Une étude de Valérie Dole, membre du CICNS (janvier 2005)

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Il est devenu commun parmi les adeptes de l'anti-sectarisme d'établir un parallèle saisissant entre les sectes et le suicide (1). Rien de tel pour émouvoir l'opinion publique et alimenter la psychose. Quelques cas épars sont récupérés pour les besoins de la cause, même si le lien entre cet acte désespéré et l'appartenance à un mouvement spirituel est rarement démontré (Jérémie se serait-il suicidé s'il n'avait pas été membre du groupe Néo-Phare ? Qui saurait répondre avec certitude ?).

Ceux qui ont voulu imposer la thèse du suicide collectif dans les événements tragiques dont ont été victimes des mouvements spirituels comme les Davidiens, le Temple du Peuple ou l'Ordre du Temple Solaire sont ceux qui connaissent le mieux la vérité des faits
et les raisons du mensonge.

« Le vice-président du groupe d'étude sur les sectes de l'Assemblée nationale Jean-Pierre Brard a, lui, demandé le report du procès de M. Tabachnick, de façon à permettre à la justice de reprendre l'enquête. « Je pense qu'il faut rouvrir complètement le dossier », a-t-il dit sur France-Info, « qu'il faut reporter le procès de Michel Tabachnik et qu'il faut mettre les moyens en enquêteurs pour refaire toute l'instruction ». Pour le député-maire communiste de Montreuil (Seine-Saint-Denis), « C'est clair, il n'y a pas eu suicide, mais assassinat ».

A propos du meurtre de 16 adeptes du Temple Solaire, dans le Vercors (source)

Dans la réalité, l'appartenance à un mouvement spirituel joue-t-elle réellement un rôle dans le nombre de suicides en France aujourd'hui ? Une question à laquelle il sera difficile de répondre, tant les données concernant ce sujet tabou sont floues, dans ce pays aux racines judéo-chrétiennes où « ôter la vie donnée par Dieu » - la sienne, celle d'un autre, celle d'un fœtus - est encore un péché punissable des feux de l'enfer. Ce n'est que depuis le Concile Vatican II d'octobre 1962 qu'un Catholique s'étant donné la mort a droit à un enterrement (2).

Que sait-on du suicide ?

« Selon les estimations de l'Organisation Mondiale pour la Santé (OMS), en l'an 2000, à peu près 1 million de personnes se sont suicidées et 10 à 20 fois plus ont fait des tentatives de suicide à travers le monde. Ceci représente en moyenne une mort toutes les 40 secondes et une tentative toutes les 3 secondes. Ainsi, le constat doit être fait qu'il y a plus de morts par suicide que de morts provoquées par tous les conflits armés à travers le monde. »

« Mondialement, 57 % des suicides sont perpétrés par des personnes de 5 à 44 ans (3), (avec un pic de 35 à 44). » (source)

La France est actuellement l'un des pays industrialisés les plus touchés par le suicide et d'après les données de l'OMS de 1999 portant sur 97 pays, la France se situe entre le 11ème et le 20ème rang des pays ayant la plus forte mortalité suicidaire, avec près de 12000 décès par suicide par an. (source)

Encore ces chiffres sont-ils sous-estimés d'environ 20% selon un rapport du Haut Comité de la Santé Publique.

« La France occupe le 4ème rang (européen) après la Finlande, le Danemark et l'Autriche (pour le nombre de suicides par an). Mais la France arrive en tête en ce qui concerne le nombre de suicides chez les jeunes de 15 à 24 ans(source)

« Vous m'avez jeté votre monde au visage comme un seau d'eau, je ne trouverai jamais le chemin, je suis perdue. Que possèdent-ils les gens de votre monde, à part leur univers de sexe ? Que possèdent-ils à l'intérieur d'eux-mêmes ? Je les entends parler à l'entrée des cinémas, dans les wagons, dans les cafés des boulevards, et c'est de la méchanceté, des jugements mesquins, une prétention dérisoire et médiocre. Mais pourquoi vivent-ils ? Pour rien, pour faire comme on le leur a dit. (...) »

