Le laboratoire Servier a toujours soutenu que le Mediator n'aurait pas pu être retiré du marché avant 2009.
© Fred Tanneau/AFPLe laboratoire Servier a toujours soutenu que le Mediator n'aurait pas pu être retiré du marché avant 2009.

Le Figaro a consulté les procès-verbaux des cinq personnes mises en examen, mi-février, dans le cadre de l'instruction sur le Mediator pour prise illégale d'intérêt.

La phrase a l'effet d'une bombe. « Je pense que le Mediator aurait pu être retiré en 2007 certainement, et peut-être même en 2005. » C'est ce qu'a déclaré aux enquêteurs en charge de l'instruction sur le Mediator un homme qui connaît parfaitement le sujet puisqu'il s'agit d'Alain Le Ridant, le pharmacien responsable de Servier qui a pris sa retraite il y a deux ans. Le laboratoire a toujours soutenu que le médicament n'aurait pas pu être retiré du marché avant 2009.

Entre le 11 et le 14 février dernier dans le volet de l'instruction consacré à la prise illégale d'intérêt, les juges parisiens ont mis cinq personnes en examen, toutes placées sous contrôle judiciaire avec dépôt de caution. Il s'agit de Christian Bazantay, un ancien avocat aujourd'hui secrétaire général du laboratoire et bras droit de Jacques Servier, de Marlène Garnier, une ancienne salariée de Servier, qui a créé une société de lobbying et de consulting, de Jean-Michel Alexandre, professeur de pharmacologie, du diabétologue Éric Abadie et enfin de Marie-Ève Abadie, sa femme, avocate.

Les procès-verbaux de leurs auditions sont riches d'enseignements sur les méthodes du laboratoire. Les déclarations des uns et des autres permettent ainsi de découvrir que c'est Alain Le Ridant qui conseilla à Jacques Servier de prendre son vieil ami, camarade de promotion en médecine et en pharmacie, le Pr Jean-Michel Alexandre comme consultant. Il estime que ce recrutement est « pertinent (...) étant donné (qu'il) le considère comme l'un des meilleurs ». En devenant conseiller du groupe Servier pour les nouveaux produits, Alexandre était donc au courant des nouvelles molécules et le laboratoire l'interrogeait sur les orientations cliniques. Alain Le Ridant confie d'ailleurs aux enquêteurs que son ami signalait parfois que tel ou tel médicament qui allait être déposé au niveau européen n'avait aucune chance de passer et qu'il fallait le compléter par une étude. L'expert indiquait alors quelles étaient les chances de réussite pour l'obtention de la mise sur le marché.

Jean-Michel Alexandre fut un homme clé dans le monde du médicament en France. De 1985 à 1993, il a été président de la Commission d'autorisation de mise sur le marché avant de devenir, de 1993 au 31 décembre 2000, directeur de l'évaluation des médicaments (poste qui regroupe les autorisations de mise sur le marché, la surveillance des effets indésirables, les essais cliniques et les produits biologiques). Or seulement neuf jours après son départ de l'Agence du médicament (ex-Afssaps), alors qu'il n'a pas encore présenté son dossier à la commission de déontologie pour demander l'autorisation de passer dans le privé, Marlène Garnier qui a créé sa société après avoir quitté Servier rédige un courrier qu'elle adresse à Christian Bazantay. À l'intérieur, une mission confiée à Jean-Michel Alexandre. Montant de la prestation : 152.449 euros.

