Annexer le monde

Le marché fait la loi. L'expression nous est maintenant familière, pourtant elle reste relativement faible. Nous devrions dire : le marché fait le crime.
Si nous voulons amorcer une esquisse de résistance, ce marché organisé par une synarchie doit être mieux distingué et discriminé. Combien se leurrent toujours à frapper les mauvaises personnes, au mauvais endroit !


Chess game USA vs World
© Inconnu
Nous entendons parler de mondialisation pour stigmatiser un fléau finalement vague qui nourrit les discours politiciens, les indignations carnavalesques et les doctrines consensuelles. Cette face abstraite de la mondialisation nous dissimule, de fait, la face réelle d'un empire. Un empire analysé, décortiqué, cartographié par une intelligentsia variée : parfois académique, parfois dissidente, mais unanime sur sa nature oligarchique et économico-financière.

A l'exemple d'Hannah Arendt qui écrivait, au début des années 50, que l'impérialisme devait être compris : « comme la première phase de la domination politique de la bourgeoisie, et qu'elle naquit lorsque la classe dirigeante détentrice des instruments de production capitaliste s'insurgea contre les limitations nationalistes imposées à son expansion économique ». Pour la philosophe allemande la notion d'expansion illimitée était désormais seule capable de répondre à l'espérance d'une accumulation illimitée de capital.

« L'argent pouvait engendrer l'argent parce que le pouvoir, au total mépris de toute loi - économique aussi bien que morale - pouvait s'approprier la richesse ». La richesse devenue un moyen illimitée de s'enrichir, se substituant de la sorte à l'action politique. Ainsi constituée, la puissance impériale pouvait « balayer toutes les protections politiques qui accompagnaient les autres peuples et englober la terre entière dans sa tyrannie ».

De même, Alain Soral constate aujourd'hui une évolution de même nature : « L'oligarchie mondialiste, pas plus que le principe bancaire dont elle tire sa dynamique et son pouvoir, n'a de territoire ou de lieu. Cette aristocratie nomade et sans noblesse se niche partout où il y a de la richesse à capter et du profit à faire ».

Encore mieux dit ailleurs : « La banque, intrinsèquement fondée sur l'abstraction du chiffre au détriment de l'humain, libérée de tout frein politique et social, et protégée de surcroît par son invisibilité politique et médiatique devenant progressivement - compte tenu de sa logique même - pure prédation et pure violence ».

Enfin revenons à Hannah Arendt soulignant qu'un pouvoir « ne peut garantir le statu quo, seulement en gagnant plus de... pouvoir. C'est uniquement en étendant constamment son autorité par le biais du processus d'accumulation du pouvoir qu'elle peut demeurer stable ».

L'Axe du Mal

Pour légitimer leur ambition impériale les américains donnent l'illusion qu'ils sont le centre du monde par la protection qu'ils lui offrent en attaquant des adversaires faibles présentés comme « l'axe du mal ».

Emmanuel Todd écrit à propos, dans son livre Après l'Empire, que « pour maintenir sa centralité financière l'Amérique se bat, mettant en scène son activité guerrière symbolique au cœur de l'Eurasie, tentant ainsi d'oublier et de faire oublier sa faiblesse industrielle, ses besoins d'argent frais, son caractère prédateur ».

Rajoutons que cette soif de profit coïncide opportunément avec un pillage systématique des terres impérialisées : c'est l'obsession pétrolière du complexe militaro-industriel américain qui dicte toute la stratégie prétorienne au Proche Orient, et ce depuis plus de cinquante ans. La survie et le développement de ces sociétés industrielles dépendent de leur accès à cette région, dont l'Irak est le pays d'intersection.
Obama prédateur
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Ainsi les Etats-Unis, insiste le célèbre démographe français, « mettent sous embargo des pays incapables de se défendre et bombardent des armées insignifiantes. Ils conçoivent et produisent des armements de plus en plus sophistiqués et appliquent en pratique à des populations civiles désarmées, des bombardements lourds digne de la Seconde Guerre Mondiale ».

Le journaliste Thierry Meyssan précise cet accablant procès-verbal en étudiant courageusement les barbouzeries de la domination impériale américaine. Il dénonce en premier lieu, à l'instar d'un Michel Collon, l'intoxication médiatique occidentale. Une propagande généralisée présentant de faux désordres sociaux, de fausses dictatures et donc de faux prétextes d'émancipation des peuples. Meyssan détaille ainsi « comment sont provoquées les guerres civiles pour faire éclater les Etats et comment sont redessinées les frontières de sorte qu'aucun Etat ne soit plus en mesure d'opposer de résistance ».

