Plan cancer 2014
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Le Plan Cancer 2014 relègue les traitements éprouvés au bénéfice de ceux fondés sur la génétique - et des profits qui y sont liés. Qu'on cherche à améliorer les traitements et qu'on favorise l'innovation, c'est bien. Qu'on remplace délibérément les traitements qui marchent par des « essais précoces » sans validation par des expérimentations jusqu'alors obligatoires et sans recul sur l'efficacité ou les effets délétères parfois retardés, c'est inadmissible (1).

Cette substitution des traitements éprouvés ne repose pas sur une démarche scientifique élaborée par des cancérologues indépendants des lobbies. Les injonctions de prescription viennent d'en haut et les lanceurs d'alerte sont automatiquement exclus, réprouvés et harcelés. Les traitements sont imposés aux patients en dépit des codes de déontologie de la médecine. Ils deviennent des cobayes, privés du choix thérapeutique entre les différentes options.

Regardons ensemble les phrases clefs du Plan Cancer, ce texte qui va régir les soins des patients par leurs médecins sommés d'obéir à ces contraintes thérapeutiques.

La médecine dite « personnalisée » n'a jamais modifié le pronostic des cancers

Dès la page trois, les pions sont avancés au bénéfice d'une nouvelle cancérologie basée sur la génétique : « Plus que jamais, l'avènement d'une médecine personnalisée oblige à repenser les méthodes de diagnostic et de traitement des cancers. Des progrès significatifs ne seront possibles que par un décloisonnement entre la recherche et le soin. Ces innovations doivent être anticipées et accompagnées par les pouvoirs publics, garants de leur pertinence et de leur accessibilité à tous sur tout le territoire » (2).

D'où sort cette affirmation ? Jusqu'à présent, l'avènement de la médecine dite « personnalisée » - qui n'est personnalisée que sur des anomalies génétiques de cellules de la tumeur du patient et non sur sa personne dans son ensemble - n'a pas modifié le pronostic des cancers. Ils sont toujours là et se rient des savants fous (ni fous, ni désintéressés). Malgré les milliards de dollars investis et les reconversions des organismes de recherche dans l'optique « tout génétique » (aux dépens d'autres voies prometteuses abandonnées), le miracle n'a pas eu lieu, sauf pour les firmes qui ont vendu les molécules dérivées de cette recherche génétique à prix d'or.

Des prises en charge modifiées... au bénéfice de qui ?

Page 47, on lit : « Objectif 5 : Accélérer l'émergence de l'innovation au bénéfice des patients
Les prises en charge des patients atteints de cancer se sont considérablement modifiées ces dernières années grâce aux progrès effectués dans la compréhension de la biologie des tumeurs, dans les stratégies et techniques de traitement, et par une meilleure adhésion du public à la recherche clinique, garante du progrès médical. Les évolutions attendues dans les prochaines années vont amener de profonds changements dans notre façon d'appréhender le traitement des cancers. »

« Les prises en charge se sont considérablement modifiées », nous dit-on. Certes, mais avec quel bénéfice pour le malade ? Après quinze ans d'expérience, nous aurions du pouvoir mesurer quelques progrès. Or, en dehors du Gleevec qui a permis de guérir les tumeurs gastro-intestinales stromales autrefois mortelles et les leucémies à tricholeucocytes (3), on n'a aucun exemple du succès thérapeutique de cette approche ciblée. Les prises en charge se sont considérablement modifiées mais au bénéfice de qui : du patient ou des firmes ? N'aurait-on pas dû attendre des essais sur des groupes limités avant de répandre des drogues dans le monde ?

L'analyse résultats des Plans Cancer précédents ne met pas non plus en évidence une réelle amélioration en termes de survie après cancer. Les promoteurs des Plan Cancer prétendent que c'est trop tôt mais, si cette nouvelle prise en charge avait transformé les pronostics de façon significative, on le saurait depuis longtemps déjà. Pour l'instant, on ne constate donc pas de progrès, sauf à la marge pour quelques cancers ou quelques sous-groupes que les labos et leaders d'opinion mettent en avant pour se justifier.

La recherche clinique n'est pas forcément garante du progrès médical

« Recherche clinique garante du progrès médical », lit-on ensuite. On pourrait l'espérer mais les trente dernières années ont malheureusement démontré que cette assertion n'est pas obligatoirement vraie. Lorsque la recherche clinique et fondamentale était libre, multiple, variée et ouverte, les progrès avaient été notables en cancérologie. Entre les années 1950 et 1990, les chances de guérison avaient ainsi augmenté de 60% pour les tumeurs de l'enfant et, en 1985, on savait guérir environ trois quarts des enfants atteints d'un cancer du sang ou solide. Depuis l'ère des grands essais multicentriques de schéma décidé en haut, suffisamment simples pour être appliqués dans tous les centres et excluant toute intervention du clinicien en fonction de l'état du patient, aucun progrès n'est constaté en oncologie pédiatrique (4).

