Traduit par Anne Meert pour Investig'Action

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A la Maison Blanche, la Première ministre australienne Julia Guillard expose au Président américain Barack Obama les différences entre le football américain et australien. Ils ont également évoqué bien d'autres sujets (photo : White House Office)
Tandis que tous les regards convergent vers la Libye, l'Egypte, Israël, la Syrie, l'Irak, l'Iran et l'Afghanistan, presque personne ne fait attention aux nouvelles intentions stratégiques en Extrême-Orient. Il semble bien qu'une nouvelle guerre froide se prépare, avec la Chine dans le rôle du croque mitaine.

Obama rassure les Aussies

A la mi-novembre 2011, le Président Barack Obama visitait un certain nombre de pays d'Extrême-Orient, les principaux étant l'Australie et l'Indonésie. Les grands médias n'y ont pratiquement pas prêté attention. A première vue en effet, il semble qu'il n'y ait rien de particulier à signaler.
Les seules conséquences concrètes directes de cette visite sont la décision commune de stationner 250 marines dès 2012 à Darwin, dans le nord de l'Australie, et la vente de 24 avions de combat F-16 à l'Indonésie. L'accord militaire signé avec l'Australie prévoit un plan pour augmenter progressivement cette présence jusqu'à 2.500 marines.
Dans le même temps avait lieu une visite de la Secrétaire d'Etat d'Obama Hillary Clinton dans un certain nombre de pays de la région, la visite au Myanmar étant la plus remarquée. Il y avait en effet 54 ans qu'aucun représentant aussi haut placé des Etats-Unis n'avait visité ce pays. Par contre, la visite de Clinton aux Philippines a été peu remarquée, en dépit de son importance plus grande, parce que les intentions des USA dans la région y sont apparues plus explicitement.

La Chine redevient le croque mitaine

Les Philippines ont depuis longtemps un différend territorial avec la Chine à propos de quelques îles en Mer de Chine méridionale. La « Mer de Chine méridionale », c'est l'appellation officielle. Néanmoins, dans son discours, Clinton a évoqué le « conflit » dans la « Mer des Philippines occidentale » (terme que seuls certains Philippins utilisent).
Cela peut sembler trivial, mais ce n'est pas le cas. Officiellement il ne s'agit que d'un conflit sur les droits de pêche. La marine philippine bloque les bateaux de pêche chinois dans une partie de cette mer, à tort selon la Chine. Cependant cette mer est cruciale pour la Chine notamment pour le transport de pétrole du Moyen-Orient qui se fait encore toujours par bateaux-citernes, mais aussi pour le commerce sans cesse croissant de ce pays. En outre, les Philippines sont en confit territorial historique avec la Malaisie, l'Indonésie et le Vietnam. Là-dessus, Clinton n'a pas dit un mot.

Bien plus qu'un « accord commercial »

Au cours de sa visite, Obama a conclu un accord commercial avec neuf pays de la région. Le 17 novembre 2011 il prononçait un discours sans détours devant le parlement australien. Bien qu'il confirme dans ce discours ce qu'il avait promis à la Chine en janvier 2011, ce discours n'en était pas moins l'amorce d'une nouvelle guerre froide avec ce même pays. Aussi la réaction de la Chine ne se fit-elle pas attendre.
En effet, les Etats-Unis ont un « problème » dans le Pacifique. Notamment en raison des lourds efforts (et de la récession économique concomitante du pays) consentis en Irak et Afghanistan, ils ont dû renoncer à leur hégémonie - mais la désindustrialisation progressive des USA depuis les années '70 y joue également un rôle. Depuis quelques années, la Chine a donc les coudées franches et elle est devenue l'acteur économique dominant dans la région.
Dans son récent discours, Obama a rassuré les alliés des USA dans la région Asie-Pacifique. Les restrictions annoncées en matière de défense ne se feront pas aux dépens de la présence militaire étasunienne en Extrême-Orient.

L'Australie, fidèle alliée occidentale

Le gouvernement du premier ministre australien Julia Guillard a bu du petit lait.
Ce discours est un remerciement pour la collaboration continue et non critique de l'Australie avec les choix stratégiques étasuniens en Irak et en Afghanistan. Guillard dirige un gouvernement travailliste qui combine une politique intérieure modérément néolibérale avec une politique extérieure brutalement néolibérale. Sous son gouvernement, l'armée australienne continue de participer à la guerre en Afghanistan.
Lorsque les révélations de Wikileaks démontrèrent que le gouvernement de son prédécesseur (du même parti) Kevin Rudd savait qu'il n'était pas question d'armes de destruction massive en Irak, Julia Guillard qualifia de criminel le fondateur de Wikileaks, son compatriote Julian Assange. C'est ce qu'elle persiste à dire, malgré le fait qu'une enquête judiciaire ouverte à sa propre demande a démontré qu'Assange n'a violé aucune loi australienne. Elle refuse aussi de se prononcer sur les menaces de mort à l'encontre d'Assange.

Choisir la confrontation plutôt que la collaboration

Une dame de fer, donc. Au lieu de resserrer les liens économiques avec la Chine, l'Australie opte ainsi, avec les Etats-Unis, pour la confrontation. A court terme cela fera sans doute la fortune de l'île (ou plutôt, du continent australien).
Les Etats-Unis veulent également majorer la collaboration militaire avec Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. Pour les deux premiers, c'est la poursuite d'une alliance maintenue depuis 1945. Mais pour le Vietnam c'est nouveau. Le Vietnam a toujours été un ennemi historique des Etats-Unis, mais aussi ... de la Chine.
Non sans ironie, car c'est ce que les Etats-Unis ont toujours nié pendant la guerre du Vietnam : selon les dires de la propagande politiquement correcte d'alors, la Chine et l'Union Soviétique étaient des alliés communistes du Nord-Vietnam et de la guérilla sud-vietnamienne.
Mais les gouvernements étasuniens ne rechignent pas à prendre le contre-pied d'un argument, du moment que cela les arrange. Aujourd'hui, le Vietnam devient donc un allié (si cela réussit, car un accord avec le Vietnam est tout sauf acquis).

