Image
© Inconnu
Depuis quelques années, la CIA « arrose » toutes sortes d'organisations au Venezuela : les partis politiques de droite et un ensemble d'associations présentées comme émanant de la 'société civile' mais qui en réalité servent de paravent pour attaquer le gouvernement et préparer son renversement « à la chilienne ». (Extrait du livre Les sept péchés d'Hugo Chavez de Michel Collon)

2002 : Washington derrière le coup d'Etat

L'affrontement est devenu inévitable. Et il se prépare depuis Washington. Le 25 février 2002, Charles Shapiro est désigné comme nouvel ambassadeur des Etats-Unis à Caracas. Ce n'est pas n'importe qui. Ca fait vingt-quatre ans qu'il s'occupe de l'Amérique Latine. Il était conseiller militaire à l'ambassade US de Santiago du Chili lors du coup d'État fasciste contre Allende en 1973. Il a été en poste cinq ans au Salvador au plus fort de la répression militaire dans ce pays.

Au même moment, plusieurs hauts gradés de l'armée vénézuélienne appellent publiquement à se débarrasser de Chavez. Ils sont soutenus par la hiérarchie de l'Eglise catholique, toujours très proche des États-Unis et de la haute bourgeoisie locale. Les évêques refusent le dialogue proposé par le gouvernement. En février également, Carlos Ortega, leader du syndicat droitier CTV, rencontre à Washington les dirigeants du syndicat AFL-CIO. Comme il a été démontré par des historiens (1), ce syndicat a souvent servi d'intermédiaire pour transmettre des fonds de la CIA à des organisations d'opposants dans certains pays sensibles.

Au Chili, par exemple, l'AFL-CIO a aidé l'administration Nixon et les multinationales US à renverser le gouvernement d'Unité Populaire : transferts de fonds vers les mouvements contre-révolutionaires : plus de huit millions de dollars selon le New York Times du 24 septembre 1974, création de groupes paramilitaires pour terroriser les militants de gauche, assistance à la grève des propriétaires de camions qui paralysa l'économie pour créer le chaos, formations en leadership c'est-à-dire à l'agitation anti-Allende... Henry Kissinger a reconnu que les programmes d'éducation en question avaient été un élément important de la politique US contre le Chili. (2)

Bref, au niveau de ces dirigeants, on devrait plutôt parler d'AFL-CIA. Mais l'élément-clé du complot anti-Chavez est incontestablement Otto Reich... Un fameux passé ! Il a joué un rôle décisif dans la déstabilisation du gouvernement de gauche au Nicaragua dans les années 80. Il est en étroite relation avec Orlando Bosch, un des plus grands terroristes du continent latino-américain, impliqué dans l'attentat contre un avion de ligne cubain en 1976, l'assassinat du général chilien Letellier en 1978 et de nombreux autres actes terroristes. C'est à un tel homme que George Bush a confié le poste de vice-ministre US des Affaires étrangères pour l'Amérique Latine entre 2002 et 2004. En ce début de l'année 2002, Otto Reich se réunit fréquemment avec les chefs de l'opposition vénézuélienne. Et particulièrement avec Pedro Carmona, président de Fedecamaras, la fédération des patrons.

La CIA accusée par ses propres documents

Depuis quelques années, la CIA « arrose » toutes sortes d'organisations au Venezuela : les partis politiques de droite et un ensemble d'associations présentées comme émanant de la « société civile » mais qui en réalité servent de paravent pour attaquer le gouvernement et préparer son renversement « à la chilienne » : Consorcio Justicia, Accion Campesina, Assamblea de Educacion, Centro al Servicio de la Accion Popular, Instituto Prensa y Sociedad, Associacion Civil Justicia Alternativa, Fundacion Justicia de Paz...

Pour se dissimuler, ces financements de la CIA transitent par diverses fondations-écrans. Dont la principale s'appelle NED : National Endowment for Democracy, un organisme étroitement contrôlé par la présidence et le Congrès des États-Unis. Durant les premiers mois de 2002, les montants versés augmentent énormément.