Par ailleurs, il développe la théorie effroyable qu'un complot issue d'une faction du même complexe militaro-industriel serait à l'origine des attentats du 11 septembre. L'imposture aurait d'abord permit de lancer une croisade évangéliste contre l'Islam en instaurant une forme de régime militaire dans les pays alliés, et aurait facilité l'exploitation des plus importantes réserves de pétrole et de gaz planétaires.

Chocs stratégiques

A propos du 11 septembre, Naomi Klein parle d'un choc utile, sans pour autant se prononcer sur la possibilité ou non d'un complot interne. « L'idée d'envahir un pays arabe et d'en faire un Etat modèle se répandit au lendemain du 11 septembre et quelques noms circulèrent : l'Irak, la Syrie, l'Egypte ou l'Iran ».
« L'administration Bush profita de la peur suscité par les attentats non seulement pour lancer sans délai la guerre contre le terrorisme, mais aussi pour faire de cette dernière une entreprise presque entièrement à but lucratif, une nouvelle industrie florissante qui insuffla un dynamisme renouvelé à une économie chancelante ».
La journaliste canadienne dénonce une méthode d'expansion des idées néolibérales par des chocs propices - souvent provoqués - à des réformes économiques impopulaires, fondées sur la doctrine de Milton Friedmann. Théorie dans laquelle ce Nobel de l'économie américain explique que la réduction du rôle de l'Etat dans une économie de marché est le seul moyen d'atteindre la liberté politique et économique. « Pendant plus de trois décennies, Friedmann et ses puissants disciples avaient perfectionné leur stratégie : attendre une crise de grande envergure, puis pendant que les citoyens sont encore sous le choc, vendre l'Etat, morceau par morceau, à des intérêts privés avant de s'arranger pour pérenniser les « réformes » à la hâte. »

Lieux de ce capitalisme du désastre ? Tous les continents sont touchés.

Du Chili de Pinochet dans les années 70 au Sri Lanka post tsunami en 2004, en passant par le Royaume Uni de Thatcher, la Bolivie des années 80, la Pologne post chute du mur, la Chine post Tiananmen, l'Afrique du Sud post Apartheid ou enfin la Russie de Eltsine. Résultat de cet expansionnisme ultra libéral : les populations finissent toujours par sombrer dans la misère et les élites continuent de s'enrichir.

La rareté garantit le profit

Hannah Arendt nous avait pourtant prévenu : l'impérialisme « n'a d'autre règle de conduite que celle qui concourt le plus à son profit et il dévorera peu à peu les structures les plus faibles jusqu'à ce qu'il en arrive une ultime guerre qui fixera le sort de chaque homme dans la victoire ou dans la mort ».

L'actuel Vice Président du Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies, le suisse Jean Ziegler, l'explique plus radicalement :
« Aujourd'hui la planète croule sous les richesses. (La terre peut nourrir douze milliards d'habitants). Autrement dit, l'infanticide, tel qu'il se pratique jour après jour, n'obéit plus à aucune nécessité. Les maîtres de l'empire de la honte organisent sciemment la rareté. Et celle-ci obéit à la logique de la maximalisation du profit ».
Famine
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Ces maîtres, qu'il nomme « cosmocrates », planifient la pénurie et la faim. Une captation des richesses par des classes dirigeantes corrompues et rendue possible par l'action militaire américaine. Nous l'avons déjà vu avec Emmanuel Todd, Thierry Meyssan et Naomi Klein.

Avec la complicité des grandes instances financières internationales (FMI, OMC, Banque Mondiale), les féodalités capitalistes ont engendré un endettement des Etats de l'hémisphère sud (cent vingt-deux pays sont aujourd'hui concernés) abdiquant leur souveraineté en restant solvables pour rembourser les créanciers du nord. Par la faim qui découle de cette rareté des biens et de cette dette injuste, les peuples agonisent et renonce à lutter pour la liberté.

Ce nouvel ordre mondial établi sur « l'organisation de la faim » n'est pas près de changer. Aristote définissait l'homme comme un animal politique, de fait, nous le percevons plus comme une bête corruptible. Aussi, pour préserver leur pouvoir, nos seigneurs de la guerre n'ont d'autre alternative que de conforter leur mode de vie économique.
« S'ils veulent survivre aux postes qu'ils occupent, les cosmocrates doivent être féroces, cyniques et impitoyables. S'écarter du sacro-saint principe de la maximalisation des profits au nom de l'humanisme personnel équivaudrait à un suicide professionnel. »