Champ campagne Viernam_agent orange
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Pour les questions de santé publique, mieux vaut ne pas être victime de guerre. C'est vraiment l'impression qui se dégage quand je relis les publications sur l'utilisation de « l'agent orange » au Vietnam, par l'armée US, entre 1961 et 1971. Un débat relancé par l'engagement des travaux de décontamination sur l'aéroport de Danang... plus de cinquant ans plus tard.

L'agent orange, c'est un défoliant chimique, chargé de dioxine, mis au point par les grandes firmes de la chimie, Monsanto et Dow Chemical en tête, et utilisé par l'armée étasunienne pendant la guerre du Vietnam, avec le feu vert de J.F. Kennedy, le grand ami des civilisations.

Le but était aussi simple que brutal : dégager la végétation dans les zones tenues par les patriotes vietnamiens. Les autorités s'accordent sur le chiffre de 80 millions de litres déversés durant dix ans, mais c'est sans doute bien plus. Les chiffres sont impressionnants : ont été atteints 20% des forêts, soit trois millions d'hectares, dont 400 000 hectares de terres agricoles. 30 000 villages ont été contaminés, avec des concentrations en substances toxiques de 20 à 60 fois la dose normale utilisée dans le pesticide... La Food and Drug Administration n'a interdit le produit, du fait de ses dangers pour la santé, qu'en avril 1970.

Depuis 1961, le nombre des personnes victimes est de trois millions. Le Monde vient de publier un reportage montrant que les effets se font ressentir à long terme. Les parents ont été exposés, mais ce sont les enfants, nés bien après la guerre, qui subissent les ravages : malformations graves, leucémies, cancers, atteintes cardio-pumonaires, ravages dermatologiques... Parfois de troisième génération.

Voici, parmi bien d'autres, l'histoire de Nguyen Van Dung, 43 ans, et sa femme, Luu Thi Thu, 41 ans, qui vivent près de Danang, zone particulièrement contaminée, qui était le grand aéroport militaire US pendant la guerre.

Depuis des années, l'homme travaille comme égoutier aux abords des pistes de l'aéroport de Danang. Tout près de l'endroit où furent longtemps stockés les fûts orange. Il a eu une première fille en 1995. Parfaitement normale. Un an plus tard, il est embauché à l'aéroport. Sa deuxième fille naît en 2000. Atteinte d'une leucémie, elle meurt à l'âge de 7 ans.

En 2006, Luu attend son troisième enfant. C'est un fils, Twan Tu. L'enfant est un garçonnet au front démesurément bombé, aux grands yeux d'aveugle, gémissant, incapable de se mouvoir, poussant de petits cris, l'oreille collée à la sonnerie d'un téléphone portable qu'il écoute inlassablement.

Twan Tu est atteint d'une maladie rare, une ostéogenèse imparfaite, plus connue sous le nom de « maladie des os de verre », qui se caractérise par une extrême fragilité osseuse. « Les médecins disent qu'il n'a plus que trois mois à vivre », glisse Dung. Il ajoute : « Quand ma première fille est morte, j'ai cru que c'était le hasard. Mais quand mon fils est né dans cet état, j'ai compris que ce n'était pas normal. En 1996, quand j'ai commencé à travailler à l'aéroport, on ne savait pas que cette zone était dangereuse. »

Alors, responsabilité évidente avec obligation de décontamination et d'indemnisation des victimes ? Des prunes ! Les standards de santé publique, ce n'est pas pour tout le monde.

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Les procès intentés devant les juridictions US se sont révélés être des échecs. Les actions judiciaires les plus efficaces ont été conduites par des soldats US, eux aussi victimes, et comme la procédure tournait au détriment des firmes, un protocole d'indemnisation a été mise en place en 1984.

En 2005, la justice US a rejeté les recours engagés par des associations de victimes vietnamiennes au motif que l'agent orange, au moment où il a été utilisé, était un herbicide et non un poison... et que la preuve scientifique des contaminations n'était pas rapportée !

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Vis-à-vis du Vietnam, les Etats-Unis veulent bien faire quelque chose, mais sans reconnaissance de responsabilité, et d'une ampleur minimale. C'est seulement l'an dernier qu'a été votée la première loi prévoyant un programme de décontamination... uniquement du site de l'aéroport de Danang, où les concentrations sont démesurées. Un programme évalué entre 30 et 40 millions de dollars. Une goutte d'eau...

C'est assez désespérant.