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Bousculade dans le tunnel de tranquillité et de farniente mou de ce mois d'août : une tentative d'attentat dans un train relance la piste selon laquelle des gens, en France, ne voudraient décidément pas se laisser couler dans le vivre-ensemble républicain officiel. Le gouvernement, tout secoué devant cette charge anti-câlins et la stupeur une fois estompée, se mobilise et rassure tout le monde : ne vous inquiétez pas, on va faire ce qu'il faut !

Les chaînes de télé, l'AFP, les journaux et les sites internet se relaient maintenant sans relâche pour résumer la sordide affaire avec toute la masse d'informations dont on dispose à présent : Ayoub El Kahzani Jean-Eudes (le prénom a été changé) aurait pénétré dans le Thalys reliant Paris à Amsterdam, armé d'un kalashnikov fusil d'assaut, d'un 9 mm pistolet automatique, de neuf chargeurs et d'un cutter lame rétractable 18 mm disponible en vente libre pour 4.90€ à Leroy Merlin ou Bricorama (je dis ça, je dis rien).

Pour le moment, on ne sait donc pas encore tout à fait si :

- c'est un déséquilibré
- c'est un client mécontent des services SNCF
- c'est un employé de Blablacar voulant discréditer un concurrent
- c'est un loup solitaire
- c'est un fanatique d'armes à feu blanc américain gavé de neuroleptiques
- c'est un extrémiste islamique revenu de Syrie et déjà défavorablement connu des services de police.

Et avant de dresser quelque conclusion que ce soit, restons donc prudents.

Oui, restons prudents, notamment en n'évoquant pas l'absence totale de la moindre arme à feu dans le Thalys à l'exception du terroriste. On rappellera que grâce à la stricte interdiction de tout port d'arme en France, et son évidente efficacité pour éviter, comme dans d'autres pays, la répétition macabre de fusillades diverses avec des zarmes lourdes, le pays bénéficie d'une sécurité assurée à tous les niveaux.

Restons prudents parce que les motifs de l'individu sont encore flous (mais si, mais si). Certains, n'hésitant pas à se vautrer dans l'amalgame, ont déjà conclu un peu vite qu'il tentait là une attaque terroriste typique. Pourtant, interrogé, il semble qu'il explique son geste assez peu républicain par la volonté de faire un braquage, chose qui est à la fois plus lucrative et nettement plus compatible avec le vivre-ensemble français.

Bon, ce n'est pas tout à fait dans la poche, mais avec un bon avocat, et — qui sait — l'aide d'un éditorialiste engagé comme Edwy Plenel qui lui trouvera certainement un problème grave dans son enfance, il semble envisageable que notre trublion s'en sorte avec une peine adaptée (et puis après tout, il n'y a pas eu mort d'homme, hein, ahem broum broum). Notez au passage que s'il avait admis la vérité, à savoir qu'il attaquait la SNCF pour une accumulation de retards invraisemblables et des tarifs illisibles, évidemment, c'était quasiment injouable et le rétablissement de la peine de mort n'aurait pas été exclu.

Restons prudents aussi en conservant à l'esprit que grâce aux efficaces services de renseignements, toutes les informations nécessaires à la traque de ce dangereux spécimen ont déjà été rassemblées et que la récente Loi Renseignement a permis d'interpeller avec brio ce petit comique qui croyait pouvoir se procurer zarmes lourdes et autres cutters sans attirer l'attention. Bernie Les Grandes Oreilles veille, je vous le rappelle.

(Au passage, notez l'emploi rigologène et systématique du groupe nominal zarme lourde pour désigner les kalashnikovs, armes légères par définition. Journalistiquement, tous les moyens sont bons pour faire passer le message que les armes, c'est abominable, et que les terroristes n'ont vraiment aucune limite dans l'horreur. C'est grotesque.)

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Restons donc prudents.

Et toute cette prudence m'amène bien naturellement à parler de la sécurité, cette si chère sécurité que l'État, normalement, nous doit, à nous citoyens, en l'échange de nos impôts et, aussi, de notre obéissance.

Or, force est de constater (toujours avec prudence, hein, bien sûr) que les aimables contingents de militaires qui glandouillent actuellement dans les gares ... n'ont servi à rien. Force est de constater que si la tapisserie vivante qu'ils offrent aux yeux des voyageurs permet de les rassurer à bon compte, ils sont en réalité plus souvent là pour protéger des bâtiments institutionnels, des VIP politiques, que les citoyens qui, de leur côté, ne recevront essentiellement qu'une longue facture.

Eh oui, rappelez-vous (toujours avec prudence) que vous payez des impôts pour cette prétendue sécurité, celle-là même qui semble faire cruellement défaut dans à peu près tous les endroits publics que vous fréquentez. Rappelez-vous que vous votez pour des clowns colorés (pas toujours avec prudence, du reste), précisément parce qu'ils prétendent apporter des réponses à ce sujet. C'est évidemment une énorme bêtise, ceci menant directement au fascisme (auquel vous aurez d'ailleurs droit, ça tombe bien) en n'apportant aucune espèce de sécurité palpable et individuelle.

Peut-être (et je le dis avec prudence) est-ce parce que cette sécurité de chacun ... ne dépend en définitive que de vous-même. Or, et c'est là le plus croustillant (et aussi le moins prudent), en parallèle, ces mêmes guignols poussifs — pour lesquels vous avez joyeusement voté — vous interdisent de plus en plus vocalement et légalement de vous protéger vous-même.

Je passerai ici (pudiquement et avec prudence) sur les nombreux cas de légitime défense qui se termineront au cachot pour celui qui tentera d'en faire usage, sur les nombreux cas où l'attaquant, devenu à son tour victime d'une proie qui n'a pas voulu se laisser faire, se retourne via la justice contre le citoyen trop bien préparé, et gagne, ou plus à propos avec cette affaire, sur les cas où les citoyens, soigneusement désarmés et écouillés par les autorités et cette curieuse justice, se retrouvent en slip devant un attaquant qui n'a pas eu, lui, de scrupules pour se procurer armes et munitions.

En tout cas, la suite apparaît évidente.

À moyen et long terme, puisque la sécurité individuelle n'est absolument pas envisageable (ce serait avouer l'impuissance d'un État pourtant en faillite sur toute la ligne), les portiques de sécurité sur tous les trains façon aéroports, c'est pour bientôt. Dans ces conditions, prendre le train équivaudra à prendre l'avion, la rapidité en moins. Un régal.

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À plus court terme, rassurez-vous, il ne se passera rien, ou à peu près, tant les clowns politiques sont déjà occupés à récupérer l'affaire à très grande vitesse, avec des propositions à la fois réalistes, opérationnelles, et pas du tout inquiétantes. Quant à la SNCF, elle a déjà une réponse idoine ébouriffante : elle va mettre en place une ligne téléphonique dédiée. C'est si mignon.

Malheureusement, tout ceci démontre encore une fois l'inanité des mesures prises par l'État, tant dans la prévention, le renseignement ou la gestion de crise en général. La société (française notamment) a choisi de collectiviser la sécurité, de désarmer les citoyens, de déléguer toutes les responsabilités à un nuage d'intervenants tous plus festifs, frétillants et éco-conscients les uns que les autres, tous à l'écoute (dans tous les sens du terme) mais tous parfaitement inaptes.

Et finalement, on ne protège personne.