Traduction : Dominique Muselet

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Le 29 décembre est le 122ième anniversaire du massacre de Wounded Knee. C'est une catastrophe dont le souvenir est encore frais dans l'esprit des peuples autochtones d'Amérique. Chaque génération en perpétue le souvenir.

En 1891, en faisant l'historique du massacre, Thomas Morgan, le Commissaire aux Affaires Indiennes, a écrit :
"Il est difficile de surestimer l'ampleur des calamités qu'a provoqué pour le peuple Sioux la disparition soudaine des bisons. Eux qui jouissaient d'un espace illimité sont maintenant enfermés dans des réserves ; eux qui bénéficiaient d'un approvisionnement abondant sont maintenant tributaires de subventions et fournitures gouvernementales de plus en plus maigres. Dans ces circonstances, n'importe quel être humain serait malheureux et agité et même agressif et violent."
Le Commissaire Morgan ne s'attendrissait pas sur le sort des peuples natifs. Il ne faisait que décrire la réalité. Un an avant le massacre, en octobre 1889, il avait donné par écrit ses directives concernant la population autochtone :
"les Indiens doivent adopter les "coutumes des blancs" de gré ou de force. Il faut qu'ils s'adaptent à leur environnement et à notre mode de vie. Notre civilisation n'est peut-être pas parfaite mais elle est ce qui peut arriver de mieux aux Indiens. Il ne faut pas qu'ils puissent y échapper et s'ils ne veulent pas s'y plier il faut les briser. Le tissu des relations tribales doit être détruit, le socialisme doit être anéanti et il faut leur substituer la famille et l'autonomie individuelle."
Le massacre de Wounded Knee est toujours décrit comme une "bataille" dont personne n'est responsable mais s'il fallait vraiment nommer un responsable alors ce serait le Lakota qui a tiré le premier. C'est cela qui leur sert à justifier tout ce qui s'est passé. Un siècle après les meurtres, le Congrès a présenté des excuses et exprimé son "profond regret" pour les évènements de ce jour de 1890 où plus de 370 hommes, femmes et enfants qui s'enfuyaient devant l'armée ont été assassinés. Mais le massacre de Wounded Knee n'est en rien une anomalie, ni un accident. Wounded Knee c'est le symbole de toute l'histoire de la relation de l'Empire avec les peuples autochtones.
"Je ne me suis pas rendu compte à l'époque de ce que cela signifiait. Quand je regarde en arrière du haut de mon grand âge, je vois les cadavres ensanglantés des femmes et des enfants entassés ou dispersés le long du ravin tortueux aussi clairement que quand j'étais jeune. Et je sais maintenant que quelque chose d'autre est mort dans cette boue sanglante et a été enterré dans le blizzard. Le rêve d'un peuple. C'était un rêve magnifique." Elan Noir.
Les descendants des victimes commémorent le massacre afin d'honorer ceux qui sont tombés et de guérir leurs communautés toujours dévastées. Les descendants des coupables refusent de reconnaître le mal qu'ils ont fait et le mal prolifère.

Depuis Wounded Knee, où quelques jours après le massacre, Frank Baum (qui a écrit plus tard "Le magicien d'Oz"), le jeune rédacteur en chef du journal The Pioneer, a écrit :
"Le Pioneer avait déjà dit que notre sécurité dépendait de l'extermination totale des Indiens. Comme nous les avons maltraités pendant des siècles il était préférable, pour protéger notre civilisation, d'en finir une fois pour toutes au prix d'une vilenie de plus en effaçant de la surface de la terre ces sauvages indomptables."
Jusqu'au Vietnam, où l'appel de Lyndon Johnson à gagner les coeurs et les esprits de la population civile a été perverti par les GI en "Tiens-les par les couilles, et leur coeur et leur esprit viendront avec."

Jusqu'en Irak, où Madeleine Albright a répondu à la question de savoir si les sanctions qui avaient causé la mort d'un demi million d'enfants avaient valu la peine : "Je pense que c'était un choix difficile mais nous pensons que oui, ça en valait la peine."

Jusqu'à Gaza, dont Dov Weisglass a dit : "L'idée c'est de mettre les Palestiniens au régime, mais sans les faire mourir de faim."

Jusqu'en Iran, où selon le Département d'Etat, les nouvelles sanctions en place, "commencent à faire mal," et jusqu'en des dizaines d'autres endroits, le mal prolifère.

Dans tous les cas, la puissance qui détient la supériorité militaire prétend que ceux qu'elle occupe et opprime sont dangereux et menacent jusqu'à son existence, alors même qu'elle affame la population, lui dénie toute liberté de mouvement et viole ses droits les plus élémentaires sous prétexte de "sécurité". Tous les efforts de "l'ennemi" pour faire la paix sont ignorés et qualifiés de "mensonges" pendant que le vol de la terre et/ou des ressources se poursuit impunément. Chaque fois que les opprimés font valoir leurs droits ou osent se retourner contre leurs oppresseurs, ces derniers prétendent qu'ils sont motivés par la haine et qu'ils veulent annihiler l'état. Les négociations sont considérées comme de la faiblesse et l'oppresseur n'accepte de négocier que s'il y voit un moyen d'accentuer l'oppression. Les oppresseurs parlent tout le temps de "rechercher la paix" tout en détruisant systématiquement tout ce qui s'oppose à leur entreprise.

