Peu de phénomènes ont eu un impact profond au niveau mondial aussi rapidement que l'actuelle épidémie de Coronavirus. En un rien de temps, la vie humaine a été complètement réorganisée. J'ai demandé à Mattias Desmet, psychothérapeute et professeur de psychologie clinique à l'université de Gand, comment une telle chose est possible, quelles en sont les conséquences et à quoi nous pouvons nous attendre à l'avenir.

© Inconnu« Nous vivons dans un monde psychotique. Les fous sont au pouvoir. »
~ Philip K. Dick, L'homme dans le château fort
Près d'un an après le début de la Coronacrise, comment se porte la santé mentale de la population ?Mattias Desmet — Pour l'instant, il existe peu de chiffres qui montrent l'évolution d'indicateurs possibles comme la prise d'antidépresseurs et d'anxiolytiques ou le nombre de suicides. Mais il est surtout important de replacer le bien-être mental lié à la Coronacrise dans sa continuité historique.
La santé mentale était en déclin depuis des décennies. Le nombre de dépressions et de problèmes d'anxiété ainsi que le nombre de suicides ont depuis longtemps régulièrement augmenté. Et ces dernières années, l'absentéisme dû à la souffrance psychologique et aux burnouts a connu une croissance énorme. L'année précédant l'épidémie de Coronavirus, on pouvait sentir ce malaise croître de manière exponentielle. Cela donnait l'impression que la société se dirigeait vers un point de basculement où une « réorganisation » psychologique du système social était impérative. C'est ce qui se passe avec la Coronacrise. Au début, nous avons remarqué que des personnes ayant peu de connaissances sur le virus évoquaient des peurs terribles, et
une véritable réaction de panique sociale s'est manifestée. Cela se produit surtout si une forte peur sous-jacente existe déjà chez une personne ou au sein d'une population.
Les dimensions psychologiques de l'actuelle Coronacrise sont sérieusement sous-estimées. Une crise agit comme un traumatisme qui prive un individu de son sens de l'histoire. Le traumatisme est considéré comme un événement isolé en soi, alors qu'il fait partie d'un processus continu. Par exemple, nous négligeons facilement le fait qu'une partie importante de la population a été lors du confinement initial étrangement soulagée, se sentant libérée du stress et de l'anxiété. J'ai régulièrement entendu des gens dire : «
Oui, ces mesures sont sévères, mais au moins je peux me détendre un peu ». Parce que le train-train de la vie quotidienne s'est arrêté, un calme s'est installé dans la société.
Le confinement a souvent libéré les gens d'une ornière psychologique, ce qui a permis de créer un soutien inconscient pour le confinement. Si la population n'avait pas déjà été épuisée par sa vie, et surtout par son travail, elle n'aurait jamais soutenu le confinement. Du moins pas en tant que réponse à une pandémie qui n'est pas trop grave par rapport aux grandes pandémies du passé. Quelque chose de similaire s'est produit lorsque le premier confinement a pris fin. On a alors régulièrement entendu des déclarations telles que «
Nous n'allons pas recommencer à vivre comme avant, être à nouveau coincés dans les embouteillages », etc.
Les gens ne voulaient pas revenir à la vie normale d'avant la Coronacrise. Si nous ne tenons pas compte du mécontentement de la population vis-à-vis de son existence, nous ne comprendrons pas cette crise et nous ne pourrons pas la résoudre. D'ailleurs, j'ai maintenant l'impression que la nouvelle normalité est redevenue une ornière, et je ne serais pas surpris que la santé mentale commence vraiment à se détériorer dans un avenir proche. Peut-être surtout s'il s'avère que le vaccin n'apporte pas la solution magique que l'on attend de lui.