Image
Les émotions sont un sujet de recherche très actif. C'est le cas de l'empathie, qui existe chez des nouveaux nés âgés de quelques heures.

« Docteur, j'ai des trous de mémoire. Est-ce grave ? » «Ce n'est rien. Ce sont vos récepteurs du glutamate qui n'ont pas été réactivés à temps. » Il va falloir s'habituer à ce jargon en vogue chez les neurologues. Tout le monde connaît désormais l'action des « hormones du bonheur » : ocytocine, vasopressine, sérotonine, adrénaline, dopamine. L'étude de ces mécanismes de régulation est d'ailleurs devenue une discipline très en vue baptisée d'un nom plein de promesses : les « sciences affectives ».

En fait, on commence à peine à connaître la biochimie des états amoureux, le rôle majeur de l'amygdale dans le stockage des souvenirs émotionnels ou les effets désastreux et durables du stress post-traumatique. Les émotions ne sont donc plus seulement le piment de la vie qui nous font rougir, rire ou pleurer. Elles semblent interagir en permanence avec les processus cognitifs et donc influer sur notre vie quotidienne.

Première nature de l'homme

Le neurologue américano-portugais Antonio Damasio est un des pionniers de cette discipline. C'est en étudiant un malade devenu totalement insensible à ses propres lésions que ce scientifique installé en Californie a réalisé que « la composante émotionnelle du psychisme façonnait les comportements et pouvait influer sur les processus de décision ».

Les développements fulgurants de l'imagerie médicale fonctionnelle ont complété ces travaux en révélant l'existence dans le cerveau de centres spécialisés dans le traitement de l'information émotionnelle. Le couplage de cette cartographie des affects avec la génétique ouvre une ère qui démarre à peine : l'identification des gènes modulant la production de la « chimie du bonheur ».

Cet engouement consistant à mettre de l'émotionnel partout est-il justifié ? Pour David Sander, professeur à l'université de Genève, cela ne fait que commencer puisque « les émotions sont en passe d'être considérées comme la première nature de l'homme ».

Un filtre cognitif

Six émotions primaires forment le socle de nos réactions à un stimulus extérieur : la colère, le dégoût, la joie, la peur, la surprise et la tristesse. Ces état sont apparemment universels. Ils se traduisent par des mimiques du visage distinctes et faciles à repérer. A douze mois, un bébé sait détecter la joie ou la peur sur le visage de sa maman et adapter sa réponse en conséquence. Chacune des émotions primaires possède son centre de traitement spécifique et un système de pondération apporte les correctifs en cas de besoin. Un lion en cage ne sera pas perçu comme une menace et ne déclenchera donc pas de réaction de fuite. « Il existe un filtre cognitif posé sur l'émotion brute », précise Sylvie Berthoz, psychologue à l'institut mutualiste Monsouris dans un récent article paru dans la revue « Cerveau et Psychologie ».

Ces réactions semblent bel et bien être inscrites dans nos gènes. Les nouveaux-nés sont sensibles aux mauvaises odeurs et expriment des mimiques de dégoût incontestables, quand un aliment ne leur convient pas. De même, dès l'âge de deux ans, les enfants ressentent de l'empathie pour un enfant qui pleure et tentent spontanément de lui venir en aide en lui prenant le bras ou en le câlinant. Des études ont confirmé que cette « sensibilité à la détresse d'autrui » existait même chez des nouveaux-nés de moins de deux jours et était communicative. Pour Jean Decety professeur de psychologie à l'université de Chicago, ces expériences confirment que « le nouveau-né humain partage des émotions avec qui il peut s'identifier ».

Ce pouvoir des émotions n'intéresse pas seulement les neurologues. La justice veut savoir comment une victime a mémorisé une scène traumatisante, les banquiers ont envie de comprendre comment un trader gère son flot d'adrénaline en voyant monter le cours de l'euro et les hommes politiques se demandent comment les électeurs réagissent à un discours qui se veut mobilisateur. Bref, avec une unanimité émouvante, tout le monde veut identifier les biais affectifs qui influencent nos jugements.