Traduit par Diane Gilliard

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© Ali Hashi/reuters
Maintenant que les forces armées syriennes ont libéré Palmyre, le président al-Assad a remercié Vladimir Poutine et le peuple russe pour le soutien important qu'ils ont apporté à son pays. Main dans la main, la Syrie et la Russie ont combattu contre État islamique et d'autres groupes terroristes opérant dans la région - principalement les implants des fidèles alliés de l'Occident : l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie.

Après de récentes victoires en Syrie, le mythe de l'invincibilité du terrorisme s'est effondré, mis en pièces. Il est devenu clair que s'il est combattu honnêtement et avec une détermination totale, même les plus fanatiques peuvent être vaincus.

Il est aussi devenu évident que l'Occident a très peu d'intérêt à vaincre ces groupes. Premièrement : ils ont été inventés dans des capitales occidentales, du moins en tant que concepts. Deuxièmement : ils remplissent de nombreux buts et dans de nombreux endroits du monde ; ils brutalisent les pays rebelles au Moyen-Orient et ils répandent la peur et la frustration parmi les citoyens européens, justifiant ainsi des budgets croissants pour la défense et le renseignement, ainsi que des mesures de surveillance grotesques.

Il est tellement évident que l'Occident est malheureux de l'extraordinaire succès des forces syriennes et russes au Moyen-Orient. Et celui-ci continue à faire tout son possible pour le saper, il le déprécie et même le calomnie à l'aide de son appareil de propagande.

Maintenant qu'État islamique a été repoussé toujours plus loin de tous les endroits stratégiques en Syrie, la question vient à l'esprit : s'il est finalement vaincu, où va-t-il aller ? Ses combattants sont, bien sûr, en Irak voisin, mais Bagdad est aussi en train de forger une alliance toujours plus étroite avec la Russie, et les groupes terroristes pourraient bientôt ne plus y être en sécurité non plus. Tout compte fait, l'endroit où s'étendre le plus facilement, pour État islamique, est le Liban.

Parce que EI y est déjà ! Ses cellules dormantes sont réparties dans tout le pays, depuis la vallée de la Bekaa et même jusqu'à certains quartiers chics (et pas nécessairement musulmans) de Beyrouth.

Historiquement, la Syrie et le Liban sont une entité unique. La circulation des gens entre ces deux pays est importante et constante. Après le début de la guerre en Syrie, des centaines de milliers de réfugiés, pauvres et riches, sont entrés dans le minuscule Liban, certains s'installant dans les camps de fortune de la vallée de la Bekaa, d'autres louant des appartements somptueux sur la Corniche à Beyrouth.

Officiellement, le Liban (un pays avec seulement 4.5 millions d'habitants) accueille environ 1.5 millions de réfugiés, la plupart syriens, mais aussi venant d'Irak ou d'ailleurs. Cela en plus des approximativement 450 000 réfugiés palestiniens permanents, qui vivent dans plusieurs grands camps administrés par l'Office des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA dans son sigle anglais).

Dans certains cas, lorsque les combats devenaient trop virulents, le nombre des réfugiés au Liban a atteint plus de 2 millions. Pendant de nombreuses années, la frontière entre le Liban et la Syrie a été poreuse, et même les contrôles aux postes frontière étaient assez laxistes. Cela a commencé à changer, mais seulement récemment.

Avec les réfugiés (surtout des familles fuyant les combats et l'extrême précarité causée par le conflit), est arrivé un nombre important de cadres djihadistes - combattants d'État islamique, d'al-Nusra et d'autres groupes terroristes pro-saoudiens et pro-turcs. Ils ont pleinement tiré profit de la situation, s'immisçant dans le flux des émigrés légitimes.

Leur objectif est clair et simple : se regrouper au Liban pour créer des cellules fortes et efficaces, et ensuite frapper le moment venu. Le rêve d'État islamique est un puissant califat dans le nord du Liban, de préférence avec un plein accès à la mer Méditerranée.

Dans l'histoire récente, le Liban est devenu un État extrêmement faible, divisé entre lignes sectaires. Pendant presque deux ans, il a été incapable d'élire un président. À ce jour, le gouvernement est dysfonctionnel, presque paralysé. Le pays souffre d'innombrables maux mortels : depuis les crises des déchets qui n'en finissent jamais jusqu'à des coupures d'électricité constantes et des problèmes d'approvisionnement en eau. Il n'y a pas de transports publics et l'enseignement public est sous-doté, inadéquat et ne sert que la partie la plus pauvre de la population. La corruption est endémique.

