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© InconnuPalais de justice de Paris
La schizophrénie gouvernementale atteint un tel sommet que l'on en vient légitimement à s'interroger sur notre sécurité juridique.

Le 11 janvier, le premier ministre nous convoquait à une « marche républicaine » en faveur de la « liberté d'expression » où le crayon de Charlie fut érigé en symbole national. Dès le lendemain cependant, le ministre de la Santé n'hésitait pas à ordonner, sur injonction du lobby féministe, la censure d'une fresque de salle de garde hospitalière furieusement semblable aux dessins de Wolinski. Puis l'on vit de jeunes fanfarons se faire expédier au tribunal et lourdement condamner pour des propos bravaches érigés en délits d'« apologie du terrorisme » par des magistrats fébriles.

Pis encore, le Premier ministre nous annonça soudain vouloir ériger « la lutte contre le racisme et l'antisémitisme » en cause nationale au moyen d'un projet de loi aggravant encore l'arsenal pénal accumulé depuis plusieurs décennies et qui a multiplié les délits d'opinion punis de peine d'emprisonnement dans le droit de la presse. Rendre hommage à Charlie en renforçant la censure relève de la pure aberration.

L'envie du pénal

L'idée principale du projet de loi consiste à sortir de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, pour les incorporer dans le Code pénal, les délits de provocation à la haine ou à la violence, d'injure ou de diffamation commis « à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion ». Les quelques protections spécifiques du droit de la presse concernant notamment la preuve, l'absence de comparution immédiate et de détention ainsi que des délais de prescription plus courts devraient donc être supprimées pour satisfaire l'« envie du pénal » de gouvernants déboussolés et complètement asservis à leurs clientèles communautaires. Dans le cadre de l'habituelle surenchère victimaire, l'on songe à étendre cette répression accrue aux propos « sexistes, handiphobes, homophobes et transphobes » déjà rajoutés au droit de la presse en 2004 et 2012, à la suite de débats parlementaires d'une affligeante médiocrité. L'on voit vraiment mal la cohérence entre ces délits d'outrage aux minorités sexuelles et la défense de l'esprit de Charlie Hebdo.

Politiquement correct oblige, beaucoup de ces lois scélérates n'ont pas été soumises au Conseil constitutionnel par l'opposition tandis que la Cour de cassation a refusé de les renvoyer au motif que la question de leur conformité à la Constitution ne serait pas « sérieuse » (sic). Toutefois, en validant l'extension de trois mois à un an du délai de prescription des délits institués par les lois Pleven et Gayssot, le Conseil constitutionnel a montré, en 2013, qu'il ne souhaitait nullement imiter la belle intransigeance de la Cour suprême américaine, qui n'accepte aucune censure en affirmant fièrement : « Notre nation a fait le choix de protéger le discours même blessant sur des questions publiques pour assurer que le débat public ne soit jamais étouffé. » Le Conseil d'État français n'a pas non plus brillé par son libéralisme en validant l'interdiction administrative préventive du spectacle de Dieudonné décidée en 2014 sur ordre d'un ministre de l'Intérieur peu « voltairien ».

Tyrannie des minorités

La Cour européenne des droits de l'homme avait affirmé, dans un bel arrêt de 1976, que la liberté d'expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population », mais sa jurisprudence ultérieure s'est révélée hésitante et décevante. L'expérience montre donc que les garanties juridictionnelles de la liberté d'expression fonctionnent mal et que les juges sont aussi perméables à la « tyrannie des minorités » que les décideurs politiques.

Cet arsenal répressif n'est pas seulement antilibéral, il est aussi antirépublicain en ce qu'en accordant une protection pénale spécifique aux minorités ethno-raciales, religieuses ou sexuelles il porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi « sans distinction d'origine, de race et de religion » qui pose que « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce sont, en effet, de véritables privilèges, au sens étymologique de « lois privées », qui sont accordés à des communautés, au mépris des valeurs républicaines dont on prétend se parer. Cette inégalité est encore aggravée par le fait que les associations militantes sont habilitées à se constituer partie civile et donc à déclencher l'action pénale en faisant peser sur la société un véritable terrorisme judiciaire. Le droit commun de tous les Français se mue ainsi en droit communautaire. Lorsque, à l'occasion du débat sur la répression de la « transphobie », le sénateur socialiste Alain Richard a rappelé : « Il n'est pas conforme aux principes de la République de frapper plus lourdement le coupable suivant que la victime appartient à une catégorie ou à une autre. La loi ne discrimine pas ! », nul ne l'a entendu dans un hémicycle où l'on ne sait même plus ce que République veut dire.