Les maladies infectieuses auraient entraîné une brutale et massive réduction de la diversité génétique au sein de l'humanité peu de temps avant l'apparition des premiers hommes anatomiquement modernes.

L'homme moderne, Homo sapiens, a deux proches cousins disparus : l'homme de Neandertal et celui de Denisova. Selon Xiaoxia Wang, de l'Université de Californie à San Diego, et des collèg
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Le rameau humain comporte peut-être un goulot d'étranglement génétique ayant eu lieu il y a plus de 200 000 ans, avant que l'homme anatomiquement moderne, l'homme de Neandertal et l'homme de Denisova n'aient divergé (chiffres en millions d'années).
ues, l'inactivation de deux gènes chez ces trois cousins témoigne vraisemblablement d'un « goulot d'étranglement génétique » dû aux maladies infectieuses, par lequel serait passée l'humanité il y a plus de 200 000 ans, avant la divergence entre l'homme anatomiquement moderne, l'homme de Neandertal et l'homme de Denisova.

Les réductions brutales de diversité génétique au sein de l'espèce humaine se succèdent dans l'histoire. Le choc viral et bactérien dû à l'arrivée des Européens en Amérique aurait entraîné la disparition de la moitié des quelque 50 millions d'Amérindiens précolombiens ; la peste noire de 1347 aurait pour sa part décimé 30 à 50 pour cent de la population européenne en cinq ans, etc. Les épisodes de ce genre sont nombreux. À tel point que plusieurs caractéristiques de notre espèce pourraient être issues d'un tel événement.

Xiaoxia Wang et ses collègues ont mis en évidence l'inactivation ancienne chez l'homme de deux gènes de la sous-famille CD33rSiglecs. Il s'agit de gènes codant les lectines de type immunoglobuline, aussi connus sous l'acronyme SIGLEC (de l'anglais Sialic acid-recognizing Ig-like lectins). Ces lectines constituent une famille de récepteurs transmembranaires qui jouent un rôle immunitaire important, puisqu'elles fixent des anticorps. Pour cette raison, elles sont aussi la cible de nombre de pathogènes (grippe, rage, sida...), qui s'y fixent dans les tissus des voies respiratoires, du tube digestif et des appareils urinaire et génital.

L'équipe de X. Wang a constaté que les récepteurs SIGLEC13 et SIGLEC17P, qui existent chez les chimpanzés - avec qui nous partageons plus de 98 pour cent de notre ADN - , ont été supprimés au cours de l'évolution chez les ascendants communs des hommes modernes, de Neandertal et de Denisova (une espèce humaine asiatique qui a vécu entre un million d'années et 40 000 ans avant notre ère). Il s'avère que le gène codant le récepteur SIGLEC13 a disparu, tandis que celui codant le récepteur SIGLEC17P a été inactivé.

S'il en est ainsi, c'est sans doute parce que sous la pression de sélection - exercée par des maladies infectieuses ? - , seules les lignées humaines archaïques où SIGLEC13 et SIGLEC17P avaient été supprimés ont survécu. Cette sélection serait postérieure à notre dernier ancêtre commun avec les chimpanzés et antérieure au plus proche ancêtre commun des espèces humaines récentes. Toutefois, les chercheurs ont constaté que des traces génétiques de cette sélection sont encore présentes dans nos gènes, ce qui impliquerait qu'elle s'est produite il y a 10 000 générations au plus, soit quelque 200 000 ans. Or le registre fossile, particulièrement Omo 1 et Omo 2, deux crânes découverts à Kibish en Éthiopie, montre que des hommes anatomiquement modernes étaient déjà apparus il y a 200 000 ans.

L'humanité actuelle semble donc descendre du groupe qui a subsisté après une réduction brutale de la diversité génétique humaine survenue il y a plus de 200 000 ans. Cette constatation ajoute une hypothèse plausible à celles déjà évoquées pour expliquer notre faible diversité génétique. L'analyse du patrimoine génétique mitochondrial a en effet révélé une pauvreté génétique inattendue. Les mitochcondries, des organites cellulaires qui stockent l'énergie, contiennent un ruban d'ADN de 16 569 bases. Cet ADN mitochondrial ne se transmet que par la mère. Or l'espèce humaine ne présente qu'une seule lignée de mitochondries : elle descend d'une ancêtre matrilinéaire commune, nommée l'Éve mitochondriale. On n'observe dans cet ADN mitcohondrial que de faibles variations. En évaluant le temps nécessaire pour que celles-ci surviennent, on estime l'âge de l'Éve mitochondriale à 150 000 ans seulement. Il existe aussi un « Adam du chromosome Y», c'est-à-dire un plus récent ancêtre patrilinéaire commun, puisque le chromosome Y ne se transmet que par les hommes. Cet ancêtre patrilinéaire aurait vécu il y 142 000 ans.

On déduit de ces constatations que l'humanité est passée par un goulot d'étranglement génétique avant l'Ève mitochondriale et l'Adam du chromosome Y. Durant cette période, elle n'aurait plus compté que quelques milliers de femelles reproductrices. Les théories s'accumulent pour donner une interprétation de cette réduction génétique : elles vont de macroéruptions volcaniques (telles celle du volcan Toba, en Indonésie) à un long épisode climatique froid qui aurait confiné l'humanité aux marges océaniques de l'Afrique. Il y en a désormais une nouvelle : la sélection de certaines lignées immunitaires, sous la pression exercée par des maladies infectieuses.

Pour en savoir plus

Xiaoxia Wang et al., Specific inactivation of two immunomodulatory SIGLEC genes during human evolution, PNAS, en ligne le 4 juin 2012.