C'est désormais officiel : la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires pourra en toute impunité dire tout ce qu'elle veut dans ses rapports annuels, sans que les personnes visées disposent d'un quelconque moyen de se défendre !

Envers et contre tout, l'Assemblée nationale vient d'adopter en lecture définitive la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, dont l'article 134 prévoit cette immunité : « Les membres de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ne peuvent être recherchés, poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en raison des opinions qu'ils émettent dans le rapport annuel remis au Premier ministre dans l'exercice de leurs fonctions. » (1)

Un procès pour diffamation contre le Président de la Miviludes, évoqué à l'Assemblée nationale (2) et dont l'audition doit se tenir en mars, provoque apparemment une véritable inquiétude dans l'entourage de la Miviludes. En tout cas, suffisamment pour que ce texte discutable mais non discuté soit voté dans l'urgence et de force malgré la censure du Sénat à deux reprises (3).

Les arguments opposés par la commission des lois étaient pourtant d'une évidence telle qu'aucune explication supplémentaire n'a été apportée en réponse par les députés : « L'existence de la mission ne relève pas aujourd'hui de la loi. » Bien sûr, comment la loi pourrait-elle légiférer sur ce qu'elle n'a pas institué elle-même ? De plus, « une telle immunité n'existe à ce jour que pour deux autorités administratives indépendantes, le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, alors que cette mission interministérielle n'est pas une autorité indépendante ».

Tout est dit ! En conclusion, le rapport demande à l'Assemblée nationale de revoir sa copie et de prendre le temps de la réflexion : « Une réflexion plus large, tant sur les immunités de certaines autorités administratives dans l'exercice de leurs fonctions que sur le rôle et les conditions de l'activité de la MIVILUDES, pourrait être pertinente. » (4)

Pourtant, malgré le refus justifié et renouvelé du Sénat de cette proposition de loi dans son intégralité, déposée dans le cadre de la « procédure accélérée », l'Assemblée nationale a pu imposer seule ce texte controversé. L'avis du Conseil constitutionnel, saisi par plus de soixante sénateurs ainsi que soixante députés (5), est très attendu.

Cette disposition légale, réclamée par le principal concerné et soutenue par le lobby antisectes au sein du parlement, suscite une réelle incompréhension des motivations de cette poignée de militants politiques. En effet, si les représentants de la Miviludes s'occupent à plein temps des relations avec la presse et les administrations, ne peuvent-ils pas trouver quelques heures pour défendre leurs points de vue devant un jury indépendant ? D'autant qu'il suffit de prouver le sérieux des accusations exprimées pour aussitôt mettre fin à la poursuite judiciaire.

En réalité, ce serait justement l'occasion rêvée de débattre sur un terrain neutre et de présenter des éléments irréfutables qui seraient validés par les juges ! À moins qu'il soit plus facile de convaincre le public dans les médias, où les contradicteurs obtiennent rarement la parole et où des journalistes complaisants n'attendent pas de preuves vérifiables ni de sources référencées...

Rappelons enfin que si les plaintes engagées pour diffamation publique s'avéraient sans fondement, les magistrats n'hésiteraient pas à condamner les plaignants pour « procédure abusive ».

Notre État de droit a prévu de régler ce genre de conflits par la Justice. Pourquoi ces responsables publics veulent-ils désormais se soustraire au contrôle des juridictions françaises ?

Notes:

(1) Proposition de loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, Assemblée nationale, 29 février 2012, texte n° 871.
(2) Deuxième séance du mercredi 12 octobre 2011, Compte rendu intégral, Assemblée nationale.
(3) Rejet de la proposition de loi en première lecture par le Sénat : Motion de rejet, opposant la question préalable à la délibération de la proposition de loi, Sénat, 10 janvier 2012, texte n° 43 ; Rejet de la proposition de loi en nouvelle lecture par le Sénat : Motion de rejet, opposant la question préalable à la délibération de la proposition de loi, Sénat, 20 février 2012,texte n° 77.
(4) Rapport n° 224 fait au nom de la commission des lois, M. Jean-Pierre MICHEL, 21 décembre 2011. (5) Contrôle de constitutionnalité des normes, Conseil constitutionnel, affaire 2012-649 DC, 5 mars 2012.