Marc Trevidic, vice-président du TGI de Lille, ex-juge d'instruction au pôle antiterroriste de Paris, donne son analyse sur les attentats qui ont fait 129 morts vendredi à Paris.

Trévidic
© AFP/Martin «  Beaucoup d’efforts ont été entrepris depuis ces deux dernières années avec, notamment, le vote de la loi sur le renseignement. Malheureusement, nous n’avons pas voulu mettre le renseignement au service du judiciaire  », estime ol'ex-juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris Marc Trévidic
Les Français doivent-ils s'attendre à d'autres attentats de même type que ceux de vendredi soir ?

De même mode opératoire ou pas, d'autres attentats sont à prévoir. Nous sommes entrés dans une logique d'affrontement avec l'Organisation Etat islamique (OEI) qui ne s'attend pas à la fin des bombardements. La France va les frapper plus durement et l'OEI réagira encore plus fort par des frappes sur notre territoire. Nous sommes dans cette logique désormais.

Quelles sont les mesures que doit prendre le gouvernement dans les prochaines heures ?

Le gouvernement a déjà décrété l'état d'urgence. C'est une réponse forte qui permet, par exemple, d'effectuer des perquisitions 24 heures sur 24 sans mandat judiciaire. En allant au-delà, en construisant des centres de rétention à l'instar de ce qu'ont fait les Etats-Unis avec Guantanamo, le gouvernement risque de sortir des principes républicains. Ce serait contraire à la Constitution française et à la Convention européenne des droits de l'homme. Il est impossible, en France, de s'engager sur cette voie.

Ne tombons pas dans la sur-réaction qui consisterait à interner toutes les personnes susceptibles d'être radicalisées. Nous risquerions de précipiter un mouvement de bascule où des musulmans modérés, sous prétexte d'avoir le sentiment d'être persécutés, emprunteraient la voie d'une radicalisation certaine. C'est ce qu'ont cherché les islamistes d'Al Qaida par le passé, et l'OEI aujourd'hui.

Le renseignement français est-il à la hauteur ? En terme d'effectifs ou financiers ?

Beaucoup d'efforts ont été entrepris depuis ces deux dernières années avec, notamment, le vote de la loi sur le renseignement. Malheureusement, nous n'avons pas voulu mettre le renseignement au service du judiciaire. Le système n'a pas été conçu en ce sens. Nous faisons face à un goulet d'étranglement : quand près de 2.500 personnes travaillent au renseignement, en face, il n'y a que 150 personnes du côté judiciaire. Ce déséquilibre signifie, en clair, que les juges n'ont pas les moyens de traiter les renseignements qui leurs sont transmis.

Il est vital de renforcer les effectifs des magistrats et des enquêteurs de police judiciaire. Il importe de doubler les effectifs du département judiciaire de la DGSI. Cela permettra notamment d'éviter la situation actuelle où seulement la moitié des personnes qui se sont rendues en Syrie pour des raisons terroristes sont aux mains de la justice. Le reste circule librement en France parce que nous n'avons pas les moyens nécessaires de traiter leur dossier.

Au nom de la sécurité intérieure, faut-il restreindre les libertés individuelles, au risque d'être liberticide ?

Evoquer cette question revient à s'interroger sur l'internement, dans des camps de type Guantanamo, de personnes soupçonnées d'être dangereuses. Mais comment faire une distinction entre un radical non violent et un radical prêt à commettre des attentats ? Nous n'avons pas une échelle de Richter du radicalisme.

De tels camps seraient inutiles. L'état d'urgence est déjà une réponse suffisamment forte à ce stade. A mes yeux, ce ne sont pas les lois qui manquent, mais les moyens évoqués précédemment.

La France doit-elle revoir de fond en comble sa politique étrangère ?

Le problème qui se pose est d'imposer à certains pays un minimum. Je pense en particulier à la Turquie, compte tenu de l'ambiguïté de ses relations avec l'OEI. Côté syrien, la France n'a pas besoin d'un revirement et d'annoncer qu'elle soutient Bachar Al-Assad pour frapper l'OEI.

Plus largement, la France n'est pas crédible dans ses relations avec l'Arabie saoudite . Nous savons très bien que ce pays du Golfe a versé le poison dans le verre par la diffusion du wahhabisme. Les attentats de Paris en sont l'un des résultats. Proclamer qu'on lutte contre l'islam radical tout en serrant la main au roi d'Arabie saoudite revient à dire que nous luttons contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table.