Un mélange des genres

Marlène Garnier déclare aux enquêteurs que le Pr Alexandre lui avait dit avoir « interdiction de travailler avec les laboratoires pharmaceutiques » et qu'il avait donc « effectivement conscience de contourner cette interdiction ». Et d'ajouter : « Comme ma société Cris n'est pas une entreprise pharmaceutique, j'ai pu signer un contrat de conseil (avec lui). » « Je ne voyais pas ce que cela changeait de passer par un intermédiaire, c'était un canal », se défend Jean-Michel Alexandre dans le bureau du juge. Il avoue ne pas être celui qui a « fixé la rémunération. Elle m'a été proposée. Je l'ai trouvée extraordinairement généreuse. » Commentaire de Christian Bazantay : « J'avais compris qu'une commission de déontologie pouvait donner l'autorisation permettant à un fonctionnaire de travailler avant la fin de ces cinq années d'interdiction. » Philippe Duneton qui a dirigé l'Agence de 1998 à 2004 se souvient avoir vu le Pr Alexandre une fois à l'Agence « en 2001 ou 2002 »« pour appuyer un dossier » (sic), soit dans les deux ans qui ont suivi son départ de l'Afssaps. Remarque des enquêteurs : « Il vous aurait alors dit que ce n'était pas adapté. » Réponse d'Alexandre : « Si j'y suis allé, c'est une imprudence. »

Puis cette question des juges au secrétaire général de Servier : « Les conseils sur la procédure d'obtention d'autorisation de mise sur le marché vous paraissent-ils compatibles avec les précédentes missions de service public exercées par Jean-Michel Alexandre ? » Réponse de Christian Bazantay : « Oui. »

Le mélange des genres fait partie intégrante du système mis en place. Exemple éloquent avec Françoise de Cremiers, la compagne de Jean-Michel Alexandre, conseiller technique et scientifique auprès du président de Wyeth de 1989 à 2007, le laboratoire correspondant de Servier aux États-Unis notamment pour l'Isoméride, le coupe-faim vedette retiré du marché en 1997. Une situation qui n'empêche pas le Pr Alexandre de dire aux juges : « Qu'on puisse penser que j'ai des liens avec Servier est surréaliste. J'ai passé ma vie à garder mes distances avec l'industrie pharmaceutique, sinon à la combattre. »

Autre exemple avec Marie-Ève Abadie, épouse du Dr Éric Abadie, un diabétologue recruté en 1994 par Jean-Michel Alexandre à l'Afssaps pour son parcours au sein du syndicat de l'industrie pharmaceutique. Abadie est devenu par la suite conseiller auprès du directeur général de l'Afssaps. Or sa femme, avocate spécialisée dans les litiges commerciaux, a facturé 87 889 euros à Servier entre 2004 et 2008.

Lors de son interrogatoire du 14 février, les enquêteurs lui demandent : « Lorsque les laboratoires Servier vous démarchent, savent-ils que vous êtes l'épouse de M. Abadie, chef de département à l'Afssaps en 2003 ? » Réponse : « Je n'en sais rien. Nous n'en avons jamais parlé. » Question : « Ne pensez-vous pas que les laboratoires Servier savaient que vous étiez l'épouse de M. Abadie et que ça pouvait être la raison pour laquelle ils faisaient appel à vous ? » Réponse : « Je n'en sais rien. Ils ne m'ont jamais rien dit. »

Une parlementaire très à l'écoute...

Marie-Thérèse Hermange (UMP), auteur du rapport sénatorial sur le Mediator, ne s'est pas contentée de faire «relire» la copie aux laboratoires Servier via le Pr Claude Griscelli pour minimiser leurs responsabilités. Selon nos informations, elle a en réalité passé plus d'une trentaine d'appels au célèbre professeur de pédiatrie et ancien directeur général de l'Inserm pendant la durée de la mission sénatoriale. Elle l'appelait régulièrement pour lui raconter le contenu des auditions. C'est Griscelli qui faisait ensuite la transmission à Jean-Philippe Seta, directeur opérationnel du groupe Servier.

Contactée par Le Figaro, la sénatrice se défend en disant que le règlement du Sénat « n'exclut pas de consulter des experts ». Elle ajoute : « Je ne savais pas que Griscelli faisait ensuite des rapports à Servier. Si je l'avais su je n'aurais jamais (elle répète le mot six fois, NDLR) fait appel à lui ».