Peut-on imaginer pourquoi, lors de certaines fouilles archéologiques (par exemple à Pomègues, une des îles de Frioul au large de Marseille) on trouve autant d'exemplaires de pipes des 17ème et 18ème siècles ? Leur grande variété atteste de l'intensité du trafic commercial avec ces marins qui, fumant, tentent de se protéger (de la peste) et passent le temps... L'île de Lazaretto Nuevo, dans les environs de Venise, prend une importance considérable au 15ème siècle : en raison d'épidémies de peste, on instaure le Devoir de prévention des contagions, dépôt temporaire de marchandises et d'hommes, véritable fondement de la quarantaine dont les principes seront exportés au pourtour méditerranéen et partout ailleurs. Et à Lazaretto Nuovo aussi, on trouve des pipes...

Se protéger de la peste par le tabac, où est le rationnel ? Remarquons d'abord qu'il pourrait agir comparablement au bec percé des masques oblongs si connus que portaient les praticiens en temps de peste pour se prémunir de l'air vicié : rempli d'aromates (romarin, laurier, poivre, clous de girofle, éponges imbibées de vinaigre), il épurerait l'air comme un masque FFP2. Le 8 août 1815, Louis Alexandre Arvers soutenait à Paris sa thèse de médecine devant un jury prestigieux composé entre autres de Jussieu et Dupuytren. Dans cet « essai sur le tabac », il présente les usages prophylactiques de l'herbe à fumer, à commencer par la peste. « Ceux qui fument sont en quelque sorte enveloppés d'une atmosphère de fumée de tabac qui empêche l'exhalaison que dégagent les malades de les impressionner aussi vivement que ceux qui n'ont point cette habitude... Enfin les gaz méphitiques contenus dans l'air qu'on respire peuvent aussi éprouver quelques modifications par la même cause, et devenir moins nuisibles ».

L. Alexandre Arvers croit t-il à la prévention pestilentielle par le tabac ? Très vite, il tempère son jugement par des observations contraires, remarquant par exemple que la peste ravage les Tucs aussi, qui passent presque tout le jour à fumer. Un best seller du 17ème siècle, « Discours de la peste », 1666, de Philippe Guibert, n'évoque même pas le tabac. Le mythe a fait long feu et va vite disparaître complètement. Difficile, aujourd'hui, d'arguer d'un effet protecteur quelconque contre les maladies infectieuses pour continuer de fumer...

Charlier P et coll. : Tabac et prophylaxie anti- pestilentielle (Venise, XVIIIème s.) Feuillets de Biologie 2012 ; 307 : 61-63.