Interview reproduite par Exo-Contacts

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Yves Sillard
Grande figure de l'aérospatiale française et européenne, un des pères de la fusée Ariane, Yves Sillard, ancien Directeur Général du Centre National d'Etudes Spatiales, préside aujourd'hui le comité de pilotage du GEIPAN (Groupe d'Etudes et d'Informations sur les Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés) au CNES. Il répond aux questions de la revue Nexus dans son dernier numéro de mars 2011.

NEXUS : On assiste aujourd'hui à un vaste mouvement de levée du secret sur les dossiers concernant les OVNIS. En tant que Président du comité de pilotage du GEIPAN, qu'en pensez-vous ?

Yves Sillard : J'ai moi-même plaidé en 2007 et obtenu le plein accord de la direction du CNES pour la mise dans le domaine public des documents que le Geipan avait en sa possession. On peut d'ailleurs aujourd'hui les consulter librement en ligne sur le site internet du Cnes. Au cours des récentes années, plus d'une dizaine de pays ont suivi cet exemple. Seule la politique des Etats-Unis, qui prétendent depuis 1969 et contrairement à l'évidence ne pas s'intéresser à ce dossier, demeure totalement incompréhensible. Je regrette l'absence de liens entre les divers organismes existant à travers le monde. Il serait vraiment souhaitable que les PAN (phénomènes aérospatiaux non identifiés) soient analysés selon les mêmes procédures dans tous les pays, et que les résultats soient mis en commun. Cela permettrait d'avoir une vue d'ensemble la plus objective possible, de créer un climat favorable au dépôt de témoignages, et de dresser un état des lieux mondial. Le Geipan n'a pas les moyens humains suffisants pour entretenir des relations suivies avec d'autres groupes du même genre dans le monde. Pourtant, et c'est un fameux paradoxe, c'est un modèle pour de nombreux pays qui ont mis en place des structures analogues, en Amérique du Sud par exemple. Le comité de pilotage a recommandé à plusieurs reprises que l'équipe du Geipan soit légèrement renforcée par des personnels appartenant au Cnes ou aux autres organismes concernés, mais ce renforcement n'a pas encore été possible.

N : En dehors de cette absence de coopération internationale, voyez vous d'autres obstacles à la divulgation ?

YS : Le premier obstacle est celui de la collecte des témoignages. Il est essentiel de banaliser dans l'esprit du public la démarche conduisant un témoin à apporter son témoignage en gendarmerie, car il y a certainement beaucoup de gens qui ne témoignent pas par crainte du ridicule. Les PAN de catégorie D -qui ne peuvent être expliqués par aucun phénomène connu-, sont assimilés aux Ovnis, à ET, aux petits hommes verts...et cela peut dissuader de nombreux témoins, de l'aviation civile ou militaire par exemple, d'apporter leur contribution à la collecte d'information. La 2ème difficulté est de passer outre la désinformation que l'on ne peut que déplorer. Les Etats-Unis sont passés maîtres dans l'art de déformer ou de ridiculiser les témoignages, et ceci depuis le rapport CONDON en 1969 qui concluait qu'il n'y avait rien de sérieux dans les observations d'ovnis. Depuis lors, ce rapport a été largement relayé par l'Agence Fédérale de l'Aviation (FAA) et toutes les études sérieuses semblent devoir être bloquées, y compris sur des cas très intéressants comme les gigantesques phénomènes lumineux de Phoenix en Arizona, le 13 mars 1997, ou l'observation de l'aéroport O'Hare de Chicago, le 7 novembre 2006. Entre nous, je pense que jamais en France il n'aurait été possible de présenter les explications fantaisistes affichées par les autorités fédérales américaines après ces deux évènements.

