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Un drone Predator décolle de la base américaine de Kandahar, en Afghanistan, le 31 janvier 2010. | AP/Kirsty Wigglesworth
Selon un groupe d'experts américains, les incessants bombardements de drones américains sur le nord-ouest du Pakistan, bastion des talibans et d'Al-Qaida, terrorisent la population et sont contre-productifs car ils attisent le sentiment antiaméricain dans le pays.

Ce rapport publié mardi par deux universités américaines, la Stanford Law School et la New York University School of Law, juge erronée la vision américaine d'une campagne de drone "efficace et de précision chirurgicale et qui renforce la sécurité des Etats-Unis", et appelle Washington à reconsidérer cette stratégie.

Le texte intitulé La Vie sous les drones note, à l'instar de Washington, que la grande majorité des milliers de personnes tuées par ces attaques lancées en juin 2004 dans les zones tribales pakistanaises sont des combattants islamistes. Mais il souligne surtout les graves conséquences sociales et psychologiques de ces bombardements, quotidiens à certaines périodes, sur les populations.

"Les drones survolent les populations du nord-ouest vingt-quatre heures sur vingt-quatre, frappent des véhicules, des maisons et des espaces publics sans sommation. Leur présence terrorise les hommes, femmes et enfants, créant un traumatisme psychologique. Les habitants doivent vivre dans la crainte permanente de pouvoir être frappés à tout moment par un bombardement meurtrier, sachant qu'ils n'ont aucun moyen de s'en protéger", ajoute-t-il.

Par peur des bombardements successifs, les communautés locales ne se rassemblent plus guère, évitent d'envoyer leurs enfants à l'école et hésitent à porter secours aux blessés d'un premier tir, ajoute ce rapport initié par l'ONG Reprieve, basée au Royaume-Uni et qui fait campagne contre les drones.

CONTRE-PRODUCTIFS

Washington a fait ces dernières années des tirs de drones l'un des principaux instruments de sa stratégie militaire mondiale. Sa campagne au Pakistan, lancée sans l'accord officiel des autorités locales et très impopulaire dans le pays, nourrit les tensions entre Washington et Islamabad, aux relations déjà très compliquées.

Le rapport est notamment fondé sur des entretiens menés avec des habitants du Waziristan du Nord, principal repaire des talibans pakistanais et d'Al-Qaida dans la région et de loin la zone tribale la plus visée par les drones. "Avant les tirs de drones, nous ne savions rien des Américains (...) Aujourd'hui, tout le monde ou presque les hait", explique l'un d'eux. Un autre prévient : "Nous n'oublierons pas le sang versé. Que ce soit dans 200 ans, 2 000 ans ou 5 000 ans, nous nous vengerons des attaques de drones."

In fine, ces tirs illégaux sont contre-productifs car la colère qu'ils suscitent facilite le recrutement de combattants islamistes antioccidentaux dans la région, selon le rapport, qui invite Washington à repenser sa stratégie. Le texte cite au passage un rapport de CNN estimant que seuls 2 % des personnes tuées par les drones sont des cibles islamistes "de haut niveau".

Entre juin 2004 et septembre 2012, les drones américains ont tué dans cette région entre 2 562 et 3 325 personnes, dont 474 à 881 civils, estime ce rapport, des données établies à partir d'informations de presse rassemblées par le Bureau of Investigative Journalism, un centre d'études et enquêtes basé à Londres. Les données fiables sont toutefois rares à propos de ces régions interdites aux journalistes étrangers et travailleurs humanitaires.