Valérie Valère, suicidée à 21 ans. (source)

« Tous ou presque ont des problèmes avec le système scolaire et surtout avec leur famille. En effet, 17 % sont en dehors de tout système familial, 61 % jugent que leur vie à la maison est tendue, 44 % désagréable et 37 % à fuir ! A noter : 12 % des jeunes suicidants majeurs ont eu des relations homosexuelles (contre 1,5 % des jeunes de leur âge) : rejet et discrimination sont peut-être à blâmer également. » (source)

« En France, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) avait dénombré, en l'an 2000, quelque 83000 enfants en danger, parmi lesquels 18300 cas de mauvais traitements reconnus (violences physiques abus sexuels, manque de soin ou de nourriture et violences psychologiques).

Il est à souligner que ces faits signalés sont bien souvent commis dans l'entourage de l'enfant : lieu familial, scolaire, éducatif ou de loisir.
L'enfance maltraitée et violentée est longtemps demeurée un sujet tabou qu'il convenait de dissimuler. Sans doute, cette forme d'autisme social traduisait-elle une volonté de masquer l'une des faces les plus sombres de notre vie sociale (source)

La France se trouve également très mal placée, dépassée seulement par l'Autriche et la Hongrie, pour les hommes âgés de plus de 75 ans.

« Le suicide est un problème majeur de santé publique, révélateur du mal-être social. » (source)

« Dans le monde, le groupe d'âge dans lequel le plus de suicides sont actuellement accomplis est celui des 35-44 ans, tant pour les hommes que pour les femmes. Ce phénomène est à remarquer également en France. » (source)

Les principaux facteurs de risques sont : les troubles psychiatriques, les antécédents familiaux et personnel de suicide et tentatives de suicide, les pertes parentales précoces, l'isolement social (séparation, divorce, veuvage), le chômage ou l'existence d'importants facteurs financiers, les « événements de vie » négatifs sévères. (source)

« Les taux de suicide sont plus élevés chez les sans emploi (173/100 000), les employés administratifs du secteur privé (86), les ouvriers agricoles (61), les employés de la fonction publique (50). Les taux de suicide sont médians pour les ouvriers qualifiés (43), les instituteurs (39), les commerçants (38), les policiers et militaires (36), les exploitants agricoles (34), les professions intermédiaires social-santé (33), les membres des professions libérales (33), les professions libérales (29), les employés du commerce (27). » (source)

Les taux de suicide sont également très élevés dans la police nationale, où la possession d'une arme à feu réduit la possibilité d'échec d'une tentative.

« Les taux de suicide sont également élevés chez les toxicomanes, les alcooliques et les personnes incarcérées. » (source)

Les taux de suicide les plus élevés se trouvent dans les prisons, bien que peu d'études permettent d'en évaluer réellement le nombre, les statistiques officielles étant soumises à une implacable loi du silence.

Selon Bernard Stehr, pasteur, a umônier à la maison centrale de Poissy (Yvelines) et dans les prisons d'Ile-de-France depuis 20 ans : « Il y a au moins deux fois plus de suicides que l'on dit dans les prisons françaises. » (source)

139 personnes détenues se sont données la mort en prison en 2003. La France détient le taux de suicide en prison le plus élevé d'Europe après le Danemark et la Belgique. Rapports d'experts, recommandations et circulaires se sont multipliés sur la question. Dernier opus en date, le rapport du psychiatre Terra remis au ministre de la santé en décembre dernier. Il rappelle cette terrible réalité : on se donne sept fois plus la mort derrière les barreaux qu'à l'extérieur.