La Chine est préoccupée, à juste titre

La Chine a de bonnes raisons de se faire du souci quant au nouvel engagement des Etats-Unis dans la région. Il y a quelque dix ans, la Chine avait déjà entamé sa croissance économique spectaculaire. Mais à ce moment, le pays n'utilisait que 3,3 millions de barils de brut par jour, dont 1,7 millions de barils importés, la majorité par oléoducs terrestres. En 2008 la Chine consommait déjà 7,8 millions de barils par jour. On prévoit que ce chiffre montera à 13,6 millions de barils par jour en 2020 et à 16,9 en 2035.

Les Etats-Unis ne jurent que par le pétrole, coûte que coûte

En 2001 les Etats-Unis consommaient quelque 19 ,6 millions de barils par jour, dont 10,6 importés (notamment du Venezuela). Pour leurs besoins d'importation croissants, les Etats-Unis s'efforcent de faire appel de plus en plus à des sources pétrolifères dans les régions des pôles, à des forages en eau profonde dans l'Atlantique et à des forages par fracturation hydraulique (fracking) au Canada et dans un certain nombre de territoires du nord-ouest.
Le procédé de la fracturation hydraulique pour exploiter le pétrole dans des couches de sable bitumineux est excessivement polluant (il faut d'énormes quantités d'eau, qui, après usage, sont repompées dans le sol, fortement polluées), mais les forages dans les régions polaires et dans les hauts-fonds marins comportent également de sérieux risques écologiques (comme cela s'est déjà avéré dans le Golfe du Mexique - une catastrophe dont les médias de masse ne parlent quasi plus, alors que les répercussions catastrophiques sont toujours importantes).

La Chine est acculée

Le régime chinois n'a pas une conscience écologique particulièrement affûtée, mais il ne peut pas faire les choix qui sont ceux des Etats-Unis et il deviendra de plus en plus dépendant de l'importation de pétrole par bateaux-citernes. Il est vrai que le pays construit de coûteux oléoducs vers la Russie et les républiques d'Asie centrale mais selon les pronostics les plus positifs cela ne desservira qu'une part de plus en plus réduite de leurs besoins d'importation.
En resserrant aussi fortement les liens avec les pays qui entourent la Chine et en majorant leur présence militaire dans la région, les Etats-Unis forcent la Chine à accroître elle aussi son effort militaire. Celui-ci portera notamment sur l'extension d'une armée de mer.
La Chine est peut-être une puissance mondiale dans le domaine des armes nucléaires et de l'armée de terre, mais du point de vue de la puissance maritime elle n'est toujours qu'un petit joueur face aux Etats-Unis. La Chine n'a pas l'intention de se laisser couper sa voie d'approvisionnement de pétrole par la mer de Chine. Dès lors, la construction d'une grande force navale reste la seule option.

Une nouvelle course à l'armement

Une nouvelle course à l'armement se prépare donc en Extrême-Orient, ce qui fait courir le risque d'une répétition de la guerre froide avec l'Union soviétique. Outre la menace réactivée de nouvelles confrontations militaires, cela implique aussi le risque d'une guerre nucléaire. Mais même si les choses ne vont pas aussi loin, d'autres catastrophes menacent. Des forages pétroliers dans les régions polaires, en eaux profondes et dans les zones de sables bitumineux entraîneront inéluctablement des catastrophes écologiques.
Ici également, Obama se montre tel qu'il a toujours été : un président du système, un président qui prend à cœur les intérêts des grandes entreprises et de l'élite économique de son pays en rejetant pour ce faire tout le reste. Mais n'oublions pas qu'il parle aussi pour les élites économiques de l'Union européenne.
(Entre temps, cette élite européenne s'attelle à un combat similaire. L'inscription obligatoire de doctrines néolibérales dans les constitutions des Etats membres de l'UE n'est rien moins qu'une tentative de tuer dans l'oeuf toute résistance sociale dans l'avenir).

Propagande et réalité

Représentez-vous l'hypothèse suivante : la Chine possède une énorme marine qui effectue régulièrement des manœuvres devant la côte orientale et occidentale de l'Amérique ainsi que dans le golfe du Mexique. La Chine conclut des accords militaires avec le Canada, le Mexique et la plupart des Etats insulaires caribéens. Les Etats-Unis réagissent en augmentant eux aussi leurs forces navales. Une utopie ? Non, la réalité, j'ai simplement inversé les noms des pays.
Les propagandistes du système à Washington, Londres, Paris et Bruxelles tiennent déjà prête leur version des « faits ». Dans quelques années on se mettra à écrire sur les « ambitions militaires croissantes » de la Chine. Le « péril rouge » de la première guerre froide deviendra le « péril jaune ». Le fait qu'il s'agira d'une escalade suscitée par l'Occident lui-même ne fera évidemment plus partie du discours politique correct.

Du pain sur la planche

L'humanité ne peut se permettre ni une deuxième guerre froide ni de nouvelles catastrophes écologiques. La politique américaine et occidentale en Extrême-Orient doit être démasquée dès maintenant, pas dans vingt ans. Pour cela, la population mondiale ne peut pas compter sur les médias de masse actuels. C'est donc un point stratégique à l'agenda des nouveaux médias.
Je ne peux qu'espérer que les médias alternatifs d'aujourd'hui acquièrent davantage d'importance et de combativité. C'est ce qu'ils doivent à l'humanité.