Non, ni la recherche clinique ni l'innovation pharmaceutique ne sont « garantes » de progrès. Le Plan Cancer n'a pas le droit, ni moral ni éthique, d'asséner des affirmations erronées devant servir de base à sa « révolution » thérapeutique du cancer. L'analyse de la littérature internationale sur les essais thérapeutiques en matière de tumeur osseuse maligne type ostéosarcome a montré l'absence d'amélioration du nombre de cancers guéris depuis les trente dernières années voire une légère diminution. Tous les progrès décisifs avaient été obtenus avant 1990 alors que la liberté de penser, de chercher, d'adapter et de soigner existait encore.

Les espoirs dans les molécules ciblées n'ont pas été confirmés

A la même page, on lit encore : « La place de la génétique constitutionnelle, de la génomique tumorale, de l'utilisation de nouveaux bio marqueurs est indispensable dans le choix des médicaments anticancéreux, des stratégies de prises en charge ou de surveillance des patients ». Là encore, cette affirmation péremptoire n'est pas confirmée par les faits et l'exigence française de prescrire les molécules ciblées en fonction des bio marqueurs retrouvés sur les tumeurs est abusive, en l'état actuel de la recherche. C'était un beau concept, il faut l'avouer, mais qui ne résiste pas à la réalité clinique.

Les espoirs en l'Herceptin, qui fut en 1998 la première molécule ciblée pour le cancer du sein (environ 20% des tumeurs), n'a pas réellement modifié la survie globale des femmes atteintes. Si les progrès existent, ils sont à la marge et sans commune mesure avec les espoirs initiaux et les sommes fabuleuses englouties. De même, les espoirs fondés sur l'Avastin, à grand renfort de publicité dès 2005, ont disparu malgré les cinq milliards d'euros annuels de chiffre d'affaires pour la molécule. Et le retrait de l'indication pour le cancer du sein métastasé par la FDA (Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) en 2010 aux Etats-Unis n'a rien changé aux bénéfices financiers ni aux indications données en France.

Des dépenses colossales de la Sécurité Sociale

En revanche, les dépenses engendrées sont colossales (cf site de François Pesty). La France a la particularité de faire rembourser cette recherche clinique imposée par la solidarité nationale : depuis le Plan Cancer 2003, les molécules innovantes en essais précoces et avant autorisation de mise sur le marché sont remboursées à 100% par la Sécurité Sociale.

Nous sommes le seul pays au monde à faire preuve d'une telle générosité... mais au bénéfice de qui, des labos ou des patients ? Dans ce contexte, il convient de mettre en balance les progrès à la marge, s'ils existent, avec une dépense publique de deux milliards d'euros qui menace l'existence même de notre système de santé.

Quand la recherche dicte les conduites cliniques

Qui sera responsable des victimes de « l'innovation » imposée à tous au nom de l'égalité et au profit des lobbies pharmaceutiques ? Le président de la République, sa ministre de la Santé et leurs nombreux conseillers pourront-ils jouer l'ignorance et la bonne foi en dépit des nombreuses mises en garde de multiples lanceurs d'alerte y compris dans la proximité immédiate du chef de l'Etat (5) ? Qui répondra de cette violation des codes de déontologie de la médecine ?

Comment expliquer que ce soient les chercheurs qui dictent les conduites thérapeutiques cliniques ? Et que peuvent faire les « docteurs », ceux qui traitent, palpent, auscultent et écoutent les patients devant ce TGV de l'innovation imposée par les rêves fous de quelques inventeurs ? Aujourd'hui, il est trop fréquent de voir des praticiens mettre au rebus les traitements efficaces pour donner le temps aux chercheurs de tester leurs molécules miracles. Et quand, finalement, une chirurgie traditionnelle est discutée, il est bien souvent trop tard pour guérir le patient.

Notes

(1) La face cachée des médicaments, Nicole Delépine, Editions Michalon, 2011
(2) 2014-02603_Plan cancer.pdf disponible sur sante.gouv.fr ou sur le site de l'INCa, 152 pages
(3) Au prix d'un traitement qu'on ne sait pas interrompre sans haut risque de rechutes
(4) De l'aveu même de la chef de service de l'institut Gustave Roussy, temple de cette recherche en 2013, à la journaliste qui l'interrogeait
(5) Le docteur Aquilino Morelle, actuelle « plume » de François Hollande, avait mis en garde dans le rapport IGAS de 2012 à propos des molécules dites « innovantes » sur l'intérêt prédominant des firmes dans le favoritisme lié au remboursement des essais précoces par l'assurance maladie.