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Phoenix
La 3ème difficulté concerne l'approche des milieux scientifiques. Le travail du Geipan n'a pas toujours été bien compris de ces derniers, et une action continue d'information et de persuasion reste nécessaire pour que les scientifiques qui le souhaitent puissent s'intéresser aux PAN de catégorie D sans crainte de porter préjudice à leur carrière. Cette action a pu être contrecarrée par l'attitude véhémente, peut-être renforcée par des actions de désinformation volontaire en provenance des Etats-Unis, de certains milieux rationalistes. L'attitude de ces derniers est probablement motivée par des préoccupations louables de lutte contre l'obscurantisme et les croyances aliénantes. Elle n'en est pas moins profondément antiscientifique, refusant de regarder en face l'existence de témoignanges irréfutables et ne tolérant pas qu'une étude objective et intelligente de ces phénomènes soit entreprise. La démarche du Geipan se veut au contraire rigoureusement scientifique : nous sommes confrontés à des phénomènes qui, pour certains, sont inexplicables; il faut donc les répertorier, les classer, les analyser, etc...Nous n'en sommes pas encore au stade des conclusions, nous ne pouvons qu'émettre des hypothèses.

N : L'hypothèse extraterrestre en fait-elle partie ?

YS : c'est une possibilité que nous devons retenir, avec sérieux, sérénité et impartialité. L'existence de civilisations extraterrestres est hautement probable, même si elles échappent à notre entendement. Si l'on considère la génèse de l'Univers, ces civilisations peuvent, pour certaines, avoir des siècles, des millénaires ou des millions d'années d'avance sur la nôtre, et nous devons faire preuve d'une grande modestie quant à l'évaluation de leurs capacités scientifiques et technologiques éventuelles; d'autres, au contraire, peuvent accuser un retard important comparé à la nôtre

N : Certains croient voir dans l'attitude des USA la volonté de garder secrètes des technologies extraterrestres avec lesquelles les américains auraient été en contact.

YS : Je n'y crois pas le moins du monde, pour une raison simple et logique : si tel était le cas, nous en verrions les applications depuis longtemps, notamment dans le domaine aérospatial. Or, ce qui fait aujourd'hui la différence entre les Etats-Unis et les autres pays, c'est l'énorme quantité d'argent investie dans la recherche à but militaire, qui se traduit en particulier par le coût très élevé de leurs avions de chasse. Que l'on songe à celui du F-35...

N : Le Geipan est parfois critiqué pour sa relative tiédeur. La documentation qu'il publie évoque bien des "objets" et non simplement des "phénomènes". Pourquoi, alors, ne pas dire simplement que le Geipan s'intéresse aux Ovnis ?

YS : Parce que les multiples observations rapportées sont de natures très diverses et ne peuvent recevoir systématiquement la qualification d'objets, et que le terme ovnis a pris une signification dénaturée par son utilisation dans des films de science-fiction très contestables. Le Geipan s'intéresse au très large éventail des PAN qui lui sont rapportés et utilise pour les classer la nomenclature ABCD (1) qui permet de faire le tri lors des enquêtes qui sont menées. Ainsi, aujourd'hui, parmi les 1650 cas de phénomènes observés autour desquels il est possible de regrouper les 6000 témoignages que contient la banque de données du Geipan, l'étude nous a permis de voir que 690 sont explicables ou très probablement explicables (PAN A & B), 500 sont inexploitables par manque de précision (PAN C), et 460 appartiennent à la catégorie des phénomènes dont la réalité ne peut être contestée mais qui sont inexpliqués en l'état actuel de nos connaissances (PAN D). Dans cette dernière catégorie, certains temoignages décrivent incontestablement des objets, par exemple l'observation de Nuku Hiva, en Polynésie française, dans la nuit du 21 octobre 1988, quand des pêcheurs ont vu trois boules lumineuses volant en altitude. Leur témoignage a été recoupé par celui des équipages des compagnies d'aviation Air New Zealand et UTA qui, au large des îles Marquises, ont observé de trois à six "ovnis" la même nuit.

N : Il existe certains cas qui font débat. Ainsi, ce qui a été observé le 5 novembre 1990 sur la diagonale Biarritz-Strasbourg. Pour vous, il s'agit d'une rentrée atmosphérique, pour d'autres, il s'agit bien d'un cas spectaculaire d'observations d'ovni.

