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Les attentats qui ont frappé la capitale dans la soirée du 13 novembre n'auront surpris que ceux qui croient à l'efficacité de « la guerre contre le terrorisme » et qui en nient les effets pervers.

En mars 2014, nous anticipions le possible retour en masse sur le territoire français de djihadistes partis combattre en Syrie et quelques temps plus tard nous mettions en question le caractère inadapté des lois antiterroristes et de celle sur le renseignement votées dernièrement. Les récents évènements nous ont, semble-t-il, donné raison. Mais on ne change pas une recette qui échoue systématiquement. En réaction aux attentats les plus violents commis sur le territoire français depuis plusieurs décennies, l'exécutif a décidé d'intensifier les frappes françaises en Syrie et il s'apprête à doter la France de la législation la plus liberticide de toute son histoire. Les conséquences en sont d'ores et déjà prévisibles : les campagnes actuelles de bombardements intensifs contre la Syrie, comme celles menées par l'administration Bush en Irak au lendemain du 11 septembre ou par Sarkozy en Lybie au printemps 2011, ne manqueront pas de susciter de nouvelles vocations de kamikazes, celles-ci étant pour une grande part réactives aux ingérences occidentales, tandis que la restriction des libertés publiques qui sonne comme un aveu de faiblesse ne fera en rien diminuer le risque terroriste, bien au contraire. Si l'état d'urgence décidé par le gouvernement n'aura sans doute aucun effet dissuasif sur les attentats, il a en revanche un impact lourd sur le tourisme et répond paradoxalement aux vœux des terroristes d'affaiblir l'économie française, ce qui ne peut que les encourager à récidiver.

Inefficace contre le djihadisme, les politiques liberticides sont en revanche bien utiles pour brider la contestation sociale et renforcer le système de domination au bénéfice de l'oligarchie qui a prévu d'utiliser l'état d'urgence contre la classe ouvrière. Et si là était leur principal objectif ?

La stratégie du choc en action

La réaction du pouvoir aux attentats du 13 novembre suit les étapes de la « stratégie du choc » analysée par Naomi Klein :
1. Survenue d'un événement majeur à fort potentiel traumatique.
2. Saturation médiatique : l'événement est passé en boucle dans les médias qui ne donnent aucune clé pour en comprendre les ressorts mais insistent sur ses aspects dramatiques à l'image du récit journalistique qui est fait des catastrophes naturelles. Les terroristes apparaissent déshumanisés et sont dépeints comme des « barbares » ce qui accentue le caractère implacable de l'événement et en empêche toute maîtrise symbolique.
3. Le public est ainsi plongé dans un état de sidération qui abolit toute réflexion.
4. La voie est libre pour le passage de dispositions liberticides, de mesures d'exception et de lois sécuritaires impensables en temps normal sur le front intérieur, et pour la guerre sur le front extérieur. Ce déploiement de force miltaro-policière bénéficie alors du soutien de l'opinion publique apeurée et demandeuse d'autorité

Commentaire : Une stratégie du choc utilisée pour les attentats du 11 septembre, ou Pearl Harbor, par exemple. Pour une analyse détaillée qui nous amènera à comprendre qu'en tirant toujours les mêmes ficelles, on actionne toujours les mêmes leviers psychologiques pour peu que l'on n'ait pas conscience du processus, on pourra lire et regarder ce qui suit :

- 11-Septembre : Le Nouveau Pearl Harbor
- « La stratégie du choc » et le contrôle mental global
- 11 Septembre, peurs et dissonance cognitive


.Ce modèle a servi de levier à la libéralisation intégrale de l'économie dans un certain nombre de pays dont le dernier en date est la Grèce, et il peut sans doute être utilisé pour comprendre la réaction des pouvoirs publics dans le cas présent. Nous avons montré que, tout comme la révolution libérale, sa sœur jumelle, la révolution sécuritaire-liberticide est un processus sans fin. De même qu'il reste toujours quelque chose à libéraliser, il est possible d'empiler à l'infini de nouvelles dispositions liberticides sans que cela ait d'ailleurs le moindre effet positif sur le niveau de sécurité. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les attentats à venir susciteront probablement les mêmes réactions que ceux du passé en ouvrant des fenêtres d'opportunité pour de nouvelles mesures de restriction des libertés publiques et celles-ci ne feront pas diminuer le risque terroriste.

Et, cerise sur le gâteau, l'islamophobie des médias attise le racisme dans la population et a d'ores et déjà provoqué de nombreuses agressions contre les musulmans depuis les attentats, pour la plus grande joie des fauteurs de guerre et des exploiteurs qui cherchent à diviser pour mieux régner.

