Sur fond d'aggravation de ses relations avec Riyad après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul, Ankara peut désormais exercer une pression sur les groupements pro-saoudiens en Syrie, estime Vladimir Evseev, vice-directeur de l'Institut des pays de la CEI et expert militaire, interrogé par Sputnik.
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© EFEAnkara et l'affaire Khashoggi
« Si nous parlons de la situation dans le gouvernorat d'Idlib, une pression supplémentaire pourrait être exercée sur les groupements armés pro-saoudiens qui y sont présents à cause de l'affaire Khashoggi. En tout cas, il serait souhaitable que la Turquie intensifie ses efforts, au moins pour le retrait des armes lourdes du Front al-Nosra*. J'estime que l'affaire Khashoggi pourrait créer un contexte favorable et que les Européens pourraient y contribuer », a-t-il précisé.

Selon lui, cette question pourrait être abordée lors du sommet quadripartite entre Moscou, Paris, Berlin et Ankara qui doit se tenir le 27 octobre à Istanbul.

« Dans le cadre de la rencontre qui aura lieu le 27 octobre, nous aurons la possibilité de demander à la Turquie de mettre un terme à l'aide qu'elle fournit, peut-être moyennant l'argent de l'Arabie saoudite, au Front al-Nosra* et à ses structures affiliées. Le Front al-Nosra* étant un groupe proche de l'Arabie saoudite, nous pourrions pousser la Turquie à l'isoler puisque sans soutien extérieur, celui-ci ne pourrait plus exister bien longtemps », a-t-il expliqué.

Cette opinion est partagée par Alexandre Kouznetsov, vice-directeur de l'Institut du pronostic et du règlement politique, interrogé par Sputnik.

« En ce qui concerne l'affaire Khashoggi, il est possible que la Turquie prenne des mesures plus décisives à l'égard du Front al-Nosra*, qui est un groupement pro-saoudien », a-t-il indiqué.

Néanmoins, M. Kouznetsov estime qu'il est peu probable que Washington apporte son soutien à une telle pression sur l'Arabie saoudite.

« Sur les conséquences de l'affaire Khashoggi sur les relations américano-saoudiennes, je ne vois pas de prémisses à l'aggravation des relations entre les États-Unis et l'Arabie saoudite [...] Les États-Unis n'ont que deux alliés au Proche-Orient sur lesquels ils peuvent compter. Il s'agit de l'Arabie saoudite et d'Israël [...] Ces pays sont liés si étroitement que les Américains ne se décident jamais à prendre de graves sanctions », a-t-il ajouté.

M. Kouznetsov compare le meurtre de Jamal Khashoggi avec l'affaire Lockerbie, une affaire ayant impliqué l'explosion d'un Boeing américain au-dessus du village de Lockerbie en Écosse, faisant 270 morts. À l'époque, la Libye a été accusée de cet attentat et a été sanctionnée par le Conseil de sécurité de L'ONU.

« Il y a eu des sanctions mais elles ont ensuite été annulées. La Libye a payé pour cela avec une très importante compensation de trois milliards de dollars pour les proches des victimes. [La Libye, ndlr] a retrouvé un homme qui n'était pas impliqué mais qui a purgé une peine de prison en Grande-Bretagne, peine durant laquelle il a été atteint d'un cancer avant d'être libéré quelques mois avant sa mort », a-t-il expliqué, suggérant que l'Arabie saoudite pourrait également présenter de tels « boucs émissaires ».


Commentaire : Sur la tragédie de Lockerbie lire à ce sujet :

Le 23 octobre, le Président turc a déclaré que l'assassinat de Jamal Khashoggi avait été planifié plusieurs jours en avance par des responsables saoudiens. Il s'est adressé au gouvernement saoudien et au roi Salmane en proposant de juger les 18 suspects de cette affaire à Istanbul.

Auparavant, l'Arabie saoudite avait fini par reconnaître la mort du journaliste, disparu début octobre au consulat saoudien à Istanbul. Riyad assure que Jamal Khashoggi a été tué dans une rixe et dément avoir ordonné qu'il soit assassiné.

Dimanche 21 octobre, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Joubeir, a qualifié la mort du journaliste d'«erreur considérable et grave» et a indiqué «ne pas savoir où se trouve son corps».

*Une organisation terroriste interdite en Russie