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(Québec) Le 21 juin 2006, le principal suspect dans la disparition de Julie Surprenant est mort d'un cancer du poumon à la Cité de la santé de Laval. Richard Bouillon avait 52 ans et il avait passé près du tiers de sa vie en prison pour une longue série de viols, d'agres­sions sexuelles et d'autres crimes commis depuis l'adolescence.

Bouillon était le voisin de palier de la famille Surprenant, à Terrebonne. Mais il a toujours nié avoir quoi que ce soit à voir avec l'enlèvement de la jeune femme de 19 ans, dont le corps n'a pas été retrouvé depuis 1999. Et il n'a jamais été accusé. Début 2001, le travail des enquêteurs de la Sûreté du Québec et la diffusion de sa photo à la télévision ont toutefois incité trois anciennes victimes de crimes sexuels à porter plainte contre lui.

À l'issue de son procès, deux ans plus tard, Bouillon a été condamné à purger six ans et cinq mois de prison et à être surveillé pendant 10 ans. Dans l'expertise psychiatrique que le juge avait demandée pour évaluer s'il devait être déclaré délinquant dangereux, la Dre Fugère, de l'Institut Pinel à Montréal, concluait que Bouillon était un psychopathe.

Malades

Dans l'imaginaire collectif, les psychopathes sont associés à des tueurs en série comme Marc Lépine, Paul Bernardo et Robert Pickton, ou encore à des meurtriers fictifs comme Hannibal Lecter et Patrick Bateman, le héros d'American Psycho. Mais la psychopathie est d'abord un grave trouble de la personnalité, caractérisé par l'absence de conscience morale.

«Ces gens-là sont victimes de cette maladie», explique Louis Diguer, professeur à l'École de psychologie de l'Université Laval. «(...) Ce sont des prédateurs auprès des autres, ce sont des agresseurs. Mais ils sont victimes de cette agression-là et de leur condition psychologique qui détruit leur vie.»

En Amérique du Nord, la psychopathie touche de 15 à 25 % de la population carcérale et, selon certains spécialistes, environ 1 % de la population en général. Chaque année, les psychopathes coûtent une fortune en frais judiciaires et de détention. Avant l'âge de 40 ans, le psychopathe moyen sera condamné pour quatre crimes violents. Et pourtant, les recherches sur la psychopathie sont encore peu avancées par rapport à la schizophrénie ou à la bipolarité, d'autres graves troubles mentaux.

Comme ils peuvent être violents et menaçants, les spécialistes sont plus réticents à travailler avec eux, poursuit M. Diguer, qui fait partie d'un groupe de recherche sur les troubles graves de la personnalité. «Beaucoup de cliniciens ne veulent rien savoir de ces gens-là, dit-il. Mais pour des raisons de santé publique et même de société, il est très important de comprendre comment ces gens-là fonctionnent et se développent.»

Un profil nébuleux

Les spécialistes en santé mentale débattent encore de ce qui définit un psychopathe. Pour les reconnaître, ils se réfèrent en général à une liste de vérification en 20 points créée par Robert Hare, un professeur canadien de l'Université de Colombie-Britannique qui possède une longue expérience auprès des psychopathes en prison. Les chercheurs interviewent un détenu pendant trois heures et comparent ses réponses à sa biographie et à son dossier criminel. Ils attribuent ensuite un score de 1, 2 ou 3 pour chacun des 20 éléments. Si l'interviewé atteint 30 et plus, la plupart des chercheurs s'entendent pour dire que c'est un psychopathe avéré.

Richard Bouillon aurait probablement atteint ce niveau. Dans une évaluation psychologique rédigée par le Dr Wolwertz, au milieu des années 70, on pouvait lire un avant-goût de ce que la plupart des spécialistes qui ont vu Bouillon par la suite allaient décrire.

«Il est un individu essentiellement narcissique, incapable d'empathie, essentiellement centré sur lui-même, sans aucune culpabilité, sans aucune autocritique, incapable de la moindre frustration, essentiellement manipulateur fonctionnant selon le principe de la gratification immédiate.»

Cette personnalité psychopathique, Richard Bouillon la tenait de ses parents, avec lesquels il avait eu une relation très difficile durant l'enfance, écrivait le Dr Wolwertz. À l'école, le futur délinquant sexuel avait des problèmes de comportement, faisait du voyeurisme et assaillait les jeunes filles. Dès l'âge de 16 ans, il a été arrêté pour avoir attouché une adolescente de 15 ans à la pointe d'un couteau.

De nombreuses études montrent en effet que les psychopathes ont beaucoup plus de chances d'être issus d'une famille dysfonctionnelle. Mais de plus en plus de spécialistes en santé mentale estiment que quelque chose ne fonctionne pas dans leur cerveau.

Un problème au cerveau?

Il y a une dizaine d'années, par exemple, le psychologue Jean Toupin, de l'Université de Sherbrooke, a mené avec un étudiant au doctorat de l'Université de Montréal un test cognitif auprès de jeunes adultes détenus dans un pénitencier de la région de Montréal. Ils ont formé un groupe de psychopathes et un groupe régulier et ont demandé aux deux d'appuyer sur une touche dès qu'ils voyaient une lumière verte s'allumer. Ils leur ont ensuite demandé d'arrêter même si la lumière s'allumait. En comparant les résultats des deux groupes, les chercheurs se sont aperçus que les psychopathes avaient beaucoup plus de difficulté à ne pas appuyer.

Cette incapacité peut avoir des conséquences bien réelles dans la réalité, par exemple pour un psychopathe qui ressent une envie sexuelle et n'arrive pas à se contrôler. «Si, en plus d'avoir de la difficulté à lire les émotions d'autrui, on est impulsif, on a un cocktail qui est potentiellement dangereux», explique M. Toupin.

Pour mieux comprendre quelle partie du cerveau fait défaut, des chercheurs américains ont commencé à soumettre des psychopathes à l'imagerie par résonnance magnétique (IRM). En janvier 2007, le Dr Kent Kiehl, un ancien étudiant de Robert Hare maintenant professeur à l'Université du Nouveau-Mexique, a notamment fait installer la première machine d'IRM à la prison de Western New Mexico, près d'Albuquerque.

Jusqu'à maintenant, il a recruté environ 100 volontaires parmi les détenus. Les résultats du scanneur, espère-t-il, lui permettront de confirmer sa théorie. À savoir que la psychopathie est causée par une déficience de ce qu'il appelle le «système paralimbique», un ensemble de régions du cerveau qui participent au traitement des émotions, des inhibitions et de la concentration.

«Si on peut cibler la région concernée, alors peut-être qu'on pourra trouver une drogue qui traite cette région», expliquait-il récemment dans le magazine New Yorker. «Si on pouvait soigner seulement 5 % d'entre eux (des psychopathes), ce serait un prix Nobel juste là.»

Pendant que le Dr Kiehl essaie de trouver une manifestation biologique de la psychopathie, des biologistes moléculaires tentent de découvrir une manifestation génétique. Le British Journal of Psychiatry rapportait récemment que deux gènes qui ont été associés à l'alcoolisme sévère pourraient aussi être liés à la psychopathie.

Malgré ces avancées, les con­naissances scientifiques restent toutefois encore insuffisantes pour traiter la psychopathie efficacement. «On peut tout au plus contrôler les symptômes», indique Louis Diguer, de l'Université Laval. Mais dans un avenir rapproché, psychologues et psychiatres réussiront peut-être à soigner des Richard Bouillon. Et, qui sait, à éviter des disparitions comme celle de Julie Surprenant.