Comment le sait-on ? Dans son livre Code Chavez - CIA contre Venezuela, l'avocate new yorkaise Eva Golinger a publié de nombreux documents provenant des administrations US elles-mêmes et prouvant l'implication de la CIA dans le coup d'État de 2002 (de même que dans les tentatives suivantes pour renverser Chavez). Les noms des agents, les institutions qui servent de paravents et même les montants versés, tout figure dans ce « mode d'emploi du parfait coup d'Etat ». (3)

Les documents que Golinger a réussi à obtenir démontrent noir sur blanc que la CIA est au courant de tous les préparatifs du coup d'État. Dans un rapport envoyé le 5 mars à Washington, il est écrit : « L'armée aussi est divisée en ce qui concerne le soutien à Chavez... Il sera difficile d'organiser un coup d'État. » Le 1er avril, puis le 6 avril, des rapports assez largement diffusés parmi les hauts fonctionnaires US sont très précis : « Des factions militaires dissidentes, comportant quelques officiers de haut rang mécontents intensifient leurs efforts pour organiser un coup d'État contre le président Chavez, probablement au début de ce mois. Les plans détaillés mentionnent l'arrestation de Chavez et de autres hauts responsables. »

Bien sûr, les États-Unis nieront - comme d'habitude - être impliqués dans le coup d'État. Mais il suffit de constater à travers leurs propres documents, qu'ils étaient au courant des tous les préparatifs, et qu'ils n'ont en rien averti le gouvernement légal vénézuélien. Bien plus, ils ont augmenté leurs financements aux organisations putschistes.

Le 7 avril, le président Chavez destitue six dirigeants de PDVSA pour mauvaise gestion, malversations financières et application d'une politique contraire à celle de l'État. Il en a le droit puisque la société publique du pétrole est placée sous l'autorité de l'État. Le 9 avril, le syndicat CTV et le patronat appellent - ensemble ! - à une grève générale. Le 10, ils la proclament d'une durée indéfinie, c'est-à-dire en fait jusqu'au renversement de Chavez. Les télés privées diffusent l'appel à la rébellion d'un des plus haut responsables militaires, le général Nestor Gonzalez Gonzalez.

Le premier coup d'Etat mis en scène par la télévision

Dès sa préparation, les médias privés vénézuéliens ont joué un rôle décisif dans le coup d'État militaire. Dès le 7 avril, quand le patron des patrons et son allié syndical annoncent leur grève générale pour évincer Chavez, le directeur du quotidien El Nacional, Miguel Enrique Otero, s'enthousiasme à leurs côtés au nom des médias : « Nous sommes tous dans cette lutte pour la défense du droit à informer. »

Le 10, l'édito du même quotidien lance un appel à l'émeute : « Prenons la rue ! » « Pas un pas en arrière », proclament les annonces diffusées par Globovision. « Tous à la marche le jeudi 11 à 10 heures du matin ! Apporte ton drapeau. », martèlent les pubs d'une autre chaîne.

Le jeudi 11 avril, le syndicat CTV et la fédération patronale organisent une énorme manifestation, soutenue par les grands médias privés. Elle part, comme par hasard, des locaux de PDVSA et se dirige vers le centre. Mais, en cours de manifestation, le dirigeant syndical pro-US Ortega appelle à se rendre au palais présidentiel de Miraflores. Où sont rassemblés des milliers de manifestants venus soutenir leur président. Ca sent la provocation...

Tout-à-coup, au lieu dit Puente Llaguno, où l'Avenida Urdaneta enjambe l'Avenida Baralt, des tirs sont déclenchés. Plusieurs manifestants chavistes sont tués. Ainsi que deux manifestants dans le cortège de l'opposition. D'où proviennent ces tirs ? Des chavistes, prétendent tout de suite les télévisions privées. Elles montrent des images de trois manifestants chavistes tirant au revolver. En direction, disent-elles, des manifestants de l'opposition. Manipulation incroyable. Car, sur les images que les mêmes télévisions ont présentées en direct, on a pu voir que les manifestants chavistes sont au contraire pris pour cibles par les premiers tirs et qu'ils se couchent par terre en essayant d'échapper à ces tirs. Même le quotidien d'opposition El Nacional le confirme dans son édition suivante : « Les premières victimes provenaient des rangs pro-chavistes. »

De plus, les deux cortèges sont séparés par plusieurs centaines de mètres. Impossible avec de simples revolvers d' atteindre l'autre cortège, il faut des fusils à longue portée. De plus, quand on examine les lieux, on constate qu'entre les deux cortèges, il y a... des immeubles, que les balles ne peuvent évidemment avoir traversés !

Les snipers de la CIA

Que s'est-il vraiment passé ? En fait, les putschistes avaient placé plusieurs snipers en haut des immeubles du quartier. C'est de là qu'on tirait. C'est seulement après ces attaques meurtrières que trois manifestants chavistes ont utilisé leurs revolvers pour riposter. Tirant depuis le pont sur l'unité blindée de la Police qui s'avance par l'autre avenue. Parce qu'ils croient que ce sont ces policiers (dirigés par un maire d'opposition) qui ont tiré sur eux.

