A force de gaver les animaux d'antibiotiques, l'élevage industriel donne naissance à de redoutables bactéries que nous retrouvons dans nos assiettes et qui résistent à ces médicaments. De quoi, à terme, remettre en cause l'existence même des antibiotiques.


Si un nombre croissant d'individus subissent l'assaut de bactéries multirésistantes, la faute en revient en partie à l'utilisation excessive des antibiotiques par les êtres humains. Le phénomène est désormais bien connu et dénoncé en France par la campagne sanitaire: "Les antibiotiques, c'est pas automatique".

Mais aussi, on le sait moins, par l'administration massive des antibiotiques aux animaux élevés industriellement. Avec le risque d'une transmission de bactéries résistantes des animaux aux hommes. L'enquête de Frank Bowinkelmann et Valentin Thur lève le voile sur un phénomène méconnu et inquiétant, qui fait froid dans le dos.

L'augmentation constante des bactéries multirésistantes

En septembre 2013, la « Salmonella Kentucky » rejoignait la « New Delhi métallo-beta-lactamase » dans la liste des bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Cette souche connaît une explosion sans précédent depuis 2006, selon une étude publiée en mai dernier dans la revue The Lancet Infectious Diseases.

Résistante aux fluoroquinolones, antibiotiques puissants utilisés massivement chez l'homme comme chez l'animal, sa zone de contamination s'est progressivement élargie à toute l'Afrique et au Moyen-Orient. Ce n'est qu'un exemple récent parmi d'autres de l'augmentation constante des bactéries résistantes aux antibiotiques, mise en avant en novembre 2013, par un rapport de l'agence américaine "Centers of Disease Control and Prevention" (CDC).

25.000 décès par an en Europe

Les résistances augmentent dans le monde entier, notamment en Afrique, en Asie, en Amérique ou en Europe. Chaque année aux États-Unis, 2 millions d'infections et 23.000 décès sont causés par ces bactéries. En Europe aussi, les germes qui résistent aux antibiotiques causent environ 25.000 décès par an, dus à l'une des cinq bactéries multirésistantes les plus fréquentes.

Les Pays-Bas, le Danemark, l'Allemagne et la France sont ainsi touchés par l'explosion d'infections difficiles à soigner, car résistantes aux médicaments. Au banc des accusés, l'administration massive d'antibiotiques aux animaux.

L'enquête s'appuie sur les éclairages de chercheurs, d'éleveurs responsables, de vétérinaires et de médecins de plusieurs pays européens, pour dénoncer la pratique de l'administration vétérinaire massive d'antibiotiques aux animaux, autant à titre curatif que préventif.

C'est un chercheur néerlandais qui a, le premier, tiré la sonnette d'alarme en 2004 après avoir identifié la présence du SARM (stathylocoque doré résistant à la méthicilline) dans des élevages porcins. Les volailles produites à la chaîne suscitent aussi la méfiance: sont-elles infestées d'entérobactéries tout aussi coriaces ?

En outre, en dehors du contact direct avec le bétail, les bactéries se propagent via les cheminées d'aération des bâtiments d'élevage ou les épandages de fumier dans les champs, ce qui peut contaminer d'autres cultures, qu'elles soient bio ou pas. La riposte de la France L'accélération du phénomène inquiète l'OMS, qui évoque le risque réel d'une paralysie de la médecine moderne: sans antibiotiques, plus de chirurgie, plus de greffes d'organe, plus de chimiothérapies, plus de barrière thérapeutique pour empêcher la propagation des contagions...

La France, consciente du problème depuis 2011 avec le plan d'action "Ecoantibio 2012-2017″, prépare une riposte à l'antibiorésistance chez les humains. En mai dernier, un rapport visant à l'"Encadrement des pratiques commerciales pouvant influencer la prescription des antibiotiques vétérinaires" était remis au ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll.

La réforme prévue par le projet de loi d'avenir pour l'agriculture que les députés examinent depuis le 7 janvier, vise ainsi notamment à lutter contre l'antibiorésistance, par la baisse des ventes d'antibiotiques destinés aux animaux. Un objectif qui ne sera atteint que si l'on parvient à remettre en question en France les méthodes de l'élevage intensif, en prenant le tournant du bio et de l'agroécologie. Une vraie révolution verte...