De temps en temps, Israël menace de l'envahir. Il a attaqué le Liban à au moins cinq occasions différentes ; la dernière fois c'était en 2006.

Au nord-est du pays, à la frontière syrienne, l'armée libanaise et le Hezbollah sont engagés dans la lutte contre EI. Mais l'armée libanaise est en sous-effectif, mal armée et affreusement entraînée. À la fin, c'est le Hezbollah, la force la plus importante sur le plan militaire, social et idéologique au Liban, qui fait front. Il mène une bataille énorme, épique, dans laquelle il a déjà perdu plus d'hommes que lorsqu'il a combattu la plus récente invasion israélienne en 2006. Jusqu'à présent, le combat du Hezbollah contre les groupes terroristes est couronné de succès. Mais en plus d'assurer la défense, il est aujourd'hui la seule force politique au Liban qui est prête à surmonter les divisions sectaires. Il apporte aussi un soutien indispensable à des centaines de milliers de citoyens libanais pauvres.

Au Liban et en fait dans tout le Moyen-Orient, le Hezbollah est profondément respecté. Mais il est chiite ; il a été étroitement lié à l'Iran et à la Syrie et il est connu pour critiquer farouchement l'Occident et ses actions meurtrières au Moyen-Orient et dans le Golfe. Il combat précisément ces groupes terroristes qui sont armés et soutenus par l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Par conséquent, il est entravé.

Le gouvernement libanais refuse avec persistance d'inscrire le Hezbollah sur la liste terroriste, quelque chose qui a déjà été fait par de nombreux pays occidentaux et par la plupart des membres pro-occidentaux de la Ligue arabe. Au grand dam de l'Arabie saoudite, tant l'Irak que le Liban ont refusé de voter favorablement pour déclarer le Hezbollah comme organisation terroriste. La Syrie aurait refusé, mais, de façon prévisible, elle n'a pas été invitée à voter.

Le Liban est de plus en plus critique à l'égard de l'Occident, des organisations internationales et des pays de la Ligue arabe. Il est indigné par les doubles standards par rapport à ce qu'on appelle la crise des réfugiés. Il est aussi inhabituellement franc. L'un des plus importants journaux libanais, le Daily Star, a écrit le 26 mars 2016 :
Le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil a accusé samedi la communauté internationale d'aborder la crise des réfugiés syriens avec un double standard. Quelques heures après que Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies, avait quitté Beyrouth après une visite de deux jours

Bassil a souligné l'incohérence de pays qui soutiennent l'insurrection armée en Syrie pour appeler le Liban à placer les droits humains au premier plan, notant que plusieurs de ces pays renvoyaient les réfugiés par la force - une mesure que Beyrouth n'a pas prise.

«Ils créent la guerre, et ensuite ils appellent les autres à accueillir les réfugiés conformément aux accords sur les droits humains», a-t-il dit lors d'une conférence télévisée depuis sa résidence à Batroun.

Le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil et son parti font en fait partie d'une coalition avec le Hezbollah. Il a été extrêmement critique à l'égard des visiteurs de haut rang qui accablent dernièrement le Liban : le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim et éa Haute représentante pour la politique extérieure de l'Union européenne Federica Mogherini. M. Bassil a même refusé de rencontrer personnellement Ban Ki-moon.

L'une de mes sources, qui assistait à la réunion à huis-clos de Ban Ki-moon, Jim Yong Kim et les responsables des agences de l'ONU à Beyrouth, a commencé : «Presque rien de nouveau, de concret ou de stimulant n'y a été discuté.»
À Beyrouth, il est souvent mentionné que tandis que la Turquie et la Jordanie sont en mesure de négocier des milliers de dollars pour accueillir des réfugiés sur leur sol, au Liban n'ont été faites que des promesses vides émanant de l'UE et du reste de la communauté internationale. Il a aussi été menacé de conséquences juridiques au cas où il déciderait de déplacer les réfugiés de force (les alliés de l'Occident comme la Thaïlande le font régulièrement, souvent en les tuant même, mais ils ne font jamais l'objet de menaces importantes. Plusieurs pays européens contraignent aussi les réfugiés à partir).

Comment un pays de 4.5 millions d'habitants réussira à faire face à 1.5 millions d'immigrants est imprévisible. Ce qui est clair, c'est que l'infrastructure du Liban est en train de s'effondrer ou, comme certains le disent, c'est déjà fait.

