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L'Union Européenne pense à la manière de punir la Russie au lieu de se soucier de sa propre sécurité énergétique. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a ainsi commenté la position de Bruxelles sur South Stream, notamment la déclaration des dirigeants de l'UE qui menacent de geler la construction du gazoduc tant que Moscou ne reconnaît pas les nouvelles autorités de Kiev.

Qui est le maître de l'Europe ? Si quelqu'un continuait de se bercer d'illusions au sujet de l'indépendance du Vieux continent, ces illusions sont désormais dissipées. Les politiques américains se rendent en Europe comme chez eux : ils donnent des instructions à Bruxelles, ils se baladent sur Maïdan, ils siègent aux Conseils de sécurité des Etats « indépendants ». Le dernier déplacement de 24 heures de sénateurs américains conduits par John McCain a été fait à Sofia : il a fallu faire une légère réprimande au premier ministre bulgare qui désobéissait à la Commission européenne et construisait South Stream. M. Orecharski a exécuté l'ordre donné et a suspendu les travaux.

Le but poursuivi par South Stream consiste à diversifier les livraisons du gaz russe à l'Europe. S'il est construit, les autorités de Kiev et les dettes ukrainiennes ne seront plus un obstacle sur la voie de l'UE. Est-ce que l'Europe se nuit à elle-même et agit au détriment de ses intérêts ? L'expert de l'Institut des études slaves de l'Académie des sciences de Russie Anna Filimonova explique la situation non pas par la cécité européenne, mais par des mobiles politiques :

« Les Etats-Unis sont derrière ces actions. Leur instrument docile est la bureaucratie européenne qui siège à Bruxelles et fait fi traditionnellement des intérêts des pays européens. Qui concrètement siège dans ces institutions européennes et dans quel intérêt reste un mystère. C'est une élite dénuée de nationalité : le plus souvent nous ignorons leurs noms cachés de l'opinion publique. Ce sont les gens qui prennent des décisions dans l'intérêt des sociétés transnationales ».

L'énergie bulgare dépend à 85 % du gaz russe. Pour la Serbie, la Russie est également le fournisseur principal. Des sources alternatives n'existent pas. Le transit via l'Ukraine est accompagné de risques immenses et le gazoduc transadriatique n'existe que sur le papier. Plus encore, les réserves du gaz azerbaïdjanais ne peuvent couvrir que 3 % des besoins de l'Europe. Le docteur Alexandre Sivilov de l'Université de Sofia est convaincu que dans ce contexte South Stream sauve la situation :

« La position de Washington est une ingérence grossière dans les affaires intérieures de Bulgarie. La réaction du gouvernement est étonnante, car il est peu probable qu'il soit prêt, en effet, à renoncer au projet étant donné son importance pour la république et pour le reste de l'Europe. Le projet doit être réalisé indépendamment des réalités politiques que le gèlent actuellement. La Bulgarie doit chercher les moyens de diversifier les fournitures de gaz ».

Mais la Maison Blanche estime qu'il faut battre le fer tant qu'il est chaud. La situation y est propice : la crise en Ukraine et l'Europe ressemble à une ruche en ébullition. Il faut y ajouter les élections européennes qui peuvent modifier la composition de la Commission européenne, note la docteur en économie Nina Dulguerova de l'Université de Sofia :

« Les Etats-Unis font tout pour atteindre dans les plus brefs délais leur objectif majeur : profiter de cette composition de la Commission Européenne pour limiter ou, si possible, évincer la Russie du marché énergétique de l'Union Européenne. En septembre-octobre le processus de répartition de postes à Bruxelles s'achèvera ce qui compliquera la tâche des Etats-Unis ».

L'intérêt américain d'évincer la Russie du marché énergétique européen a été expliqué par Barack Obama en personne. Le président a promis à l'Europe des flots surabondants de gaz de schiste américain. Très cher, il est vrai. Peu importe pour les Etats-Unis car il leur faut écouler quelque part les fruits de la « révolution de schiste ». D'autant plus que bientôt les gisements ukrainiens pourront devenir américains.

Il ne faut pas penser cependant que l'Amérique est l'unique coupable. L'Europe aussi aime qu'on tire les marrons du feu pour son compte. De l'avis des analystes, Bruxelles fait flèche de tout bois pour imposer à Moscou son modèle de South Stream. Elle veut que la Russie construise le gazoduc à ses frais, mais qu'elle transfère la gestion à un régulateur européen qui décidera qui et en quelles quantités livrera du gaz par ce tuyau.

Pour conclure, un bref rappel : messieurs les fonctionnaires européens n'oubliez pas que l'hiver n'est pas loin.