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© D. R.Laurent Alexandre (neurobiologiste, généticien, chirurgien, serial entrepreneur et auteur de La mort de la mort (éditions J.C. Lattes).)
On a tendance, parfois à tort, de croire que le numérique tire l'innovation. N'y a-t-il pas d'autres moteurs en émergence ?

Le mouvement Do It Yourself (Faites les choses vous-même) va s'orienter vers la biologie. Autrement dit, le Geek du futur sera un bricoleur du vivant. C'est un enjeu majeur du XXIe siècle. Nous allons assister à une concurrence entre les technologies biologiques et les technologies électroniques. Le combat va se dérouler entre le transhumanisme et le post-humanisme. C'est-à-dire, par exemple, entre les cellules souches qui vont « augmenter » l'homme par des moyens biologiques et les prothèses électroniques implantées, comme le cœur artificiel Carmat qui pourrait remplacer les greffes de cœurs humains. Ou les nanorobots intracérébraux branchés sur nos neurones pour nous connecter à Internet, comme l'imagine Ray Kurzweil, le directeur du développement de Google qui les prévoit à l'horizon 2035. Kurzweil prédit aussi l'intelligence artificielle dotée d'une conscience saura surpasser l'intelligence humaine vers 2030. Laissant la porte ouverte à l'humanité augmentée aussi bien qu'au neuro-hacking ou à la dictature nanobotique.

Ce n'est pas très rassurant...

Ces évolutions n'ont pas du tout été anticipées par les politiques ni par la société en général. Il est d'ailleurs amusant de découvrir l'effroi des gens lorsqu'ils découvrent que l'alliance de l'intelligence artificielle et de la robotique sonne à notre porte. Regardez la réaction de Bill Gates qui s'alarme à la perspective de voir une majorité d'emplois qualifiés ainsi remplacés, à l'horizon 2035, en raison du mariage effectif de l'intelligence artificielle et de la robotique. Il faut réfléchir à cet agenda, ne pas se précipiter. Pour ma part, je ne suis pas favorable aux nano-implantations intracérébrales.

Quel est sera l'impact de ces évolutions sur le management des entreprises et de l'innovation ?

La robotisation et l'automatisation des actions professionnelles semblaient un fantasme de science-fiction. Mais c'est en train de devenir réalité. Cette évolution va avoir des conséquences importantes sur le management des entreprises et de l'innovation. En effet, un des objectifs de l'intelligence artificielle implantée sera d'augmenter les capacités de ceux qui en ont moins. Dans ce contexte, les MOOC (Cours en ligne massivement ouverts) seront de la partie. Il s'agira de personnaliser massivement un cours en fonction des capacités neuro-cognitives. Et cette personnalisation pourrait se faire en fonction de nos caractéristiques génétiques.

En tant que neurobiologiste et généticien, pensez-vous que nous allons y perdre notre humanité ?

Il est possible que la notion d'argent disparaisse à terme. Dans un monde où la robotique aura supprimé les emplois, l'art sera peut-être la seule activité exclusivement humaine. Mais on n'en est pas là. La somme des technologies à développer avant est telle qu'il est impossible de faire des prévisions précises. Personne n'est capable de deviner ce que sera le monde de 2035. Ce qui est sur, c'est que l'humain 2.0 sera biologiquement modifié. Il sera augmenté avec des technologies qui seront financièrement accessibles au plus grand nombre. L'humanité doit réfléchir avant de s'engager dans la voie que proposent le Do It Yourself en biologie, les bio-hackers et les sociétés comme Google. Jusqu'où souhaitons-nous modifier notre humanité ? Les gens vont-ils accepter ces évolutions ? Plus généralement, sommes-nous prêts à accepter certaines formes d'intelligence artificielle ?

Dans ce contexte, Google occupe une place prépondérante...

Google met en place une stratégie qui le conduit à employer un tiers des plus grands spécialistes mondiaux en intelligence artificielle et en robotique. C'est bien joué ! Google est ainsi devenu le leader de ces technologies et en détient déjà un quasi monopole. Il ne le conservera peut-être pas. En attendant, cette compagnie va modifier l'humanité. Si Google devient trop puissant, il va falloir la démanteler. Au-delà de Google, la Californie concentre l'essentiel des technologies NBIC qui regroupent les nanotechnologies, les biotechnologies, l'informatique et les sciences cognitives. Autrement dit, l'interconnexion croissante entre l'infiniment petit, la fabrication du vivant, les machines pensantes et l'étude du cerveau humain.

Ce pouvoir énorme peut-il être contrebalancé ?

Il n'y a pas de raison que les hackers ne s'emparent pas de ces phénomènes. Évidemment, certains y pensent déjà. Le vrai problème, c'est le sens. Comment éviter la dictature neurologique, la prise de contrôle de l'humanité par un petit groupe ?