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© Mikael Marguerie, (CC BY-NC 2.0))Police à Paris
Le mois d'octobre marquera le dixième anniversaire de la mort de Zied et Bouna, deux adolescents de Clichy sous Bois électrocutés en voulant échapper à un contrôle de police. Ils n'avaient commis aucun délit, mais ne voulaient pas se retrouver en garde à vue en plein ramadan, chose qui peut arriver à n'importe quel jeune Français issu de l'immigration, contrôlé sans raison, si ce n'est le délit de faciès. Suite à cet événement, une insurrection a embrasé la France entière pendant trois semaines, dénonçant ce que Guy Sorman a appelé « l'apartheid anti-jeunes ». Dix ans plus tard, rien n'a changé et nous en sommes toujours au même point.

« Une fois, à la sortie d'un chantier où je travaillais, la police est arrivée pour un contrôle d'identité et j'ai été écarté des autres ouvriers. C'était un contrôle banal qui s'est déroulé sans incident, seulement ça m'a fait mal d'être le seul à être contrôlé, juste parce que je suis étranger.
- Et pourtant, tu es Français ?
- Oui, mais je ne suis pas blanc, je suis d'origine pakistanaise. »

En 2009, l'écrivain Frédéric Beigbeder a été placé 36 heures en garde à vue pour avoir consommé de la cocaïne sur le capot de sa voiture. Il a obtenu le prix Renaudot pour Le roman français, le livre dans lequel il dénonce les conditions de sa détention, même si plusieurs passages ont été censurés, ses avocats craignant des poursuites pour outrage à magistrat, fait étonnant dans un pays qui manifeste en brandissant les crayons pour défendre la liberté de parole. Cet événement a surtout démontré qu'une garde à vue peut arriver à tout le monde, la moitié de la population du pays étant recensée dans le fichier STIC de la police nationale. La France est le seul pays européen où la garde à vue est possible en l'absence d'un délit grave, juste pour la nécessité d'une enquête, en présence d'un simple soupçon d'infraction commise.
« J'ai une tête d'arabe et un prénom arabe, mais ma mère a épousé un Français et j'ai un nom de famille français. Du coup, j'ai fait plusieurs gardes à vue car la police pense que j'ai des faux papiers. C'est pour ça que je m'entraîne au free fight, pour bloquer leurs coups avec la clé de bras. »
Dans un contexte économique et social explosif, gangrené par la crise et le chômage, les manifestations pacifiques sont de plus en plus réprimées par les forces de l'ordre. Tel est l'exemple des Veilleurs, un mouvement de désobéissance civile dont les membres se rassemblent devant les ministères et brandissent des bougies pour protester contre la politique gouvernementale. Sa devise est celle de Thomas More consacrée à la liberté de conscience : « C'est cher d'être libre. Mais le dernier des esclaves peut l'être s'il accepte de payer. » Et pourtant, les interpellations sont tellement nombreuses que le mouvement a dû publier une page d'aide juridique pour soutenir les manifestants en garde à vue.

