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Le 23 mai, à l'occasion du Forum économique de Saint-Pétersbourg, le président russe Vladimir Poutine s'est entretenu avec l'animateur de la chaîne télévisée CNBC Geoff Cutmore. Le chef de l'État russe a notamment commenté la crise en Ukraine. Le Courrier de Russie a traduit les fragments les plus marquants de son intervention.

Voyons ce qui s'est passé : l'Ukraine prévoyait de signer un accord d'association avec l'Union européenne. Nous avons eu recours à la diplomatie pour prouver que cet accord allait à l'encontre des intérêts russes. Nous sommes étroitement liés à l'économie ukrainienne. Pour le seul secteur de la Défense, 245 entreprises ukrainiennes travaillent pour la Russie. Imaginez un peu ce qui arrivera si, demain, nous cessons de passer commande à ces entreprises. La plupart cesseront totalement leur activité - car ce n'est pas l'Occident qui va se fournir en moteurs pour hélicoptères Mi-8 : ces hélicoptères, là-bas, n'existent tout simplement pas. Ce n'est pas non plus l'Occident qui va acheter aux entreprises ukrainiennes des moteurs de navires. Chiffres à l'appui, nous avons tenté de démontrer [à nos partenaires européens, ndlr] que l'accord en question risquait de nous causer des dommages significatifs. Nous leur avons proposé - et je tiens à le souligner, je tiens à être entendu sur ce point - de façon parfaitement civilisée, de conduire au moins une discussion avec nous, de trouver des solutions ensemble.

Savez-vous quelle réponse nous a été faite ? Que cela ne nous concernait pas. Excusez-moi, je ne veux blesser personne, mais je n'avais pas assisté depuis longtemps à une manifestation de snobisme aussi franche. On a tout simplement refusé de nous parler, on nous a dit : « Ce ne sont pas vos affaires ».

Pas nos affaires ? - Très bien. Nous avons alors proposé à nos partenaires ukrainiens de réfléchir aux conséquences de l'accord en question - et le président Ianoukovitch a pris la décision de reporter sa signature et d'entamer des pourparlers supplémentaires. Qu'est-ce qui a suivi ? - Un coup d'État. Appelez-le comme vous voulez, révolution ou autre - mais il s'agit d'un coup d'État, opéré par le recours à la force. Et je vous pose la question : qui utilise ici les « instruments d'un autre temps » ?

Il faut comprendre que les institutions d'États nouveaux nés doivent être traitées avec le plus grand respect, avec beaucoup de soin - autrement, c'est le chaos qui s'installe, et c'est exactement ce à quoi nous assistons aujourd'hui en Ukraine, en proie à une guerre civile. À qui cela profite-t-il ? Pourquoi fallait-il l'organiser alors que Ianoukovitch avait déjà accepté toutes les conditions [de démission, ndlr] ? Il suffisait d'attendre les élections, et les mêmes gens seraient arrivés au pouvoir - mais légalement. Et nous, bêtement, nous leur aurions versé leurs 15 milliards promis, nous aurions maintenu des prix bas sur le gaz, nous aurions continué de subventionner l'économie ukrainienne.

Disons-le franchement : nous sommes tous des adultes ici. Des gens intelligents. L'Occident a soutenu un coup d'État anticonstitutionnel. Nous avions pourtant proposé le dialogue, mais on nous l'a refusé. Quand je suis allé à Bruxelles, avant le coup d'État, nous nous sommes entendus pour dialoguer. M. Oulikaev [ministre russe du développement économique, ndlr], un homme d'esprit très libéral, un de nos meilleurs spécialistes en économie, s'est rendu à Bruxelles pour des consultations. Mais il n'y a pas eu de consultations, seulement des slogans.

Et puis, nous voyons un coup d'État se dérouler sous nos yeux, nous voyons une absence totale de dialogue. Qu'est-ce que nous nous disons ? - Que l'étape suivante sera l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN. Ces questions n'ont jamais été discutées avec nous - au cours des vingt dernières années, il n'y a jamais eu le moindre dialogue. On n'a cessé de nous dire : « Ce ne sont pas vos affaires, ça ne vous regarde pas ».

Quand nous disons : « L'infrastructure militaire de l'OTAN s'approche de nos frontières », on nous répond : « Ne vous inquiétez pas. Ce n'est pas contre vous ». Ce qui signifie que demain, l'Ukraine pourra intégrer l'OTAN, et qu'après-demain, les États-Unis pourront y déployer leur bouclier anti-missiles... Personne ne veut nous parler à ce propos, on se contente de nous dire : « Ce n'est pas contre vous, ça ne vous concerne pas ». Comprenez-nous bien, nous sommes fatigués de cette forme de discussion - de cette absence de discussion.

Les habitants du Sud-Est de l'Ukraine ainsi que ceux de la Crimée ont été effrayés par ce scénario. Et les Criméens ont choisi d'organiser un référendum sur le rattachement éventuel de leur péninsule à la Russie. Qu'avons-nous fait ? Nous avons juste garanti aux citoyens de Crimée la possibilité d'exprimer librement leur volonté. Et je vous garantis que si nous ne l'avions pas fait, la Crimée aurait souffert plus encore qu'Odessa, où des gens ont été brûlés vifs.