Nous tuons en affamant, en refusant des médicaments, en isolant. Quand ça ne suffit pas à faire taire les "mécontents" nous n'hésitons pas à faire parler le feu et les bombes. Souvenez-vous des paroles du Commissaire Morgan : "Notre civilisation n'est peut-être pas parfaite mais elle est ce qui peut arriver de mieux aux Indiens. Il ne faut pas qu'ils puissent y échapper et s'ils ne veulent pas s'y plier il faut les briser."

Un jour nous aussi nous serons brisés par cette conception dévoyée de la civilisation.

La doctrine Dahiya est une stratégie militaire ayant pour objectif la dissuasion qui consiste pour l'armée israélienne à cibler délibérément des infrastructures civiles pour faire souffrir la population civile et lui rendre la vie si difficile que résister à l'occupation et rendre les coups devient pratiquement impossible. La doctrine a pris le nom d'un faubourg résidentiel du sud de Beyrouth. Les bombes israéliennes ont détruit tout le quartier pendant la guerre du Liban de 2006. Mais cette doctrine n'est pas une stratégie moderne de contrôle des populations. Mettre Gaza "au régime" n'est pas non plus un moyen inédit de soumettre tout un peuple en le maintenant dans la pauvreté, la malnutrition, la lutte pour se procurer les produits de première nécessité ; la violence, qui est la manière étasunienne de procéder, a été adoptée par nos alliés les plus proches (qui sont aussi "la seule démocratie du Moyen Orient" avec "l'armée la plus morale du monde"), les Israéliens.

Le 27 décembre marque le 4ième anniversaire du début de l'opération Cast Lead, (le nom vient d'une chant populaire pour enfants de Hannoukah à propos d'une toupie (dreidel) faite de plomb fondu). Pendant l'attaque de Gaza, 1417 personnes ont été tuées dont 330 enfants, 4336 personnes ont été blessées et 6400 maisons ont été détruites. Des hôpitaux, des mosquées, des usines électriques et des systèmes d'eau ont été délibérément ciblés.

Israël accuse le Hamas de crimes de guerre pour avoir lancé des roquettes sans système de guidage en Israël. Les officiels israéliens prétendent que "le Hamas se cache derrière des civils" pour justifier le bombardement de centres de populations et d'infrastructures civiles. Tuer les citoyens de Gaza avec des armes de précision est un crime de guerre, qui que ce soit qui se cache derrière ces armes.

Après le récent meurtre de 20 enfants dans une école de Newtown, Connecticut, le Président Obama essuyait ses larmes en disant :
"Notre première tâche est de prendre soin de nos enfants. C'est notre principale mission. Si nous n'arrivons pas à le faire, alors nous n'arriverons à rien. C'est en fonction de cela que notre société sera jugée. Et pouvons-nous vraiment dire, en tant que nation, que nous assumons nos obligations dans ce domaine ?"
Lors de la dernière opération israélienne de 8 jours contre Gaza intitulée "Pilier de nuée" (le nom est tiré de la Bible), trois générations de la famille al-Dalou, dont 4 enfants de 1 à 7 ans, ont été assassinées par un seule bombe. Le fils survivant ne parle pas de se rendre, ni d'abandonner les terres de la famille ni de disparaître. Il demande justice. A sa tristesse se mêle de la colère. Peut-on le lui reprocher ?

Avec le cessez le feu, le peuple de Gaza a envoyé toujours le même message au monde. Nous sommes ici. C'est notre patrie. Nous ne partirons jamais. Il faudra tous nous tuer.

Quand les bombardements se sont arrêtés, notre Congrès a immédiatement voté un nouveau stock de munitions et de bombes à Israël pour qu'il puisse "se protéger". Le mal prolifère.

Dans son discours le Président a ajouté :
"Si nous pouvons faire quelque chose pour éviter à un seul enfant, un seul parent, une seule ville, le chagrin qui a submergé Tucson et Aurora et Oak Creek et Newtown et des communautés comme Columbine et Blacksburg auparavant, alors certainement nous devons le faire."
Wounded Knee n'a pas disparu. Le peuple du Lakota existe toujours. Gaza n'a pas disparu. Le peuple palestinien existe toujours. En Afghanistan, Irak, Pakistan, Yémen, Libye et Somalie, les gens pleurent leurs enfants assassinés. Les violences qu'ils subissent en notre nom continuent. Si nous pouvons faire quelque chose pour sauver un enfant, nous devons le faire.