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© AFP Des chars d’assaut T-90, le dernier modèle en date de l’armée russe, paradaient à Moscou à l’occasion de la commémoration de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, le 9 mai dernier
Protéger « l'Alaouistan », combattre l'organisation État islamique mais aussi se mettre au centre du jeu diplomatique semblent être les motivations qui ont poussé les Russes à accentuer leur investissement militaire en faveur du régime Assad.

Ce n'était au départ qu'une rumeur, seulement reprise par quelques médias anglo-saxons comme le Daily Beast. Mais plus les jours ont passé, plus les faits se sont accumulés, plus les chancelleries ont réagi et plus la rumeur s'est transformée en évidence : des troupes russes sont effectivement présentes sur le sol syrien. Selon des propos rapportés hier par deux responsables de l'administration américaine, interrogé par Reuters, la Russie a déployé sept chars T-90 sur un terrain d'aviation près de Lattaquié. Cette nouvelle vient s'ajouter à une série d'informations concernant un important déploiement militaire russe en Syrie : construction d'une piste d'atterrissage à Lattaquié, transport de préfabriqué pour loger des soldats, manœuvres de bateaux militaires russes le long de la côte syrienne, transport et livraison de matériel militaire, établissement d'une tour de contrôle, survol de drone au dessus de Lattaquié, débarquement de chars et d'avions, et d'au moins une unité d'infanterie.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a lui-même admis que les avions russes à destination de Syrie transportaient non seulement de l'aide humanitaire, mais aussi « des équipements militaires conformément aux contrats existants », signés avec le pouvoir syrien. Même s'il continue de démentir toute participation des troupes russes aux combats, confirmant par contre avoir des « experts » sur le terrain, Moscou ne se cache plus.

La visite de Suleimani

Après avoir été à l'initiative, ces derniers mois, de la relance diplomatique pour trouver une issue au conflit syrien, la Russie a bousculé le rapport de force en s'investissant directement sur le terrain, au grand dam de Washington et des Européens qui s' « inquiètent profondément » de cette nouvelle donne. Redoutable stratège, le président russe Vladimir Poutine a une nouvelle fois surpris tout le monde et dicte désormais le jeu.

D'après plusieurs médias, dont as-Safir, l'intervention de Moscou ferait suite à la visite en août dernier du général iranien Qassem Suleimani, pourtant frappé par une interdiction de visa de l'Onu. Le déploiement des troupes russes se ferait donc en coordination avec les Iraniens.

Alors que Téhéran a annoncé sa volonté de présenter un nouveau plan de paix pour la Syrie, le soutien des deux meilleurs alliés de Damas semble s'inscrire dans une volonté de renforcer, ou au moins de protéger, les positions du régime sur le terrain.

Même si l'intervention russe est sans doute motivée par plusieurs considérations, sa priorité semble être de protéger la zone de Lattaquié, fief alaouite extrêmement stratégique, fragilisée par l'offensive de l'Armée de la conquête, coalition de rebelles menée par le Front al-Nosra, branche d'el-Qaëda en Syrie, et le groupe salafiste Ahrar el-Cham. Moscou aurait d'ailleurs donné son accord pour la construction d'une nouvelle base militaire russe à Jableh, au sud de Lattaquié, selon le quotidien moscovite Nezavissimaïa Gazet, cité par Courrier International. « Le site de Jableh offrirait les conditions favorables pour une importante concentration de troupes, et l'installation d'une grande réserve d'armements et de matériel militaire », explique le quotidien russe.

Terrain d'entente

Selon Michael Weiss, éditorialiste au journal américain The Daily Beast, il ne serait pas étonnant de voir des soldats russes également participer aux combats à Zabadani, étant donné l'importance de ce fief pour « le corridor stratégique iranien ».Outre le fait de sécuriser « l'Alaouistan », les Russes pourraient être tentés de participer davantage à la lutte contre l'organisation État islamique (EI) alors que les jihadistes russes représentent le plus grand contingent européen avec plus de 2 000 engagés dans les rangs jihadistes.

Cela permettrait non seulement de trouver un terrain d'entente avec les Américains, mais aussi de relancer le projet d'intégrer le régime Assad à une nouvelle coalition contre l'EI. Le Kremlin a d'ailleurs estimé samedi qu'il n'y avait pas d' « alternative » au régime syrien pour lutter contre l'EI. Comme en Ukraine, M. Poutine se sait en position de force : ses adversaires n'ont pas de position claire et n'ont aucune intention de s'investir sur le terrain. De là à dire que M. Poutine a déjà gagné...