Cette interview par Dennis Stacy date de 1985. Elle est sous-titrée "An Interview With The Dean" (le Doyen) : Pendant deux décennies, de 1948 à 1969, le Dr. J. Allen Hynek (1910-1986) fut consultant en astronomie auprès de l'US Air Force. Cependant son domaine ne recouvrait pas le programme spatial naissant, ni même la Lune et les étoiles, mais les Objets Volants Non-Identifiés. En 1973, il a fondé le CUFOS (Center for UFO Studies) dont il assurait la direction ainsi que l'édition de son magazine, "International UFO Reporter".

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DENNIS STACY : Dr. Hynek, en tant que scientifique, vous êtes certainement le plus ancien dans l'étude du phénomène ufologique. Racontez-nous comment cela a commencé..

ALLEN HYNEK : Ce n'est pas bien compliqué. Au printemps 1948, j'enseignais l'astronomie à Colombus, l'Université de l'Ohio. Un jour trois hommes, et ils n'étaient pas vêtus de noir, sont venus me trouver. Ils étaient envoyés par la base Air Force de Wright Patterson située à Dayton, dans les environs. Je me souviens qu'ils ont commencé à me parler de la pluie et du beau temps, de choses comme ça, et finalement l'un d'entre eux m'a demandé ce que je pensais des soucoupes volantes.

Je leur ai répondu que pour moi c'était un ramassis d'absurdités, et ça a paru les mettre à l'aise. Alors ils en sont venus au sujet de leur visite. Ils ont déclaré qu'ils avaient besoin d'un conseil en astronomie parce que leur mission consistait à tenter d'éclaircir ces histoires de soucoupes volantes.

Un astronome capable de faire le tri entre les phénomènes liés aux météorites, et autres objets célestes.

J'ai pensé que ce serait amusant d'accepter, et de bénéficier d'une classification top secret, et tout le reste. A cette époque, ça s'appelait le Project Sign, et certains participants avaient l'air de considérer le problème assez sérieusement. En même temps, il s'était creusé un fossé important au sein de l'Air Force entre deux écoles de pensée. D'un côté il y avait ceux qui préparaient sérieusement un rapport d'évaluation destiné au Général Vandenburg, mais de l'autre il y avait un groupe d'opposants qui finalement emportèrent le morceau, et les plus motivés furent disséminés dans différents endroits. En d'autres termes, les négatifs avaient eu le dernier mot.

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Ma propre participation à ce "Project Sign" n'avait rien arrangé à cette situation, parce que je pense que la plupart de mes propres évaluations étaient empreintes d'une tournure négative. J'allais chercher très loin des explications naturelles, parfois même quand ça ne tenait pas debout. Je me rappelle ce cas du Snake River Canyon, je pense que c'est celui-là, où un homme et ses deux fils avaient vu un objet métallique descendre en tourbillonnant dans le canyon, ce qui avait entraîné un balancement au sommet des arbres. En voulant à toutes fins établir une cause naturelle à ce phénomène, j'ai déclaré que c'était une sorte de remous atmosphérique. Bien entendu je n'avais jamais constaté un tourbillon de ce genre, ni je n'avais au fond une quelconque raison de croire que ça puisse même exister.

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Mais j'étais tellement préoccupé d'y voir une cause naturelle que j'arrivais à me convaincre qu'il ne pouvait y avoir d'autre explication. Il m'a fallu pas mal de temps pour changer ma tournure d'esprit.

STACY : Est-ce que l'Air Force exerçait une sorte de pression sur vous afin que vous aboutissiez à des explications conventionnelles pour de tels phénomènes ?

HYNEK : Il y avait bien une pression implicite, je le confirme absolument.

STACY : En d'autres termes, vous vous êtes retrouvé dans une situation bien connue d'avoir à faire plaisir au patron ?

HYNEK : Oui, on peut le dire comme ça, bien qu'en même temps je n'allais pas à l'encontre de mes principes scientifiques. En tant qu'astronome et physicien, je concevais qu'à priori toutes choses dans ce monde doivent avoir une explication rationnelle. Il n'y avait pas la place pour des si ou des quoique, dans ce domaine.

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Dans les cas insolubles, je pensais qu'on finirait toujours, en cherchant davantage, avec d'autres moyens d'investigation, par trouver une explication.

Mon coefficient d'abattage était d'environ 80%, et j'étais plutôt satisfait du résultat. Ca me laissait un 20% de cas non élucidés, mais l'Air Force le ramenait à trois ou quatre pour cent en utilisant des moyens statistiques que je ne me serais jamais autorisés. Pour vous donner un exemple, les cas jugés insuffisamment documentés étaient considérés chez eux comme affaires classées ! Ils pratiquaient aussi d'autres tricheries. Si une lumière avait été observée, il adoptaient le raisonnement suivant : "puisque les avions ont des phares, par conséquent c'est probablement un avion".

