Les enfants adoptés sont stimulés par l'écoute de leur langue natale, même s'ils ont cessé d'y être exposés.

langue maternelle adoption
© Photo: Manu Fernandez Associated Press « Nos résultats ne permettent pas d’affirmer qu’il s’agit d’un avantage [pour les adoptés] qui faciliterait l’apprentissage d’une autre langue », nuance la chercheuse Laura Pierce.
Le cerveau des enfants chinois ayant été adoptés par des familles francophones analyse les sonorités de la langue française différemment de celui des unilingues francophones de souche, mais de façon similaire à celui des bilingues en chinois et français.

Cette découverte réalisée par des chercheurs de l'Université McGill et qui est publiée dans la revue Nature Communications démontre que l'exposition à sa langue maternelle après la naissance laisse des traces indélébiles dans le cerveau, et ce, même si cette langue n'a été entendue que quelques mois avant de disparaître complètement de l'environnement de l'enfant.

«Durant la première année de vie, le cerveau de l'enfant est prédisposé à accumuler et entreposer des informations de base sur les sons de la langue qu'il entend autour de lui. Cela permet aux bébés d'apprendre à reconnaître les sons qui sont importants dans leur langue maternelle», explique Lara Pierce, doctorante à l'Université McGill et première auteure de l'article. Durant cette première étape du développement du langage, des représentations neuronales de ces sons sont établies dans le cerveau. Les chercheurs de McGill ont démontré dans une étude antérieure que ces représentations persistent dans le cerveau même si les enfants délaissent leur langue maternelle pour en apprendre une autre.

Ils ont en effet observé que le cerveau des enfants chinois ayant été adoptés par des familles francophones réagissait de la même façon que celui d'enfants chinois parlant également le français quand ils entendaient des sons chinois. «L'écoute de ces sons induisait l'activation de la circonvolution temporale supérieure gauche qui est impliquée dans le traitement des langues tonales, comme le chinois», précise Mme Pierce.

Cette fois, les chercheurs ont voulu savoir si l'exposition à sa langue maternelle, si brève soit-elle, influençait aussi la façon dont le cerveau traitait les sons d'une autre langue apprise plus tard dans la vie.

Pour ce faire, ils ont fait appel à l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour examiner l'activité du cerveau de trois groupes d'enfants âgés de 10 à 17 ans. Les sujets du premier groupe étaient nés et avaient grandi dans des familles unilingues francophones. Ceux du deuxième groupe avaient été adoptés de Chine dans une famille francophone avant l'âge de trois ans, et ensuite n'avaient entendu et parlé que le français. Les adolescents du troisième groupe appartenaient à des familles chinoises, ils avaient appris le français au même moment que les sujets adoptés et ils continuaient à parler les deux langues.

Activité cérébrale

Pendant qu'on enregistrait l'activité de leur cerveau, les participants devaient reconnaître des sons (deux syllabes) de la langue française. Tous les participants ont très bien réussi la tâche, mais c'est l'activité cérébrale générée qui a différé entre les groupes. Chez les unilingues francophones qui n'avaient jamais été exposés au chinois, toutes les régions cérébrales impliquées dans le traitement des sons associés au langage étaient activées, soit la circonvolution frontale inférieure gauche et l'insula antérieure.

Chez les adolescents bilingues (français et chinois), de même que chez les adoptés unilingues francophones qui n'avaient plus été exposés à leur langue maternelle chinoise depuis leur adoption, l'activation de ces mêmes régions cérébrales était nettement moindre, mais elle s'accompagnait de celle de régions habituellement associées à des tâches de mémoire non verbale, à l'attention et au contrôle cognitif. Ces résultats suggèrent donc que «les adolescents ayant été exposés au chinois durant leur petite enfance traitent le français d'une façon différente des unilingues francophones depuis leur naissance, et qu'ils font appel à des systèmes neuronaux différents pour atteindre le même niveau de performance», explique Mme Pierce.

Des bénéfices ?

«Ils fournissent ainsi des signes évidents que des représentations neuronales acquises durant les tout premiers stades de développement de l'enfant sont maintenues au cours du temps, et ce, même en l'absence d'une exposition continue à la source d'information. Et que ces patrons neuronaux ont un impact sur le traitement des sons d'une autre langue apprise ultérieurement», expliquent les auteurs de l'article.

«Nos résultats ne permettent pas d'affirmer qu'il s'agit d'un avantage [pour les adoptés] qui faciliterait l'apprentissage d'une autre langue. Mais il y a plusieurs études visant à identifier les bénéfices qu'apporte le fait d'être bilingue qui ont mis en évidence certains avantages de ce genre. Mais il nous faut effectuer d'autres études pour le confirmer», prévient la jeune chercheuse.