paraissent donc venir d'une seule source, proviennent de différents articles, notamment Le Figaro le 26 mars 2015 dans l'après-midi (à 16H53), dans le quotidien RBC de Moscou le lendemain matin, relayé par Sputnik-français ce même 27 mars 2015 au matin.

On peut envisager avec allant l'hypothèse que les informations venues du discours ont été volontairement "fuitées" par les autorités russes dans la mesure où elles contiennent un message extrêmement affirmé et extrêmement fort : l'annonce que le bloc BAO devrait tenter des opérations de regime change en Russie, pour les élections législatives de 2016 et les présidentielles de 2018. Poutine a explicitement parlé d'une planification en cours des services de renseignements des pays concernés du bloc BAO pour ces opérations. La présentation de ce passage par Sputnik-français :
« Les services secrets étrangers ne cessent d'utiliser à leurs fins les ONG et les associations politisées, a déclaré le président russe Vladimir Poutine lors d'une réunion du FSB (les services de renseignements intérieurs russes), écrit vendredi 27 mars le quotidien RBC. Selon le chef de l'État, ces tentatives visent à discréditer les autorités russes et déstabiliser la situation dans le pays. Selon les informations du président, les services de renseignements étrangers planifieraient des actions pour les législatives et la présidentielle en Russie en 2016 et 2018. »
En un sens, le Figaro est plus détaillé en ce qui concerne les citations. Bien que venu de Moscou (Pierre Avril), l'article est semé de tournures extrêmement parisiennes, comme des automatismes diffamatoires générés effectivement d'une façon automatique, ou pavlovienne pour faire plus humain, par la proximité du mot "Poutine". Par exemple, Poutine présenté comme "président russe et ancien espion du KGB", ce qui est vrai mais qui sonne rude et nous fait regretter de n'avoir pas désigné George Bush (père) comme "vice-président américain et espion de la CIA", puis "président américain est espion de la CIA" entre 1980 et 1993 (c'est lui qui dirigea la CIA en 1976-1977 et permit l'introduction dans les structures d'analystes des équipes de néoconservateurs [voir le 1er août 1999], ce qui permit de tuer la détente et de lancer au grand galop ce qu'on a nommé la "deuxième Guerre froide" jusqu'en 1985, avec un passage où l'on frôla l'affrontement nucléaire, en novembre 1983) ; Nemtsov, qui ne représentait rien et donc incarnait encore moins, est toujours présenté comme l'un de ceux qui "incarnait l'opposition" ; enfin, hommage indirect est rendu à l'opposition libérale, minoritaire mais tellement clairvoyante en désignant les services de sécurité comme ayant pris le pouvoir en Russie («...a conclu le président russe, devant ceux-là même qui sont accusés par la minorité libérale d'avoir, de facto, pris le pouvoir dans le pays. »). Voici l'essentiel du texte...
« En s'appuyant sur des "ONG et des groupements politisés" russes, les services spéciaux occidentaux "planifient des actions en prévision des campagnes électorales parlementaires et présidentielles de 2016 et 2018", a déclaré le chef du Kremlin. Dès à présent, leur but est de «discréditer le pouvoir et déstabiliser la situation intérieure en Russie». Aux États-Unis, "nous sommes convaincus qu'il existe des gens qui veulent un changement de régime en Russie et c'est à cette fin que des émissaires américains se promènent actuellement dans différentes capitales" précise une source proche du Kremlin.

Le président russe a toutefois affirmé qu'il jugeait "important de dialoguer" avec l'opposition - celle qu'incarna notamment Boris Nemtsov - mais en a rapidement conclu que cette discussion serait "dépourvue de sens". La raison? Cette dernière est soupçonnée de "travailler sur commande des pays étrangers". "Poutine est sincèrement convaincu que si quelqu'un sort dans la rue pour manifester, il travaille obligatoirement pour les services occidentaux", confirme le politologue Alexeï Makarkine.