YS : Effectivement, une centaine de témoignages sur cet évènement a été collectée par le Service d'expertise des phénomènes de rentrées atmosphériques (SEPRA) qui à l'époque remplaçait le GEPAN. Après avoir pris contact avec la NASA, on a compris qu'il s'était agi de la rentrée dans l'atmosphère du troisième âge d'une fusée soviétique Proton, cela sur une diagonale golfe de Gascogne-Alsace. L'affaire est donc claire, et cette explication permettait de comprendre les quelques divergences existant entre les témoignages: selonle lieu et le moment de l'observation, il était possible que le mouvement de l'objet soit apparu ascendant à certains observateurs. Toutefois, sur l'insistance de certains témoins qui considéraient que l'explication donnée ne pouvait rendre compte de ce qu'ils avient observé, il m'a paru envisageable d'approfondir l'enquête. Je m'en suis ouvert à Jean-Jacques Velasco qui dirigeait le Sepra à l'époque de l'observation, mais celui-ci m'a convaincu du caractère rigoureux et exhaustif de l'enquête initiale, et il ne m'a pas paru justifié de rouvrir le dossier quinze ans après les faits. Si l'on veut être tout à fait honnête, mais il s'agirait alors d'une extraodinaire coïncidence , on ne peut écarter totalement l'hypothèse selon laquelle il y a eu, en même temps et sur un même espace géographique, une rentrée atmosphérique et l'observation d'un ou plusieurs autres phénomènes inexpliqués.

N : Avez-vous à un moment ou à un autre, senti une quelconque pression pour orienter vos travaux ?

YS : Jamais. Le comité de pilotage du Geipan comprend des scientifiques et des représentants de l'armée de l'air, de l'aviation civile, de la sécurité civile, de la gendarmerie....mais à aucun moment je n'ai perçu la volonté de tel ou tel d'orienter nos travaux. Je n'ai évidemment pas tous les éléments pour affirmer avec une certitude absolue que les autorités civiles ou militaires communiquent au Geipan tout ce qu'elles connaissent en matière de PAN; mais pour ma part, je n'ai jamais perçu la moindre volonté de dissimulation d'informations importantes.

N: Aujourd'hui, quelles sont les principales enquêtes en cours ?

YS : Le Geipan a plusieurs enquêtes en cours, mais il semble que le nombre de témoignages susceptibles d'être classés en catégorie D ait diminué au cours des dernières années. Cela peut vouloir dire que les PAN de catégorie D observés en France sont moins nombreux alors qu'ils se multiplient dans d'autres régions du monde, ou simplement qu'il y a moins de personnes qui témoignent officiellement en gendarmerie. Il me paraît également intéressant d'évoquer la situation à Hessdalen, en Norvège, où sont observés depuis au moins plusieurs décennies des phénomènes majoritairement lumineux totalement inexplicables.

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Hessdalen
C'est un cas unique au monde d'apparitions régulières de PAN sur un même lieu et sur une échelle de temps aussi longue. Je m'y suis rendu en 2007, à l'invitation du Pr Erling Strand de l'université d'Oslo. Avec l'aide de chercheurs italiens, celui-ci organise depuis une vingtaine d'années, des campagnes d'observation mettant en oeuvre des caméras, des magnétomètres, des lasers et des radars. Malheureusement, si l'existence indiscutable des phénomènes a été amplement confirmée, les moyens mis en oeuvre n'ont pas été suffisants pour pouvoir émettre une hypothèse quelconque sur leur origine. Le comité de pilotage du Geipan a estimé que le caractère exceptionnel de Hessdalen méritait que l'on s'y attarde. Grâce à un concours de circonstances favorables, un projet international associant les scientifiques norvégiens de l'université d'Oslo, des français du CNRS et du CEA, et des italiens du radio-observatoire de Bologne, a pu être mis sur pied.

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Le Geipan a pris en charge quelques missions en Norvège, mais la responsabilité du projet est bien entendu entre les mains des scientifiques concernés. Une première étape mettant en oeuvre un nombre encore limité d'instruments de mesure, a pu commencer en décembre 2010. Les résultats enregistrés ne seront disponibles qu'après la période hivernale; les équipes scientifiques verront alors s'il convient de poursuivre cette étude avec des moyens plus sophistiqués.