Le Syndicat de la magistrature a également publié « Le guide du manifestant arrêté » téléchargeable sous format PDF qui explique en grands détails le déroulement de la procédure d'arrestation afin de protéger les droits des intéressés. Si les médias ont amplement commenté la mort de Rémi Fraisse, un militant écologiste de 21 ans tué alors qu'il manifestait pacifiquement contre la construction d'un barrage dans le sud de la France, les autres victimes sont passées sous silence. Selon une recherche publiée par le CFJ, Centre de formation des journalistes, entre 2005 et 2015 il y a eu 54 morts à la suite de violences policières.
« Comme j'ai grandi dans une cité, les gardes à vue, j'en ai fait plus de cinquante dans ma vie, et ce depuis l'âge de onze ans. Une fois, j'en ai fait même deux dans une seule journée. un pote à moi s'est approché trop près d'un scooter et les flics nous ont embarqué tous les deux. Si tu vas d'un point A à un point B, tu peux y échapper, mais dès que tu t'attardes dans la rue tu risques un contrôle de police. Ils cherchent à te provoquer pour que tu les insultes, afin de t'embarquer pour outrage à agent. Ils cherchent à t'humilier avec les fouilles au corps. Une autre fois, ils m'ont fait remonter toute l'avenue à pieds, pour que tous les voisins puissent me voir menotté. Arrivé au poste, j'ai lancé à l'agent d'accueil que demain matin je serai dehors, tandis que lui sera coincé là jusqu'à la fin de sa carrière. En réalité, ce sont des incompétents. La dernière fois qu'ils ont fait une perquisition chez moi, ils ont oublié leur flash-ball. Je me souviens encore, à côté de la gare de l'est, ils m'ont passé à tabac sans aucune raison, je devais avoir 17 ans. Ou la fois où je devais partir en vacances avec ma copine, j'ai raté le vol car j'étais en garde à vue ; elle est partie toute seule et m'a quitté. Aujourd'hui encore j'ai été contrôlé à la gare du nord, je devais prendre un train pour l'Allemagne. Les policiers m'ont demandé ma nationalité, j'ai répondu que j'étais Français et ils m'ont alors demandé mon billet. Et pourtant aujourd'hui, à l'âge de 24 ans, mon casier judiciaire est toujours vierge. »
En 2013, lorsque les émeutes ont éclaté à Grigny suite à un contrôle d'identité, il y avait eu un réel décalage entre la version édulcorée relayée par les médias traditionnels et les informations qui ont pu être recueillies sur les réseaux sociaux, où on trouvait des vidéos montrant des policiers insultant les citoyens. Ministre de l'Intérieur à cette époque, Manuel Valls avait conseillé aux Français de s'informer dans les médias traditionnels plutôt que de consulter les réseaux sociaux, mais sans succès. Le ministre a fini par imposer aux fonctionnaires de porter un matricule en évidence et de vouvoyer les citoyens.
« Je me suis faite agresser dans la rue par un individu qui a voulu arracher mon sac. Couverte d'hématomes, je suis allée au commissariat pour déposer une plainte contre X pour violences volontaires. Les policiers m'ont conseillé de porter plainte pour tentative de viol, pour éviter un classement sans suite de ma plainte. Lorsque j'ai fait remarquer que je ne pouvais faire une déclaration mensongère, ils m'ont répondu que si l'auteur n'était pas arrêté, et qu'il arrivait la même chose à une autre femme, j'en serais responsable. Un mois plus tard, un officier de la PJ m'a convoquée pour obtenir davantage de précisions et m'a traitée comme si j'étais l'auteur du délit. Il m'a reproché de faire perdre mon temps à la police et m'a suggéré de retirer ma plainte car l'auteur des faits ne serait de toute façon jamais appréhendé. J'ai alors signé un document. Le même officier m'a téléphoné le même jour pour s'excuser de son comportement et me rencontrer de nouveau car je détenais un objet portant les empreintes de mon agresseur. Il s'est alors déplacé à mon domicile, et m'a proposé une liaison sans lendemain, il était marié, mais appréciait les filles de l'est aux jolies formes. »
Il existe beaucoup de sites associatifs qui recensent les violences policières, bien que le plus connu parmi eux, Copwatch France, ait été interdit par la justice. Beaucoup sont consacrés aux injustices subies par les sans-papiers, souvent mariés à des Français ou parents d'enfants européens, ce qui rend leur expulsion illégale. Suite à une décision de la justice européenne, ces derniers ne peuvent plus être mis en garde à vue, le fait de ne pas avoir de papiers ne constituant pas un délit ; depuis, ces personnes sont placées en rétention administrative et perdent même les droits dont elles bénéficiaient lorsque leur garde à vue était envisageable.
« Je me suis battu avec un homme dans le quartier et je lui ai déchiré sont tee shirt. Soudain, un homme casqué s'est mis à me donner des coups et je l'ai frappé aussi. Il s'est avéré que c'était un policier, et il m'a embarqué. Une fois au poste, ils ont apporté un couteau et voulaient que je reconnaisse qu'il m'appartenait, ce qui était faux. Je suis resté 24 heures en garde à vue sans manger ni dormir. À cinq heures du matin, ils m'ont apporté un document en me disant que je pouvais sortir si je le signais. Après l'avoir lu, j'ai refusé de le signer car j'y reconnaissais que le couteau m'appartenait. »
Les violences policières en France sont régulièrement dénoncées par les ONG. La dernière en date, celle de Human Rights Watch publiée en janvier 2015, dénonce les violences gratuites subies par les demandeurs d'asile, ceux qui ont perdu leurs familles et foyers dans la guerre et qui ont demandé la protection de notre pays.
« Une fois, j'ai été en garde à vue pendant 72 heures et j'ai commencé à être agité car c'était anormalement long, et on me laissait dans l'ignorance. Un policier m'a frappé derrière la tête avec une matraque et je me suis évanoui. Lorsque j'ai repris connaissance, j'ai constaté que mes vêtements étaient couverts de crachats. »
Quant à ceux qui s'adressent à la police pour demander la protection ou obtenir un renseignement, obtiennent-ils satisfaction ? Ils sont souvent dissuadés de porter plainte. Lorsqu'ils recherchent une personne disparue, on leur répond que les gens sont libres de disparaître sans laisser de trace et que le chagrin des familles n'est pas forcément signe d'une disparition inquiétante. L'enquête décrite dans le poignant film « 24 jours » consacré à la mort d'Ilan Halimi, kidnappé, séquestré et mort de faim alors que la famille avait réuni les fonds pour payer la rançon, montre que la police ne parvient même pas à remplir son rôle principal, celui d'assurer la protection des citoyens.
« Aujourd'hui, à Aulnay sous Bois, j'ai vu quatre hommes avec une kalachnikov en évidence, dans une voiture, et je me suis dit qu'ils devaient être sur le point de faire un braquage.
— Ils ne portaient même pas de cagoules ?
— Ben non, sinon, comment vont-ils conduire ?
— Et personne du quartier n'a songé à prévenir les autorités ?
— Personne, et moi je me suis dit que je leur souhaitais bonne chance. »
Si la police nationale perd la confiance des citoyens, pourquoi ne pas la privatiser ? Dans les années 1970, en comparant les statistiques de plusieurs pays, Édouard Savas a démontré que le secteur privé est toujours deux fois moins cher que le secteur public pour un service collectif équivalent (1). David Friedman, fils du célèbre économiste et prix Nobel Milton Friedman, nous a montré que même les forces de police et de défense nationale peuvent être gérées par le secteur privé. La privatisation de la police est non seulement dans l'intérêt des citoyens contribuables car elle réduit les dépenses publiques, mais aussi car le secteur privé obéit à la logique de rentabilité et ne prend pas en compte les paramètres tels que l'origine sociale ou ethnique des éventuels auteurs des délits. Si la privatisation est basée sur une communauté d'intérêts, le principe si cher aux libéraux, elle mettra fin au racisme sous toutes ses formes et apportera la paix sociale.

Notes :

N.B. : Les citations qui émaillent l'article ont été recueillies par l'auteur auprès de victimes et de témoins de violences policières.

1. Guy Sorman, La solution libérale, éditions Fayard, Paris, 1984, p. 213-214