»Les entreprises russes vivent, selon lui, sous la menace d'une "concurrence" attachée à "compromettre leur réputation". "Peu nombreux sont ceux qui sont prêts à travailler honnêtement avec le business russe», déplore le président, demandant ainsi aux responsables du FSB de «réagir correctement". Selon Vladimir Poutine, les secousses monétaires qui affaiblissent le rouble - qui sont le fruit de "machinations de l'ombre" - entrent également dans le domaine de compétence des services spéciaux. »
La chose n'est pas sans intérêt ... D'une part, Poutine désigne une menace précise, référencée, identifiée, de façon très officielle. (... "De façon très officielle", - même si la nouvelle n'est pas nécessairement destinée à devenir publique, du moins officiellement, mais dont on voit que la machinerie officielle ne dédaigne nullement de la faire diffuser par d'habituelles "voies impénétrables".) Il s'agit de précisions inhabituelles dans le chef de ces accusations qu'on juge absolument fondées, pour un dirigeant national, de cette façon publique, à propos d'événements connus et fixés mettant en cause des pays étrangers de la puissance qu'on sait. Il s'agit aussi bien d'un avertissement pour les opposants, par rapport à leurs liens ou pas avec divers services, réseaux, organisations de pays du bloc BAO ; il s'agit encore plus d'un avertissement pour les organisation BAO elles-mêmes, notamment les services de renseignement.

Il s'agit, d'une façon générale, de la garantie d'une tension durable avec le bloc BAO, dans les conditions actuelles qui prévoient de telles opérations. Sur ce plan, Poutine apparaît dans une position très différente de celle qu'il tient dans la crise ukrainienne : aucune concession, aucune volonté d'un pseudo-arrangement, ce type d'opérations, de type-"agression douce", est considéré comme rien de moins qu'un acte de guerre unilatéral et sera traité comme tel, bien sûr avec les moyens adéquats et équivalents (rien de militaire, bien entendu).

D'une certaine façon, ce retour au front intérieur, où la tension fut très vive en 2011-2012, constituerait une sorte de suggestion que la crise ukrainienne est sortie de sa première phase, ce qu'on jugerait être la plus grave ou dans tous les cas la plus spectaculaire parce qu'elle impliquait directement le risque d'un affrontement, et qu'elle est en voie de n'être plus désormais la menace la plus grave contre la Russie. Cela signifie moins que la crise ukrainienne est une menace dégradée, que l'appréciation que les opérations douces sont des menaces considérées comme extrêmement grave d'"agression douce" (le terme "agression" fait l'essentiel de l'expression). On observera par ailleurs que ce changement de vision intervient effectivement au moment où des affrontements intérieurs ont lieu en Ukraine entre oligarques, ce qui contribue à faire de la crise ukrainienne une affaire moins brûlante pour la Russie (des divisions dans l'ensemble de direction du pays affaiblissent la ligne dure générale antirusse). D'une façon plus générale, on pourrait ainsi confirmer que nous entrons dans une nouvelle phase de la crise ukrainienne qui, elle, n'est, bien entendu, absolument pas terminée.

Il est particulièrement caractéristique que les opérations de regime change redeviennent une menace autonome alors qu'elles ont été considérées, depuis que la crise ukrainienne a éclaté, comme une menace qui "passerait" nécessairement par la crise ukrainienne, d'une façon ou l'autre, en en dépendant par conséquent dans une importante mesure. Elles ne reviennent pourtant pas au statut antérieur, parce qu'elles sont infiniment renforcées par la tension générale née de la crise ukrainienne. Au contraire, on pourrait dire qu'avec cette nouvelle perspective, la situation des relations entre la Russie et le bloc BAO s'aggrave, puisque la tension à venir, s'exprimant (notamment) par ces opérations de regime change considérées comme très probables, impliquent effectivement un affrontement direct et très fort, - même si hors du domaine militaire, mais avec un système de la communication en pleine surpuissance, - entre la Russie et le bloc BAO. Les Russes (Poutine) n'entretiennent donc aucune illusion à cet égard. Pout eux, l'affrontement va se poursuivre, même si la crise ukrainienne était réglée (ce qui est très improbable, justement, dans de telles circonstances), - il va même s'aggraver dans le champ de la communication.