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© REUTERS/Francois Lenoir
Au moins une personne assignée à résidence l'aurait été, abusivement, sur la base de recherches effectuées sur Google. L'assignation a été levée trois semaines plus tard à la demande de son avocat.

« C'est une quasi-certitude », nous confie l'avocat marseillais Me Laurent Bartolomei. Pour décider d'assigner à résidence l'un de ses clients au motif de l'état d'urgence, les services du ministère de l'Intérieur auraient exploité son historique de recherches Google obtenu dans des conditions mystérieuses. Une pratique d'autant plus gênante que les services de renseignement n'ont pas cherché à comprendre le contexte des requêtes suspectes qu'il avait saisies.

C'est en effet un article paru dans Le Monde le 11 décembre dernier qui a soulevé notre curiosité. Le journal y rapportait que le gouvernement avait accepté de lever le 8 décembre dernier une assignation à résidence prononcée « par méprise » le 15 novembre à l'encontre de « Nacer », un habitant des Bouches-du-Rhône qui n'a jamais eu le moindre lien avec un mouvement djihadiste ou même d'islam radical.

Le Monde rapportait que l'individu avait été dénoncé avec prévention, zèle, malveillance ou paranoïa (c'est au choix) par son ancien employeur, Veolia, avec lequel il est toujours en conflit. Nacer était venu brièvement au mois d'août 2015 à l'invitation d'un collègue dans une station d'épuration des eaux où il avait travaillé de 2006 à 2009, et Veolia aurait craint une volonté de planifier une attaque bactériologique.

Selon les motivations de l'arrêté d'assignation cité par Le Monde, l'homme se serait « rendu sur le site sensible où il avait travaillé, sous un prétexte fallacieux, et [s'était] beaucoup intéressé aux lieux de stockage des produits sensibles et à leur mise en œuvre et utilisation ». Or pour démontrer la volonté d'intoxiquer le réseau d'eau potable, l'arrêté précise que Nacer aurait effectué des recherches liées à la « chimie du traitement des eaux ».

En réalité, l'homme s'était fait remettre en janvier 2015 par Veolia la liste des produits chimiques utilisés dans l'usine de traitement des eaux, pour qu'un médecin-expert confirme à la CPAM l'éventuel lien de causalité entre le travail de Nacer et la maladie qu'il a contracté, pour laquelle lui a été reconnue une incapacité permanente partielle de 25%. Pour vérifier lui-même la liste, il avait cherché « produits chimiques pour traitement des eaux » avec Google. C'était environ huit mois avant que Veolia ne le dénonce auprès du commissariat.

Un historique obtenu auprès de Google ?

« Mon client est tombé de très haut en découvrant que non seulement il faisait probablement l'objet d'une surveillance de sa ligne internet, mais qu'en plus ils avaient très certainement la liste de ses recherches Google effectuées des mois auparavant », nous raconte Me Laurent Bartolomei. « S'agissant d'un arrêté du ministère qu'il a lui-même annulé suite à ma demande gracieuse, nous n'avons eu aucune explication. Mais les termes employés dans l'arrêté sont quasiment mot pour mot ceux de la recherche de mon client. Il n'y a quasiment aucun doute sur le fait que c'est bien de cette recherche dont ils parlent ».

Google utilisant un chiffrement HTTPS depuis 2012, il est improbable que les services de renseignement français aient archivé l'ensemble des requêtes de tous les internautes français, pour y retrouver celles effectuées en janvier 2015 par l'assigné à résidence. Par ailleurs la recherche ayant été effectuée plusieurs mois avant le signalement aux services de renseignement, il est aussi peu probable que l'information ait été obtenue en direct par une mise sur écoute de sa connexion.

La seule possibilité est donc que Google ait lui-même fourni l'historique des recherches aux services français, lorsqu'ils ont demandé des informations sur Nacer. Selon le dernier rapport de transparence de Google, la firme de Mountain View a répondu à environ 1 227 demandes d'informations des autorités françaises concernant des utilisateurs au dernier semestre 2014 (les informations sur le premier semestre 2015 ne sont pas encore connues), dont une part inconnue de demandes administratives formulées sans contrôle d'un juge.

Néanmoins l'historique des requêtes sur les moteurs de recherche ne fait pas partie des informations et documents pouvant faire l'objet d'un « accès administratif » prévu par le code de la sécurité intérieure. En principe, seul un juge peut ordonner leur communication.