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Outre-Rhin, l'instauration d'un salaire minimum devrait limiter le dumping social
Salaires horaires à cinq euros et absence de protection sociale sont le revers des records d'exportations allemandes. Dans la filière viande, un nombre croissant de salariés détachés subissent les abus de la sous-traitance. Le Smic promis par Angela Merkel changera-t-il la donne?

En Allemagne, l'emploi de plus en plus important et parfois abusif de salariés détachés fait polémique. Depuis un an, les affaires se multiplient sur le sujet.

Le licenciement de douze salariés en CDI aux abattoirs de Gausepohl en Basse-Saxe et leur remplacement par des salariés détachés est un des derniers exemples en date.

Envoyés par l'entreprise polonaise Firma Europol, ces derniers devaient faire baisser les coûts de près de 30%. Scandale dans le secteur: les salariés allemands ont saisi les prud'hommes d'Osnabrück. Une décision devrait être rendue en 2014. Dans le même temps, la chaîne de télévision publique régionale NDR révélait les conditions de travail déplorables de ces salariés "loués" dans les abattoirs allemands avec la diffusion de deux documentaires chocs.

Caméra cachée au poing, les journalistes ont démontré que certains de ces employés détachés, le plus souvent polonais et roumains, gagnent moins de 5 euros de l'heure pour des journées de travail dépassant 12 heures, ne bénéficient d'aucune protection sociale et vivent dans des conditions déplorables, le plus souvent entassés dans des logements minuscules fournis par leur direction pour plusieurs centaines d'euros.
Ils nous font travailler à deux heures du matin, pendant trois heures, avant de nous renvoyer à la maison. C'est un système inhumain",
explique dans le documentaire une salariée roumaine qui a perdu son travail après avoir dénoncé ses conditions de travail.

Polémique sur le salaire minimum

Huit régions allemandes ont lancé un service téléphonique d'aide et de soutien aux salariés détachés afin de leur faire connaître leurs droits mais, à voir les abus récemment révélés, cela ne suffit pas. Les syndicats demandent depuis des mois davantage de contrôle de la part de l'Etat et surtout l'introduction d'un salaire minimum, seul capable selon eux de régler le problème. En septembre, les quatre géants de la filière viande en Allemagne -Danish Crown, Tönnies, Vion et Westfleisch - ont donné leur accord à une telle mesure et à une réglementation renforcée du secteur.

La promesse devrait être tenue puisque la chancelière Angela Merkel a approuvé l'idée de mettre en place un salaire minimum généralisé de 850 l'heure dès 2015.

Mesure incontournable pour le parti social-démocrate (voir: les négociations actuelles pour la formation du gouvernement), le Smic, depuis longtemps réclamé, semble désormais acquis. Angela Merkel s'y est résolue officiellement fin novembre. Des dérogations ont déjà été accordées pour certaines filières, qui devront néanmoins se soustraire au régime général dès 2017.

Sans surprise, l'annonce divise profondément le secteur de la viande. Pour le patron des abattoirs Gausepohl, ceci est une "erreur qui va mettre au chômage de nombreux salariés" tandis que pour Bernhard Hemsing, du syndicat NGG, "l'introduction d'un salaire minimum va limiter la concurrence par le salaire".

La Basse-Saxe, bourrelet de l'Allemagne

En Allemagne, les syndicats et certains élus locaux dénoncent depuis longtemps le recours croissant à ces salariés sous-payés, le dumping social engendré par cette pratique et les abus de type mafieux qui découlent de la multiplication des sous-traitants impliqués. Mais cela n'a jusqu'à présent rien changé au fonctionnement de la très puissante filière viande allemande, championne européenne en terme d'exportations.

Ainsi la Basse-Saxe située au Nord Ouest de l'Allemagne est devenue la "ceinture de graisse de l'Allemagne", mais à quel prix? En juin, Olaf Lies, le ministre de l'économie de cette région, comparait la situation à du "trafic d'être humain et à de l'esclavage moderne".

Les statistiques parlent d'elles mêmes. Au niveau national, l'Allemagne compte plus de 310.000 salariés "loués" essentiellement dans l'agriculture, la filière de la viande et la construction. La seule région de Basse Saxe compte 100.000 salariés originaires d'Europe de l'Est travaillant pour le compte d'entreprises étrangères sur commande des abattoirs.

80% de salariés détachés ou intérimaires

Selon Bernhard Hemsing, du syndicat Nahrung Genuss Gaststätten (NGG),
L'industrie de la viande emploie 20% de salariés fixes et 80% de salariés détachés ou intérimaires".
Et selon ce syndicat, la tendance se généralise à d'autres secteurs comme la laiterie, les brasseries et la boulangerie. Le secteur agroalimentaire d'une manière générale compterait 8% de salariés détachés (en majorité des polonais), une part en constante progression.

Sur le papier, ces salariés détachés sont sensés recevoir le même salaire qu'un salarié allemand sans toutefois bénéficier de la protection sociale. La filière viande allemande ne disposant pour l'heure d'aucun salaire minimum, les rémunérations y sont de fait particulièrement basses. Si cette situation est critiquable, elle n'en reste pas moins légale (du moins jusqu'en 2015) contrairement aux abus et mauvaises conditions de travail engendrées par la multiplication de sous-traitants étrangers sans scrupules.

Il était en tout cas grand temps que la question du salaire minimum soit traitée de ce côté du Rhin car le problème a pris une ampleur européenne. Au delà des récentes critiques françaises, le ministre belge de l'Économie et celui de l'Emploi ont porté plainte en mars devant la Commission européenne contre l'Allemagne qu'ils accusent de "concurrence déloyale". Peut-être plus pour longtemps... à moins que le très puissant secteur de la viande ne fasse de la résistance.