Ensuite, à la fin de l'année, au moment de compiler les statistiques, ils laissaient tomber les "possibles" et "probables", et c'est un avion qui avait été vu.

STACY : Qu'est-ce qui a amené votre changement de perception du phénomène ?

HYNEK : Deux choses, en fait. L'une était l'attitude entièrement négative et intransigeante de l'US Air Force. Ils ne voulaient laisser aucune possibilité que des ovnis puissent exister, quand bien même ils se mettraient à évoluer dans nos rues en plein jour. Tout devait pouvoir s'expliquer. J'ai commencé à m'opposer à cela, bien que je pensais à peu près de la même façon, parce que j'en venais à penser qu'ils ne s'y prenaient pas de la bonne manière.

On ne peux pas présumer que tout est noir en permanence. Deuxièmement, nous avions parfois affaire à des témoins de qualité, et je me trouvais déstabilisé. Un bon nombre de cas avaient été rapportés par des pilotes militaires, par exemple, et je savais qu'ils étaient parfaitement entraînés, c'est alors que j'ai commencé à me dire que, bon, peut-être qu'il y a quelque chose d'autre.

C'est le fameux cas du "gaz de marais" qui m'a finalement fait basculer. A partir de ce moment-là, j'ai commencé à considérer les rapports sous un angle différent, au point de reconnaître que certaines affaires pourraient être dûes à des engins réels.

STACY : A mesure que votre propre attitude évoluait, est-ce que celle de l'US Air Force a également changé à votre égard ?

HYNEK : Elle a bien sûr changé, assez radicalement. En arrière-plan je dois préciser que le Dr. James E. McDonald, avec qui j'entretenais une relation amicale et qui était à l'époque un spécialiste de la météorologie atmosphérique à l'Université de l'Arizona, et moi-même, avons eu des accrochages assez vifs. Il m'accusait fréquemment, déclarant qu'en tant que conseil scientifique de l'US Air Force, je devais marteler la porte des généraux en insistant pour que les travaux soient mieux conduits. Je lui répondais : "Jim, j'étais sur place, tu n'y étais pas, tu ne peux pas connaître leur état d'esprit".

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Ils recevaient leurs instructions du Pentagone, suivant les recommandations du Robertson Panel de 1953, pour eux le sujet était complètement discrédité, point final, rien à ajouter.

C'était l'attitude prédominante. Le panel avait été composé par la CIA, et je siégeais parmi ces gens-là, mais on ne me demandait pas de cosigner les résolutions.

Si on me l'avait demandé, je n'aurais d'ailleurs pas signé, parce que leur attitude était essentiellement négative envers cette affaire.

Aussi, quand Jim McDonald m'accusait en somme de commettre une erreur de procédure scientifique, j'ai du lui répondre que j'avais fait ce qui m'était demandé, mais que les généraux n'étaient pas disposés à m'écouter.

Ils ne voulaient entendre que les avis du Dr. Donald Menzel et les autres types du Département d'Astronomie de Harvard.

STACY : Avez-vous pensé qu'on allait vous montrer la porte et vous demander de partir sans demander son reste ?

HYNEK : Pendant deux semaines environ. Ca doit vous rappeler l'affaire de Tycho Brahé et Johannes Kepler dans l'histoire de l'astronomie ? Brahé avait fait les observations, mais ne savait pas quoi en penser, et Kepler, qui était myope et ne pouvait pas observer directement, en a tiré les conclusions.

Alors, pour l'essentiel, j'ai tenu le rôle de Kepler pour le Tycho Brahé de l'Air Force. Je savais que l'Air Force accumulait les données et je voulais y avoir accès, aussi j'ai fait un usage intensif des photocopieuses de Wright-Patterson.

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J'ai pratiquement gardé une copie de tous les éléments, parce que je savais qu'un jour ces documents auraient leur importance.

Vers la fin, cependant, je ne communiquais plus que très rarement avec le Major Quintanilla qui était notre responsable. Nous entretenions d'excellentes relations amicales au début, et puis les choses ont très mal tourné, tout ça parce qu'un de ses lieutenants était à mes yeux un abruti complet.

C'était du genre "la faute à Jupiter ou Vénus" sans plus. Vous n'avez pas idée de la fermeture d'esprit, de la stupidité de cette attitude.

