Image
© Inconnu
Pour la première fois depuis que l'événement est annoncé et chronologiquement fixé, le "Oui" a dépassé" le "Non" dans les sondages pour le référendum sur l'indépendance de l'Ecosse qui aura lieu le 18 septembre. C'est un branle-bas de combat dans les couloirs des institutions européennes, où l'affaire laissait jusqu'alors indifférent. Il est assez intéressant quoique pas vraiment inattendu, que l'un des arguments les plus considérés en profondeur, et dans tous les cas un argument structurant, même si pas toujours énoncé, du débat, est celui de la souveraineté ; il s'agit de la souveraineté qui serait réduite, sinon déniée aux Écossais, dans le cadre du Royaume-Uni mais surtout dans le contexte du système général régnant en Europe et dont l'UE institutionnelle (Bruxelles) est manifestement à la fois le centre de commandement et l'inspiratrice. Il s'agit par conséquent d'un débat qui concerne à peu près tous les pays de l'UE, comme il concerne bien entendu l'Écosse... Un point qui est certes du détail mais a valeur symbolique pour illustrer notre propos se trouve dans les revues de presse internes aux institutions, où apparaissent effectivement des citations et des interprétations de journalistes de pays-membres mettant en évidence cette question de la souveraineté confisquée.

... Ainsi peut-on lire ce 9 septembre 2014 : « Dans un commentaire dans Der Tagesspiegel, Fabian Leber note que l'UE a rendu ce développement [le référendum sur l'indépendance en Écosse] possible en premier lieu "à cause de l'accent mis sur la centralisation" et ses tendances supranationales constamment en augmentation et en développement.[...] [le commentateur portugais]Nuno Ramos de Almeida écrit que le nationalisme écossais exprime une insatisfaction grandissante à l'encontre d'un modèle politique qui confisque la souveraineté [des pays-membres]. Il ajoute que les élections qui sont régulièrement tenues tant aux niveaux national que dans le cadre de l'Union Européenne ne sont rien d'autre que des simulacres dissimulant que les décisions réelles sont prises d'une façon indépendante de la volonté des citoyens...»

De ce point de vue de l'appréciation, explique une source européenne de bonne compagnie, le problème de la possible indépendance de l'Écosse qui est apparu brusquement dans la perception des affaires courantes dans les institutions européennes à l'occasion des premiers sondages indiquant très récemment une possible victoire du "oui" à l'indépendance s'est justement et précisément exprimé par rapport à cette question de la souveraineté (souveraineté nationale versus pouvoirs de l'UE). (Jusqu'alors, jusqu'à ces premiers sondages favorables au "oui", le problème du référendum de l'Écosse était complètement et superbement ignoré dans l'opinion courante dans les institutions.) On peut alors faire l'hypothèse que la perception que cette affaire écossaise est effectivement très liée à la question de la souveraineté nationale devrait entraîner la réalisation d'une certaine façon de la responsabilité des institutions européennes engagées. « Est-ce le cas ? interroge la source européenne citée. Est-ce qu'en général tous ces milieux sont inquiets de cette responsabilité, des effets de leur politique, etc. ? Il semble bien que pas du tout... On constate, ou plutôt l'on découvre simplement l'évolution de l'Écosse, on admet qu'il s'agit d'une question de confiscation de souveraineté nationale, et l'on se dit "et alors ?", ou bien plus encore, on tend à se dire que cette situation de confiscation de la souveraineté nationale n'est nullement ni un problème, ni un abus dommageable des institutions... » En quelque sorte, cela revient à dire "C'est bien mieux ainsi", sans souci des objections concernant le traitement fait ainsi aux normes de fonctionnement de la démocratie, voire à la légitimité populaire.

Dans le même ordre d'idée mais sur un autre front, les échos venus de la nouvelle Commission Européenne, c'est-à-dire de Jean-Claude Juncker qui remplace Barroso à sa présidence, sont impressionnants. Juncker, qui pourrait regrouper autour de lui jusqu'à six vice-présidents qui sont tous d'anciens hommes politiques de gouvernement, entend imposer une main de fer dans sa direction et dans la politique communautaire, véritable intégration supranationale, imposée aux pays-membres. D'ores et déjà, on en fait le président de la Commission le plus puissant et le plus ambitieux depuis Delors ; mais lui, Juncker, il a son ambition à lui, qui est une volonté offensive de concentrer des pouvoirs exorbitants avec comme conséquence explicite et spécifiquement recherchée de réduire d'autant les pouvoirs des pays-membres et leurs souveraineté. Son but est sans aucun doute de constituer un véritable pouvoir supranational, sans aucune dissimulation ni faux-semblant, - une formule du type à finalité de "gouvernance mondiale", ou "Nouvel Ordre Mondial" comme on le désigne dans les polémiques de type complotiste et assimilées.

Cette situation ne doit nullement nous gêner, disons de notre point de vue antiSystème qui est évidemment antagoniste de ces tendance, - et nous ajouterions même, "bien au contraire", - il ne nous gêne nullement, au contraire. Il est bon que les véritables enjeux soient exposés pour ce qu'ils sont, et qu'on réalise qu'en se proclamant "européen" selon les réalités présentes comme il est fait dans toutes les élites-Système nationales et leurs relais de communication, notamment la presse-Système, on s'affirme en vérité globaliste, par conséquent complètement hyperlibéral et prédateur des principes structurants, et donc complètement partie prenante du Système. C'est ce que nous envisagions le 28 juin 2014, en commentant la nomination (la soi-disant "élection") du même Juncker..