D'ailleurs, quand la foule se précipite vers les bâtiments d'où on a tiré, elle parvient à mettre la main sur sept snipers qui seront remis à la Justice. Parmi eux, un citoyen des États-Unis, Robert McNight, un Colombien et cinq hommes apparemment vénézuéliens (mais certains sont en possession de faux papiers). Très rapidement, le contre-amiral Carlos Molina Tamayo, putschiste, ordonnera de les libérer, et ils quitteront immédiatement le Venezuela.

Aussitôt, les images sont remontées en studio avec un commentaire truqué. La manipulation consiste tout simplement à inverser l'ordre des images. On passe d'abord les trois chavistes tirant sur la police. Ensuite seulement, les images de victimes. Et on fait croire que ce sont les trois chavistes qui ont tué les manifestants du cortège de l'opposition. Pour imposer cette version, les putschistes ferment de force la télé publique et une télé communautaire de quartier, Catia TV.

La scène, passée en boucle, inlassablement, va bouleverser la population. Maurice Lemoine, du Monde Diplomatique, était sur place et dénonce la manipulation de ces télés : « Tirée de son contexte, diffusée en continu par toutes les chaînes de télé, cette scène a permis d'affirmer que le 11 avril, les partisans de Chavez, rebaptisés 'snipers' ('franco-tiradores'), avaient tiré sur une foule désarmée. En réalité, on voit clairement sur mes photos qu'il s'agit du contraire : c'est la masse des sympathisants de Chavez qui se protège, en se baissant, pour échapper aux tirs des snipers. » (4)

Version confirmée par les images tournées en direct par les télés de l'opposition. On y voit très clairement les chavistes essayant d'échapper aux tirs. D'ailleurs, quelques mois plus tard, deux reporters de ces chaînes, Luis Alfonso Fernandez (Venevision) et Del Valle Canelon (Globovision), confirmeront que les premières victimes étaient des chavistes.

Des morts programmés

Dans l'après-midi de cette funeste journée, le contre-amiral Hector Ramirez Perez lit une proclamation déplorant la mort de civils innocents et dénonçant une conspiration macabre de Chavez qui a provoqué, dit-il, la mort de six Vénézuéliens assassinés par les forces gouvernementales. Ramirez Perez appelle donc à l'insurrection générale à cause des violences commises par Chavez. Émotion générale.

Mais en réalité, cette proclamation n'est pas enregistrée en direct, elle a été enregistrée... la veille ! En effet, Otto Neustald, envoyé spécial de CNN, expliquera plus tard que toute la proclamation a été enregistrée à sa résidence personnelle avant toutes les violences ! Neustald, lors d'une conférence quelques mois plus tard, affirmera très clairement qu'au moment où la proclamation a été enregistrée, aucune violence ne s'était encore produite !

« Dans la nuit du 10 au 11, ils m'ont appelé : Otto, demain le 11, il y aura une vidéo de Chavez, la manifestation ira jusqu'au palais présidentiel, il y aura des morts, vingt hauts responsables se présenteront contre Chavez et demanderont sa démission. Voilà ce qu'ils m'ont dit la nuit du 10 au 11. » Bref, tout avait été orchestré, avec la participation des grands médias d'opposition.

On le voit aussi dans leur comportement, cet après-midi là. A 15 heures, les premiers morts tombent dans les deux manifestations. Immédiatement, les télés privées diffusent la proclamation préenregistrée de Ramirez Perez accusant Chavez de ces meurtres. A 15 heures 44, Chavez prend la parole pour démentir, mais les télés privées sabotent son intervention et diffusent l'appel à l'insurrection.

Clairement, le coup d'État a été préparé à partir de l'organisation délibérée d'un massacre pour diaboliser Chavez, et avec la participation active des grands médias. Il faut signaler que dans les documents obtenus par Eva Golinger, le câble de l'ambassadeur US envoyé à Washington à propos de ces événements se retrouve complètement censuré par l'administration. Parce que la mise en scène a été préparée par la CIA ?

Notes :

1). Anthony Carew, The origins of CIA financing of AFL programs, CovertAction Quaterly, été 1999.

2). Lettre ouverte à John Sweeny, président de l'AFL-CIO, www.globalwomenstrike.net/French

3). Eva Golinger, Code Chavez, CIA contre Venezuela, Oser Dire, Liège, 2006

4). Luis Britto Garcia, Investigacion de unos medios por encima de toda sospecha, brochure VTV, Caracas.