Trop coûteux et trop complexe, le Brexit sera abandonné, tôt ou tard. L'Europe devra tout de même tirer les bonnes leçons de ce grand exercice de gesticulation symbolique.

Brexit Britain
© imago stock&people / Global Look Press
Quelques heures à peine après l'annonce de la victoire du Brexit au référendum britannique les gagnants ont démontré qu'ils n'avaient aucune idée de ce qu'ils allaient faire concrètement dans les jours, les semaines et les mois qui viennent. Rien ne presse. On décidera plus tard d'activer ou non l'article 50 du Traité européen et puis on pourrait aussi conserver les bouts d'Europe qui nous intéressent - l'accès aux marchés par exemple. Peut-être même qu'on s'est trompé, ont laissé entendre certains.

Dans le même temps, les contrecoups de cette décision au plan politique international comme sur les marchés financiers restent très importants. Là aussi, on aurait pu s'attendre à une consolidation rapide, une fois que les électeurs auraient annoncé leur choix.

Des alternatives simplistes

En fait, cette confusion n'est pas près de se résorber, parce qu' in fine il n'y aura pas de Brexit. D'une manière ou d'une autre, il faudra revenir sur cette décision spectaculaire et illusoire. D'abord vient son coût économique (récession probable, chômage, chute des prix de l'immobilier, délocalisation d'entreprises, etc.).

Suit la question de l'indépendance écossaise , que le public anglais a largement ignorée au cours des derniers mois. Enfin et surtout, on va réaliser que sortir de l'Europe n'a rien à voir avec quitter son club de tennis ou sortir d'une co-propriété, ce qui est plus ou moins le modèle selon lequel on a discuté la question.
Glasgow result:
Remain 168,335
Leave 84,474
Scotland's biggest city backs the EU. #EUref

— Michael Gray (@GrayInGlasgow) 24 juin 2016
En fait, des dizaines de décisions lourdes sur des politiques publiques de première importance étaient incluses dans l'alternative simpliste proposée aux électeurs ( in ou out) : l'immigration, la concurrence, l'environnement, la lutte contre le terrorisme, les politiques régionales, la recherche, etc.

Chacune de ces politiques doit pouvoir faire l'objet d'un examen critique beaucoup plus sérieux que cela n'a été le cas jusqu'à présent. Mais cela n'a pas sens de faire un paquet de l'ensemble et de demander à l'électeur un avis final. Ni la souveraineté ni la citoyenneté ne se retrouvent là. C'est seulement de l'air chaud.

Une montagne administrative décourageante

Mais il y a plus, et plus complexe. Sortir de l'Europe, pour quelque pays que ce soit, c'est rompre littéralement des milliers de règles de droit, de conventions, de procédures acceptées et de normes partagées par lesquelles, concrètement, chaque pays s'intègre à l'espace européen et au-delà à l'espace globalisé.

C'est littéralement le tissu par lequel communiquent les personnes, les sociétés et les économies hyper-complexes d'aujourd'hui. Réécrire ce nombre infini de règles du jeu, souvent très techniques et sans portée politique évidente, serait une tâche immense et infiniment coûteuse.

Non seulement rien ne permet de penser qu'on serait dans une meilleure position à l'arrivée qu'au départ. Surtout on sait très bien qui ferait le travail : les technocrates, les lobbies, les consultants, les avocats internationaux. C'est la plus grande aubaine qu'on pourrait leur offrir : tout un troupeau de vaches à lait à traire, pendant dix ou quinze ans, aux frais du contribuable.

Un nouveau référendum ?

Ces considérations vont forcément s'imposer dans les mois qui viennent : la récession, l'Écosse et la complexité technico-légale du Brexit. C'est ce qu'un certain nombre d'acteurs pressentent déjà. La pire des solutions, bien sûr, serait de bidouiller, comme après le non français au référendum de 2006 : trouver un accommodement nocturne entre technocrates et ministres, puis le faire accepter tant bien que mal et par défaut, c'est-à-dire par un vote parlementaire bien préparé. À l'évidence, ce serait la promesse d'une nouvelle insurrection dans les cinq ans.

L'issue prévisible de la décision britannique devra au contraire être sanctionnée par une élection législative centrée sur le Brexback ou par un nouveau référendum. Surtout, la leçon de cet échec devra être clairement tirée, aux yeux de tous : en dehors de l'Europe, il n'y a pas une verte prairie ensoleillée, où des peuples émancipés et réconciliés avec eux-mêmes marcheraient enfin vers un avenir meilleur.

Derrière la porte de l'Europe, il y a toujours le monde complexe, technique et souvent injuste qui est le nôtre, mais en pire : avec moins de moyens encore d'isoler les enjeux majeurs et de les rendre au débat démocratique. Aujourd'hui, les seules questions à poser au citoyen, une à une, et auxquelles il doit pouvoir répondre en toute connaissance de cause, portent sur ce qu'il demande à l'Europe : ce qu'elle fait bien, ce qu'elle doit réformer et ce qui doit être rendu aux États nationaux.

Le cas échéant, des référendums auraient ici tout leur sens, d'une certaine manière sur le modèle suisse : un modèle décrié, certes, bien plus sérieux que la gesticulation dangereuse à laquelle nous assistons ces temps-ci, en Grande-Bretagne et ailleurs. L'Europe-symbole est vide désormais, c'est pourquoi n'importe quel aventurier peut lui faire dire n'importe quoi.

Jérôme Sgard est professeur d'économie politique à SciencesPo