Image
© Agence photohohost
Un projet de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) autorisé par Nicolas Sarkozy il y a sept ans et poursuivi sous François Hollande constitue une raison de plus pour le président français d'étouffer l'affaire, annonce le Nouvel Observateur dans une enquête journalistique.

Scandalisée par les écoutes américaines, la France n'est pas non plus innocente

Le Nouvel Observateur a pu révéler cette histoire grâce aux témoignages anonymes de plusieurs responsables actuels et passés. Il s'agit d'un plan top secret que L'Obs révèle désormais au grand public. Il s'agit d'après l'hebdomadaire d'une" vaste entreprise française d'espionnage que la loi sur le renseignement, adoptée le 24 juin, vient de légaliser en catimini".

La genèse du programme français d'écoutes illégales

Même si pendant les années 1980 et 1990, la DGSE a bien joué sa mission d'espionnage, en investissant massivement dans des systèmes d'interception satellitaires, le progrès a mis la France en retard : désormais, 90% des échanges mondiaux ne passent plus par des satellites mais par des câbles sous-marins de fibre optique, tirés entre les continents.

La NSA a su vite s'adapter. Après le 11 septembre, elle a dépensé des milliards de dollars pour espionner ces nouveaux canaux. Tout comme ses alliés en matière d'interception (Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Australie et Canada), qui forment ensemble les "Five Eyes"(5 yeux), club très select de "Grandes Oreilles" qui ont des obligations réciproques.

Pourtant, avec l'arrivée de Nicolas Sarkozy et avec lui de Jean-Claude Mallet, un conseiller d'État que le nouveau président avait chargé de rédiger un Livre blanc de la Défense, ainsi que le nouveau directeur technique de la DGSE, Bernard Barbier, arrivé en 2006, la France fait tout pour rejoindre le club et devenir ainsi le "sixième œil". Même si l'ancien président a hésité un peu, considérant le prix énorme que coûterait l'écoute ainsi que la légalité douteuse de l'entreprise. Cependant, l'utilité de ce programme est certaine. Le président français apprend à son retour de Moscou que Mikhaïl Saakachvili, "le chef de la petite République caucasienne, qui doit lui être reconnaissant" d'avoir joué les faiseurs de paix entre Poutine et le président géorgien, se moque de lui lors d'une communication interceptée avec un proche d'Obama. Depuis, la décision est prise, "grâce aux précieuses écoutes, le chef de l'État sait désormais à quoi s'en tenir avec son Micha ".

De plus, les deux hommes politiques apportent des arguments solides: "il serait stupide - alors que la menace terroriste s'accroît et que la guerre économique fait rage - que les services spéciaux français ne profitent pas de la situation géographique exceptionnelle de notre pays." Il ne reste qu'à trouver des astuces pour "couvrir" légalement l'opération et de tout faire pour que personne, sauf les espions et une poignée de hauts fonctionnaires, ne soit au courant de cette entreprise.

De nouvelles règles

Sitôt dit, sitôt fait, même si cela a été un vrai casse-tête pour les juristes et a requis l'élaboration de certaines règles. La première de ces règles est que "la CNCIS ne sera pas consultée écoute par écoute - seulement pays par pays. L'actuel patron de la commission, Jean-Claude Delarue, refuse de confirmer publiquement cette procédure classée secret-défense". D'après le Nouvel Observateur, le dirigeant a donné son feu vert pour l'interception du trafic câble en provenance d'une quarantaine de pays dont, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, l'Iran, l'Irak, la Syrie, l'Arabie saoudite, sans oublier des puissances mondiales comme la Russie, la Chine et les États-Unis.

Autre règle : la CNCIS a un nombre restreint de prétextes pour l'interception : le terrorisme, la prolifération nucléaire ou les grands contrats. "Elle a toujours refusé les demandes d'écoutes destinées à l'espionnage économique ou politique d'un pays de l'Union européenne", affirme un ancien responsable de la DGSE, bien qu'il reste toujours la possibilité d'écouter sans le dire à personne. "A la différence de la NSA, nous n'écoutons pas Angela Merkel, assure la même source. Mais si le président de la République ou le premier ministre nous l'ordonnaient, nous le ferions quoi qu'en dise la commission de contrôle", explique la source.

Image
© SputnikL'écoute, qualité essentielle entre alliés
Techniques employées et consécration

La procédure n'est pas simple : des stations clandestines sont installées par la DGSE sur les côtes françaises pour "écouter" les câbles sous-marins. Ainsi, des ordinateurs très puissants trient une information acquise: "tous les jours des dizaines de millions d'e-mails, de SMS, d'échanges par Skype, WhatsApp, Facebook... Ils isolent automatiquement, par numéro de téléphone ou adresse IP, les échanges des individus visés. Un logiciel reconnaît les voix, un autre traduit" précise "L'Obs".

Pourtant, ce programme n'est pas destiné qu'à lutter contre le terrorisme, loin de là. Il vise aussi des acteurs diplomatiques, politiques et économiques. Un ancien haut responsable explique :
"Certains groupes français ont accès aux écoutes concernant les grands contrats en négociation. Des cadres de l'entreprise, habilités au "secret-défense", souvent des anciens de la DGSE, peuvent venir consulter celles qui les concernent sur place, dans ce que l'on appelle le "salon de lecture", situé dans le pavillon des relations extérieures, boulevard Mortier. Beaucoup ont remercié le service."
Leur succès devient tel que la NSA propose à la France de rejoindre le "Five eyes". Même si son adhésion n'a pas lieu, M. Sarkozy insistant sur no-spy agreement, interdisant aux membres du club de s'espionner mutuellement. Le patron de la NSA était d'accord, mais pas celui de la CIA qui voulait continuer à espionner la France.

Un programme légalisé sous Hollande

Arrivé au pouvoir, François Hollande ne remet pas en question cette affaire peu légale. Au contraire: "à partir de 2012, les principaux artisans de l'extension des grandes oreilles et des accords avec les Anglo-Saxons sont nommés à des postes clés de l'appareil sécuritaire : Jean-Claude Mallet devient conseiller spécial de Jean-Yves Le Drian et, de fait, ministre bis de la Défense; proche du nouveau président, Bernard Bajolet prend, lui, la tête de la DGSE".

Climat de suspicion généralisé et risques

Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat National des Journalistes, commente cette avalanche de révélations concernant le rôle d'espion d'un État à l'autre et les conséquences possibles de la loi sur le renseignement dans une interview pour Sputnik.

La journaliste dénonce "l'hypocrisie de la loi sur le renseignement doublée d'une autre hypocrisie", celles des États qui s'entrespionnent. Il fait appel à la prise de conscience de la population, car la pratique d'écoute légalisée peut mener à de graves conséquences.

"Il est à espérer que les citoyens se rendent un petit peu plus compte des attaques qui sont faites contre leur liberté pour des motifs futiles et faux", constate la journaliste. D'après Mme Pradalié les citoyens ont deux options. La première est de se "soulever contre cet espionnage qui en fait vise à espionner les Français dans tout ce qu'ils ont de plus intime et de plus politique", et la seconde est de développer des techniques pour s'y opposer et veiller à ce que le droit à la vie privée soit préservé.

La journaliste souligne que "s'il n'y pas de prise de conscience, dans dix ans il n'y a plus de journalistes" parce qu'il sera impossible de protéger le secret des sources et donc c'est aussi les médias qui en souffriront. La liberté d'expression ne sera plus possible, car ce sont les journalistes qui seront désormais les plus visés par des enquêtes, car il s'agit avant tout d'un espionnage politique et syndical.