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© Yann Caradec via Flickr (CC BY-SA 2.0)Feux d’artifice du 14 juillet 2013 sur le sites de la Tour Eiffel et du Trocadéro à Paris, vus de la Tour Montparnasse
La fête nationale a peu à peu perdu sa signification pour devenir un vulgaire instrument politique destiné à sublimer la domination de l'État français dont les fondements et agissements n'ont plus rien à voir avec les idéaux révolutionnaires.

Histoire et contexte

De toutes les fêtes et autres commémorations, le 14 juillet est sans doute devenu la plus risible et hypocrite. Comme à chaque année, les médias vont nous abreuver d'anecdotes sur les origines de la fête nationale. On y commémore, paraît-il, deux événements majeurs de notre histoire collective. Tout d'abord la prise de la Bastille. En 1789, les populations parisiennes se soulèvent pour s'emparer de la célèbre prison qui symbolise l'arbitraire et la tyrannie de la monarchie absolue. Un mois plus tard, les privilèges sont abolis. La France danse, chante et célèbre la victoire de la liberté, de l'égalité et de la fraternité sur le despotisme et le corporatisme. L'année suivante survient la fête de la fédération destinée à unir tous les Français sous une même bannière. Le Roi prête serment à la Nation, devenue la principale source de légitimité politique.

En réalité, le choix de cette date a été plus compliqué. Nous sommes en 1880. Dix ans après l'humiliante défaite française face à la Prusse de Bismarck, la classe politique française cherche à mobiliser de nouveaux totems pour garantir l'intégrité d'un régime républicain somme toute un peu fragile. La naissance de la République n'engendre à l'époque que très peu d'enthousiasme. Les Républicains ne contrôlent véritablement les institutions qu'après le départ de Mac Mahon en 1879. Sur quelle date faut-il se mettre d'accord ? Le socialiste Louis Blanc propose le 24 février 1848. Mais l'assemblée peine à être convaincue par une révolution détournée qui aboutira quatre ans plus tard au second empire. Les trois glorieuses ne satisfont pas la classe politique en raison du fait qu'elles débouchent sur un régime orléaniste. La victoire de Valmy et l'année 1792 sont discréditées par les massacres de septembre. Ne reste plus que l'année 1789. La prise de la Bastille puis finalement la fête de la fédération reçoivent par élimination les suffrages des députés. Elle symbolise la réconciliation nationale autour de la conquête de la liberté par le peuple français.

L'insolence de l'État français

La conquête de la liberté est donc le fondement des manifestations du 14 juillet. Il est aujourd'hui difficile de réfléchir au sens de cette date sans penser à son usurpation par l'État français dont l'insolence est apparemment illimitée. Par l'emploi de moyens militaires extravagants dignes des autocraties en manque de plébiscite, ce dernier se plaît à célébrer l'acquis de principes qu'il ne cesse de piétiner quotidiennement. Quelques semaines après l'adoption par l'Assemblée nationale d'une loi qui officialise la surveillance de masse, la machine gouvernementale ose célébrer la victoire de la liberté sur l'arbitraire monarchique. Toujours dans la même perspective, elle se félicite d'avoir aboli les privilèges deux siècles plus tôt pendant que les corporatismes et les statuts particuliers tuent justement ce pays à petit feu. Les socialistes et conservateurs d'aujourd'hui sont les royalistes d'hier. Les premiers ont beau différer sur le papier en dissimulant la vacuité de leur projet de société derrière le masque de la novlangue républicaine, cela n'y change rien.

Cela est d'autant plus vrai que notre régime politique gaulliste est quoi qu'on en dise le plus monarchique d'Europe. La fête nationale a peu à peu perdu son sens, sa signification. Elle est devenue un vulgaire instrument politique destiné à sublimer la domination de l'État français dont les fondements et agissements n'ont plus rien à voir avec les idéaux révolutionnaires. On priera donc les quelques chauvins en accord avec ces triviales festivités, destinées à divertir par la diversion, de ne pas enrôler toute la population pour assouvir les délires mégalomanes et militaristes d'une classe politique assoiffée de pouvoir. Une bonne action consisterait déjà à cesser de financer ces délires chauvins par la fiscalité pour solliciter le crowd funding. Ce serait une profonde marque de respect pour tous ceux qui préfèrent en ce 14 juillet, à l'instar de Georges Brassens, rester dans leur lit douillet.