(...) Pour sa part, la politique pénale répressive incarnée par M. Sarkozy se poursuit plus que jamais. Restent donc les chiffres : le nombre des suicides en prison a augmenté de 200% au cours des 20 dernières années. 60% des suicidés sont en attente de jugement, donc présumés innocents et un tiers des suicides a lieu pendant le premier mois de la détention. Parallèlement, la population carcérale est passée de 47 000 en février 2001 à 61 000 en juillet 2003 (pour une population de 60 millions d'habitants, cela fait près d'une personne sur mille en prison, le nombre le plus élevé depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le taux d'occupation dépassant les 200% dans 25 prisons françaises). Le Comité de prévention de la torture en a tiré sa conclusion : « Force est de constater le hiatus existant entre d'une part, les intentions affichées par les autorités françaises et d'autre part, la réalité sur le terrain. » (lien mort) voir (source)

Parmi les études sérieuses qui ont été faites concernant le suicide, aucune ne mentionne comme raison l'appartenance à une religion ou à un groupement spirituel quel qu'il soit, bien au contraire. Ces mouvements procurent souvent aux personnes qui en font partie l'occasion de se sentir membre d'un groupe d'accueil qui offre une opportunité de partage à un niveau souvent plus profond que les relations sociales ordinaires. Tout laisserait penser que la récupération faite par les mouvements anti-sectes de quelques cas rares leur sert uniquement à poursuivre des buts non avoués ayant peu de rapport avec les faits incriminés, leur attitude tendant plutôt à augmenter le taux de suicide qu'à le diminuer.

« Aujourd'hui on peut constater sur le terrain les ravages de cette nouvelle chasse aux sorcières : des gens accusés de faire partie d'une « secte » perdent leur emploi, ou dans une procédure de divorce, perdent leur droit de garde ou simplement leur droit de visite des enfants. Des entreprises privées dont le seul tort est d'avoir pour dirigeant le membre d'un groupe étiqueté comme « secte » subissent des préjudices commerciaux considérables. Dans des cas extrêmes, les personnes désespérées par ces campagnes d'autant plus insidieuses qu'elles ne sont pas basées sur des faits délictueux précis mais sur des rumeurs ou de simples accusations d'appartenance à un groupe, envisagent le suicide et parfois passent à l'acte. (4) »
Pierre Michel
(source)

Selon Emile Durckheim, qui établit une relation de cause à effet entre les formes de déséquilibre du lien social et le taux de suicide :

« L'affaiblissement des communautés confessionnelles renforce à la fois le besoin de savoir et le penchant au suicide. » (source)

Son étude approfondie du suicide, qui reste une référence en la matière, tend vers des conclusions opposées à celles des mouvements anti-sectes et devrait logiquement mettre en échec la loi sur la manipulation mentale qui a servi à condamner Arnaud Mussy :

« Si on examine l'influence des différentes religions sur le taux de suicide, on se rend compte que les protestants se suicident davantage que juifs et catholiques. On pourrait penser que cette immunité relative des catholiques tient à la position dominante de l'église catholique en Europe. En fait, même minoritaires, comme en Allemagne, les catholiques restent préservés. La raison en est que le catholicisme est très structuré, très hiérarchisé, très dogmatique. L'individu n'a qu'une part très restreinte d'autonomie. Chez les protestants, à l'inverse, le rapport direct à Dieu implique une absence totale de hiérarchie, une absence de dogme. C'est ainsi que l'église anglicane, plus hiérarchisée, préserve relativement plus du suicide que les autres églises protestantes. » (source)

« Si [la religion] protège l'homme contre le désir de se détruire, ce n'est pas parce qu'elle lui prêche le respect de la personne ; c'est parce qu'elle est une société. (...) C'est parce que l'Eglise protestante n'a pas le même degré de consistance que les autres, qu'elle n'a pas sur le suicide la même action modératrice. » (source) Durkheim,Le suicide (1897), coll. "Quadrige", PUF, 1985, p.149-173

La France devrait prendre exemple sur sa voisine insulaire : grâce à « la secte des Samaritans », la Grande-Bretagne a aujourd'hui l'un des taux de suicide les plus bas d'Europe :

