Deux articles paraissent ce matin dans la revue Nature qui vieillissent l'arrivée de Cro Magnon en Europe.

A l'aide de dents dénichées il y a longtemps en Grande Bretagne et en Italie, mais datées de manière plus précise et plus fiable, les archéologues datent désormais d'il y a 42.000 à 45.000 ans l'arrivée de "l'Homme anatomiquement moderne" - l'expression en vigueur dans les laboratoires pour désigner les populations d'Homo sapiens semblables à nous, Cro Magnon n'étant plus qu'un terme journalistique ou de chansons - en Europe.(Photo © Dr. Stefano Benazzi).

Cette datation implique que la co-existence en Europe des populations de Néandertaliens et de Cro-Magnon a duré plusieurs milliers d'années.

Ces deux articles viennent alimenter un débat intense sur les relations entre nos ancêtres directs et les hommes de Néandertal qui peuplaient l'Europe depuis 200.000 ans, descendants des Homo erectus présents, eux, depuis plusieurs centaines de milliers d'années. Relations génétiques (des relations sexuelles fécondes) ? Relations culturelles ? Et pourquoi les Néandertaliens ont-ils disparu ?

Le premier article, signé de plusieurs grosses pointures de l'archéologie (Chris Stringer, Erik Trinkaus) a repris un morceau de machoire et des dents découverts en 1927 dans la Caverne de Kent (Torquay). Elles Tableau datesavaient été datées en 1989 a environ 35.000 ans. Une nouvelle analyse, plus précise grace à une ultrafiltration, les vieillit à environ 42.000 ans. En outre une analyse fine des morphologies montre que les dents sont plus "modernes" que néandertaliennes. Bilan : Cro-Magnon, venu du sud, avait déjà passé la Manche (à l'époque un simple fleuve car les calottes de l'ère glaciaire avaient considérablement abaissé le niveau marin).

Le second article, portant sur l'Italie, résulte d'une coopération de 13 équipes européennes dont deux chercheurs (Cnrs et Universités d'Aix-Marseille de Bordeaux). Il a étudié et daté des dents de lait et des coquillages. Priscilla Bayle (Bordeaux) me précise qu'il s'agit «de matériels découverts il y a longtemps dans cette grotte du Cavalier.» Les fouilles datent en effet de 1964, dans cette grotte de l'Apulie, au sud de l'Italie.

Les reconstructions en 3D, permises par des microtomographies en rayons X des dents de la Grottte du Cavallo ont été comparées à des dents néandertaliennes et modernes. Ce qui a montré qu'elles appartenaient à des Hommes modernes. La datation au carbone 14) de coquilles perforées, des mêmes niveaux archéologiques que les dents, a montré qu'elles remontent à 43 000 à 45 000 ans.

Ces nouvelles informations sur le propriétaires des dents et sur son ancienneté bouleverse la première interprétation des outils et ornements en coquillages découverts en 1964. Ils avaient été attribués à des néandertaliens et à une culture baptisée d'Uluzzienne (du nom de la ville d'Uluzzo) qui montre des traits "modernes" (os, ornements, colorants...).

Avec la culture dite du "Chatelperonnien" en France - grottes d'Arcy sur Cure et Saint Cezaire - il s'agit d'une des cultures dites de "transition" entre le paléolithique moyen et le paléolithique supérieur, ce dernier étant censé découler de l'arrivée de l'homme moderne. Bref, un Cro Magnon plus "évolué" culturellement que les Néandertaliens.

Ces cultures de transition ont souvent été interprétées comme le signe de relations culturelles entre les deux populations, les Néandertaliens ayant été "inspiré" par leurs cousins. Cette histoire a désormais de plus en plus de plomb dans l'aile... même si, précise Bayle : «c'est surtout le doute qui grandit. On avait raisonné par analogie avec le Chatelperonnien en France, attribué à des néandertaliens (Saint Cezaire, Arcy sur Cure). L'argument tombe, car les niveaux archéologiques ont été redatés et sont plus anciens. Le doute grandit finalement sur les auteurs des industries de transitions. On ajoute au doute. Mais ils vont tous dans la même direction : les industries dites de transitions peuvent être des mélanges entre niveaux archéologiques ou le fait d'hommes modernes.»