Il semble qu'il y ait un plan, un prétexte pour étrangler le Liban. Plusieurs spécialistes basés au Liban affirment que le pays deviendra bientôt indéfendable. Les Saoudiens ont annulé plus de 4 milliards de dollars d'aide promise auparavant aux forces armées libanaises. Robert Fisk a écrit dans The Independent le 2 mars 2016 :
Maintenant l'Arabie saoudite, qui fait des gaffes dans la guerre civile au Yémen et menace d'envoyer ses soldats, surpayés mais faiblement entraînés, en Syrie, se tourne vers le Liban pour se venger de son infidélité et de son manque de reconnaissance après des décennies de largesses saoudiennes.
Après avoir promis à plusieurs reprises de dépenser £3.2 milliards en nouvelles armes françaises pour l'armée libanaise, bien formée mais désespérément sous-armée, l'Arabie saoudite a subitement refusé de financer le projet - qui était soutenu avec enthousiasme par les États-Unis et, pour des raisons plus égoïstes, par Paris. Avec les États du Golfe, Riyad a dit à ses citoyens de ne pas se rendre au Liban ou - s'ils y sont déjà - de le quitter. Saudi Airlines est censée cesser tous les vols pour Beyrouth. Le Liban, selon les Saoudiens, est un centre du terrorisme.

Le fait que l'an dernier, le Liban ait osé arrêter un prince saoudien à l'aéroport international Rafik Hariri, alors qu'il tentait de faire passer en contrebande deux tonnes de pilules d'amphétamine Captagon chargées sur un jet privé pour l'Arabie saoudite, n'a pas aidé. Le prince passait aussi de la cocaïne, mais c'était très probablement pour sa consommation personnelle. L'amphétamine Captagon est aussi appelée la drogue de combat, et elle était, très probablement, destinée aux combattants pro-saoudiens au Yémen.

Alors que va-t-il se passer si l'armée libanaise ne reçoit pas de nouvelles armes ? Peut-être que l'Iran pourrait l'aider, mais s'il ne le fait pas ? Alors le Hezbollah serait la seule force à affronter État islamique, qui se déversera bientôt dans toutes les directions depuis les villes libérées en Syrie, en particulier en direction des côtes libanaises. Mais le Hezbollah est ostracisé, étranglé et diabolisé par l'Occident et le Golfe.

Une nouvelle petite invasion israélienne et presque toutes les forces du Hezbollah seraient ligotées dans le sud, État islamique attaquerait depuis le nord, les cellules dormantes seraient activées à Beyrouth, à Tripoli et dans d'autres villes, et le Liban s'effondrerait en quelques jours. Est-ce que c'est le plan ? Après tout, Israël et l'Arabie saoudite sont deux proches alliés, lorsqu'il s'agit de leurs ennemis chiites.


Commentaire : Dans un article daté du 15 avril, l'Orient le Jour nous apprend que le Hezbollah prêt à toutes les éventualités au Sud :
Depuis quelques semaines, les combattants du Hezbollah sont en état d'alerte au Sud. Des informations précises sur une possible agression israélienne contre le Liban au cours des prochains mois sont parvenues à ce parti qui a immédiatement pris les précautions requises. Les informations ont en effet été jugées sérieuses par le commandement du Hezb, surtout que le contexte régional semble propice à des développements dramatiques.

Ensuite ce pays minuscule, fier et créatif, pourrait fondamentalement cesser d'exister.

Les États du Golfe (leurs dirigeants, pas leurs peuples) se réjouiraient : un autre bastion de la tolérance aurait disparu. Et une forteresse chiite de plus - les zones du Hezbollah au Liban - serait pillée et détruite.

L'Occident pourrait exprimer officiellement sa préoccupation, mais un tel scénario s'intégrerait dans son plan directeur : un pays rebelle de plus serait fini, et la Syrie serait menacée pendant des années par la direction occidentale. Après tout, Damas n'est qu'à 30 minutes de voiture de la frontière libanaise.

Le Paris du Moyen-Orient, comme on avait coutume d'appeler Beyrouth, serait ensuite décoré avec ces effrayants drapeaux noirs d'État islamique. Le Liban dans son ensemble connaîtrait un effondrement total, l'année zéro, la fin.

Ce n'est pas un scénario fantasmagorique. Tout cela pourrait intervenir en un an, et même en quelques mois. A l'heure actuelle, le Liban n'a que deux endroits où demander aide et protection : Téhéran et Moscou. Il devrait les associer tous les deux sans délai !