Ni sécurité, ni liberté
Comme nous l'avions déjà montré, les politiques menées par le gouvernement actuel ont pour effet de faire diminuer à la fois la sécurité et la liberté, ce qui est sans doute inédit dans l'histoire des politiques pénales. Le laxisme judiciaire le plus débridé côtoie ainsi l'édiction de mesures particulièrement néfastes pour les libertés publiques : tandis que des émeutes dévastatrices ne donnent lieu à aucune arrestation, le gouvernement tente de pérenniser l'état d'urgence après avoir fait voter pas moins de 4 lois antiterroristes en 3 ans. Et sur le front de la lutte antiterroriste, l'échec est total si l'on en croit les déclarations de Bernard Squarcini affirmant que Valls a refusé de la part des services syriens une liste de djihadistes français combattant en Syrie. Cette erreur manifeste est à mettre sur le compte du double jeu de la diplomatie française : alliée de l'Arabie Saoudite et du Quatar qui soutiennent le terrorisme et hostile au régime syrien et à la Russie, qui combattent Daech.
L'état d'urgence, une mise en suspens de l'état de droit

L'état d'urgence est une législation d'exception qui donne à l'exécutif des pouvoirs étendus notamment pour :
- interdire des réunions, des manifestations fermer des lieux publics
- contrôler la presse et l'ensemble des publications, les films, spectacles, émissions de radio et de télévision
- instaurer des couvre-feux
- assigner à résidence des personnes considérées comme dangereuses éventuellement en usant d'un bracelet électronique
- dissoudre des groupes ou organisations contestataires
- bloquer certains sites ou réseaux sociaux
- mener des perquisitions administratives (c'est-à-dire sans l'accord d'un juge) dans des lieux publics, des véhicules ou au domicile de suspects.
Prévu pour répondre à des situations de guerre larvée ou intermédiaires entre l'état de guerre et l'état de paix, ce régime d'exception n'avait auparavant été mis en œuvre que 5 fois : 3 fois pendant la guerre d'Algérie (1955, 1958 et 1961), une fois pendant les événements de Nouvelle-Calédonie (1984) et une dernière fois au cours des émeutes particulièrement violentes de l'automne 2005. Il est activé par décret pour une durée maximale de 12 jours, durée qui ne peut être prolongée qu'avec l'accord de l'Assemblée.

L'état d'urgence un mode normal de gouvernance ?

L'objectif du gouvernement est clair : pérenniser l'état d'urgence, d'abord en ayant fait voter (quasiment à l'unanimité) sa prolongation pour 3 mois et ensuite en réformant la constitution pour le rendre pérenne sans passage par l'Assemblée, supposant que la France est plongée dans un état permanent de guerre de basse intensité. Fait exceptionnel, le Premier ministre a demandé au Sénat de ne pas saisir le Conseil constitutionnel sur le projet de loi de crainte que certaines dispositions ne soient censurées, montrant ainsi son souhait de court-circuiter les garde-fous institutionnels. Le projet de loi instituant l'état de crise répond à ce même objectif : éviter le passage par le vote pour pérenniser la mise en œuvre de mesures d'exception. Copier/coller de l'état d'urgence auquel est ajouté un volet sur la surveillance numérique, l'état de crise est supposé répondre aux contraintes de la guerre contre le terrorisme en pouvant être activé pour une durée indéterminée sans vote du Parlement à l'image du plan Vigipirate. Cette innovation législative institutionnalise la gouvernance par la peur, marchepied vers la fascisation.

Une justice préventive et expéditive

La réforme de la constitution reprend les deux objectifs majeurs des précédentes lois antiterroristes :

- Laminer les contre-pouvoirs (notamment judiciaires) et mettre en place une police administrative, simple courroie de transmission du pouvoir exécutif.
- Repérer et traquer la dissidence sociale en développant le renseignement politique (la surveillance des opposants), en bridant l'expression publique de la contestation voire en la pénalisant purement et simplement. Bref en réprimant ceux qui « ne sont pas Charlie ». L'état d'urgence a d'ores et déjà permis l'interdiction de plusieurs manifestations de la société civile, notamment celles prévues dans le cadre de la COP 21, sans lien apparent avec le risque terroriste.

Ce qui était l'exception devient ainsi peu à peu la norme : faire vivre les populations dans la peur, ou dans ce qu'on peut appeler un état de vigilance permanent, afin de justifier l'emploi de mesures autoritaires. Cette gouvernance d'un genre nouveau a déjà produit ses effets si l'on en croit les résultats d'un récent sondage réalisé avant même les attentats montrant que le besoin d'autorité se fait de plus en plus pressant dans la population française y compris pour promouvoir des réformes impopulaires. L'enjeu de ce conditionnement étant toujours de rendre la majorité complice, voire actrice, de sa propre dépossession démocratique selon le schéma classique de la servitude volontaire.