J'ai montré beaucoup de ténacité, mais je peux vous assurer que pendant tout le temps de cette collaboration avec l'US Air Force, nous n'avons jamais eu le moindre dialogue scientifique sur ces sujets.

STACY : Ils n'étaient donc pas vraiment motivés pour entreprendre une véritable recherche dans ce domaine ?

HYNEK : Ils se disaient intéressés, bien sûr, ils étaient prêts à tout pour empêcher qu'une affaire intéressante puisse attirer "l'attention des medias". Par contre, ils n'avaient pas le moindre problème pour exposer aux journalistes ceux des cas qu'ils étaient parvenus à résoudre. C'était une situation vraiment pitoyable.... Je pense que leur plus grande erreur dans les premiers temps, fut de ne pas s'adresser aux universités ou à des groupes académiques.

Ils considérait la question comme une affaire d'espionnage et ça devenait de plus en plus difficile à gérer pour eux. Après tout, l'Air Force coûte assez cher aux contribuables pour assurer la sécurité de notre espace aérien, et ça la ficherait mal d'avoir à reconnaître que "il y a bien quelque chose de ce côté mais nous n'y pouvons rien".

Ils ne pouvaient pas supporter d'en arriver là, aussi ils se sont contentés de l'attitude bien humaine de faire le nécessaire pour protéger leurs propres intérêts. Leur discours consistait à dire que nous avions résolu 96% des cas, et que la solution des 4% restant n'était qu'une question de moyens.

STACY : Voulez-vous revenir sur cet exemple fameux des apparitions de 1966 dans le Michigan, qui avait été évacué par l'idée des "gaz de marais", mais qui avait finalement amené l'US Air Force à demander l'assistance d'une université prestigieuse ?

HYNEK : Oui, vous vous en souvenez, c'est devenu comme une blague nationale, où on parlait du Michigan comme "l'Etat du Gaz des Marais". Ca avait fini par entraîner une Audition devant le Congrès, à la demande de celui qui était à l'époque un membre du Congrès, Gerald Ford, qui bien sûr est celui qui part la suite devint Président des Etats-Unis. Le Comité Brian O'Brien fut chargé de l'investigation, et il fit un travail remarquable. Si on avait tenu compte de leurs recommandations, les choses auraient beaucoup mieux tourné.

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Ils avaient préconisé que l'USAF soit déchargée du sujet Ovnis, et qu'il soit confié à un groupe d'universitaires, afin d'être investigué le plus largement possible.

Finalement, l'affaire ne revint pas à un tel groupe, mais une université fut approchée, et en particulier un homme dont ils étaient certains qu'il serait perspicace, en la personne du Dr. Edward Condon à l'Université du Colorado. C'est comme ça qu'est né le Comité Condon, qui a produit le rapport que l'on sait.

STACY : Le Comité a-t-il fait appel à votre témoignage ou à vos conseils ?

HYNEK : Dans les tous premiers temps, j'ai été sollicité pour venir leur parler, exposer un résumé de la situation, mais ça s'est arrêté là. Ils n'ont surement tenu aucun compte de mes réflexions.

STACY : En 1968, le Rapport Condon fut publié qui donnait une impression générale plutôt négative, et l'US Air Force s'est servi de ses conclusions pour se débarrasser du problème. Etiez-vous toujours l'un de leurs conseillers ou consultants à cette époque ?

HYNEK : Oh, oui, je suis resté auprès de l'US Air Force jusqu'au dernier moment, mais c'était seulement sur le papier. Personne n'avait encore coupé la tête du poulet, mais le poulet était mort. Les derniers jours du "Blue Book" il n'y avait plus qu'un semblant d'activité à classer des paperasses.

STACY : Qu'était devenu le phénomène Ovni à cette époque ?

HYNEK : Eh bien, comme vous le savez, le rapport Condon a conclu qu'un groupe de savants s'était penché sur le phénomène ovni et que l'affaire était enterrée. Bien sûr, les ovnis n'avaient rien à faire de ce rapport, et ils sont revenus en force avec la Vague de 1973. - Source

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Dennis Stacy fut le rédacteur-en-chef de l'UFO Journal, la publication mensuelle du MUFON, de 1985 à 1997.

Il a reçu en 1995 le prix Donald E. Keyhoe du Journalisme pour une série d'articles en six parties, consacrées au phénomène Ovni, publiés par la revue Omni.

Il est également l'auteur de "The Marfa Lights: A Viewer's Guide". Plus récemment il a co-signé avec Hilary Evans l'ouvrage "UFOs 1947-1997: Fifty Years of Flying Saucers".


Dennis Stacy est aussi co-responsable du journal "The Anomalist", qui se consacre aux mystères de la science, de l'histoire, et de la nature.