« - ...Les "souverainistes" de certains États-membres doivent-ils marquer ce jour d'une pierre noire en parlant d'une souveraineté nationale encore diminuée ? C'est à voir même si la souffrance est fondée parce que, selon nous, les gouvernements nationaux en leur état présent, avec le personnel inculte et psychologiquement exsangue dont ils disposent, ne servent qu'à donner un alibi d'apparence de souveraineté puisqu'ils usent des restes de cette souveraineté pour en trahir le principe, pour donner leur soutien à la mentalité européenne. Eh bien, certes ! Que ces gouvernements soient encore plus privés de souveraineté, et l'on aura au moins une vérité de situation, - à savoir que la souveraineté n'existe plus nulle part, que les institutions européennes n'auront plus de relais nationaux pour appliquer leurs directives, qu'elles seront placées devant leurs responsabilités, avec la possibilité d'insurrections nationales relayées par les succès des partis antiSystème... C'est à ce point que l'on comprend la logique du MEP du parti UKIP David Coburn («In some ways he's perfect for UKIP because he'll bring the whole EU project crashing down...»)
« - La désignation "élective" de Juncker ouvre donc bien des perspectives, dans la mesure où elle pourrait être le pas de clerc de la poussée globalisante, s'exprimant en Europe sous le visage du fédéralisme à outrance. Comme Juncker est un dur, on peut compter sur lui pour contribuer à pousser l'expérience jusqu'à son terme, c'est-à-dire contribuer éventuellement à conduire directement l'Europe à sa Guerre de Sécession avant même que leur ambition des "États-Unis d'Europe" soit rencontrée.»

On peut alors en revenir à l'Écosse, en observant combien un résultat positif au référendum sur l'indépendance constituerait un sujet de confrontation de plein fouet entre une Europe institutionnelle qui s'affirme plus que jamais comme anti-souverainiste, et comme adversaire à visage découvert du principe de la souveraineté nationale, et la réaction souverainiste qui ne cesse de se percevoir de plus en plus comme telle (voir le 28 août 2014). Que les Écossais le veuillent ou non, que l'orientation des débats du référendum en témoigne ou pas, que les politiciens s'emploient ou ne s'emploient pas à apaiser cette sorte de débat importe peu. Symboliquement, c'est-à-dire pour l'essentiel lorsqu'il s'agit des relations des institutions européennes avec l'extérieur d'elles-mêmes qui s'expriment le mieux sous la forme du symbole, une victoire aujourd'hui concevable du "Oui" au référendum constituerait un événement considérable installant au premier plan le problème de la souveraineté nationale. Ce serait un événement considérable car nombre de pays européens, certainement depuis 1945 et l'installation de l'influence américaniste puis du supranationalisme de Bruxelles, n'ont jamais débattu sur cette question.

D'autre part, les possibilités concrètes d'effets et d'influence sont très nombreux, si l'on prend l'hypothèse d'une victoire du "oui" au référendum renforcée d'un débat sur la souveraineté nationale... On connaît le cas espagnol, avec la Catagnole (voir «La Catagnole a soif d'indépendance», le 10 septembre 2014, dans Sud-Ouest), le cas italien (la "Ligne du Nord"), le cas belge (archétype de la construction anti-principielle), etc. On peut même avancer que, dans la crise ukrainienne, - puisque l'UE a cru bon de s'occuper directement de l'Ukraine comme si ce pays était déjà sous son influence et donc sous se dépendance, - la position des séparatistes et indépendantistes du Donbass serait renforcée face au bloc BAO/UE qui retrouve une soudaine fermeté principielle de défense du principe de souveraineté pour dénoncer cette rébellion en l'assimilant avec Kiev à du "terrorisme" au nom de l'intégrité de la souveraineté nationale.

Ces diverses occurrences concrètes sont le troisième élément qui, à côté de l'émergence de la question de la souveraineté nationale avec l'affaire écossaise et l'affirmation insolente et sans aucune retenue de prédation de toute souveraineté qu'affirme l'UE avec l'arrivée d'un Juncker, constituent la possibilité de la mise en place d'un débat explosif, - dans le sens de l'image comme dans celui de la réalité véridique. Avec l'un ou l'autre coup de pouce du destin (dont un "oui" écossais, secouant jusqu'en ses tréfonds l'histoire de l'Europe en attaquant dans le vif l'intégrité qu'on croirait presque éternelle de ce Royaume-Uni qui joua et joue un rôle si grand, et plus qu'à son tour si douteux et suspect, dans cette histoire), on trouve rassemblées toutes les conditions d'un excellent conflit, que ce soit politique et de communication, ou même plus "réel" ... Entendons-nous sur le sens du qualificatif "excellent", - utilisé ici parce que, comme c'est si rarement le cas, il se déroulera en mettant à découvert ses véritables enjeux, - «[contribuant] éventuellement à conduire directement l'Europe à sa Guerre de Sécession avant même que [son] ambition des "États-Unis d'Europe" soit rencontrée.»