« Il n'est pas de croisade de cette ampleur sans apôtre fondateur. Celui des Samaritans est le révérend Chad Varah. Considéré comme l'une des grandes personnalités du XXe siècle, il est à la Grande-Bretagne ce que l'abbé Pierre est à la France. »

« The Samaritans est une association où l'on prend au téléphone et où l'on reçoit tous ceux et celles en état de détresse morale. Son nom sonne aussi familièrement aux oreilles britanniques que Rolls Royce ou Marks & Spencer, et pour cause : grâce à son réseau de 22 000 bénévoles (hommes ou femmes de 18 à 80 ans, de toutes cultures, de tous milieux, athées ou croyants de toutes les religions) qui font fonctionner, 24 heures sur 24, quelque 200 centres couvrant toute la Grande-Bretagne, le nombre annuel des suicides est devenu, outre-Manche, l'un des plus bas d'Europe : il est passé de 10 000 en 1953 à 6 000 en 1998 (soit la moitié de la France). (source)

Cette étude nous permet d'affirmer qu'il y a en réalité moins de suicides dans les mouvements spirituels que partout ailleurs car ceux-ci comblent un manque en offrant à leurs membres un cadre privilégié où peuvent s'incarner les valeurs d'amour, de paix et de vérité qui devraient être le fondement de notre société.

Voir également notre article sur le suicide dans les grandes entreprises françaises

Valérie Dole est membre du CICNS. Journaliste indépendante, elle étudie les Nouvelles Spiritualités depuis 1977. Responsable des News au CICNS.




(1) Voir par exemple cet article insidieux d'Emmanuelle Lavignac, paru en 2001 : « Parallèlement à l'augmentation de l'emprise des sectes, nos sociétés se trouvent dans le désarroi face à l'augmentation du taux de suicide chez les adolescents. Comment, donc, appréhender la radicalité d'un engagement sectaire ou d'un acte suicidaire ? » (source) (retour au texte)

(2) Voir l'article de Pierre Titeux pour « découvrir la position officielle des quatre principaux cultes » sur (source) (retour au texte)

(3) Mais que comprend-on de la mort à 6 ans ? «Pour le très jeune enfant, la mort n'est pas irréversible», explique Brian L. Mishara. Confronté tôt à l'idée du suicide par les ambitions bruyantes de la télévision, dans les dessins animés par exemple, l'enfant connaît cette réalité dès son plus jeune âge, même si le mot «suicide» ne lui dit parfois rien avant 7 ou 8 ans.

Bugs Bunny ou Road Runner ont présenté maintes fois qui le lapin, qui le coyote, rescapés d'une vertigineuse chute du haut d'une falaise ou d'un pistolet propulsant non pas des balles mais un gros «bang !» écrit sur un fanion. Le téléroman Virginie, inoffensif en apparence, a évoqué le suicide d'un élève à des heures d'écoute familiale, et les tragiques attentats suicide lors des événements du 11 septembre démontrent que les enfants ont aisément accès à la réalité du suicide.

Les statistiques québécoises, que le Bureau du coroner distribue avec beaucoup de délicatesse, tant le sujet dérange, démontrent une légère hausse du phénomène au fil des ans. En 1989, on comptait 3 suicides chez les 10-14 ans, contre 8 en 1999 et en 2000 également. Les statistiques canadiennes, elles, révèlent 18 cas de suicide chez les 5 à 9 ans entre 1970 et 1992. «Si les suicides sont rares chez les enfants de moins de 10 ans, les jeunes enfants sont capables d'actes suicidaires et d'automutilations volontaires», notait Santé Canada dans Le Suicide au Canada, publié en 1994. (source)


(4) Lire à ce sujet "La mort du Dr Jullien" sur http://www.cicns.net/Jullien.htm et voir le film sur http://www.coordiap.com/temo22.htm