Traduit par Pascale Geniès pour Réseau International

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La Bérézina sous les pinceaux de J. Suchodolski, 1866
Napoléon en a fait l'expérience en 1812, Hitler en 1941. L'oligarchie de l'Union Européenne apprendra-t-elle la même leçon en 2014 ? Une leçon qui consiste à comprendre que les entreprises belliqueuses envers l'ours russe se paient d'un prix considérable, surtout quand les belligérants agissent avec ce qui ressemble à de l'aveuglement et sans une once de saine réflexion.

La semaine dernière, les leaders européens à Bruxelles ont fait le choix de ne pas lever les sanctions commerciales imposées à la Russie. Ces sanctions avaient été appliquées après que le référendum en Crimée de mars 2014 ait conduit à la réunification de la péninsule méridionale de l'Ukraine avec la Russie.

Comme Washington, Bruxelles a accusé la Russie d'avoir agressé l'Ukraine et annexé la Crimée, ignorant soigneusement le fait que le peuple de ce pays s'était prononcé à une énorme majorité en faveur de l'entrée dans la Fédération russe, et ce en protestation contre le coup d'état illégal qui, avec l'aide de l'Union Européenne et de Washington, avait porté au pouvoir à Kiev, le mois précédent, la junte fasciste.

La semaine dernière, l'élite bureaucratique bruxelloise a justifié sa décision de maintenir les sanctions par le fait que la Russie ne se montrait pas assez diligente dans les négociations pour parvenir à un cessez-le-feu à l'est de l'Ukraine. Un peu plus tôt cette même semaine, la chancelière allemande Angela Merkel avait dit qu'il était « impossible de lever les sanctions » en raison des combats sporadiques continuels entre les forces militaires de Kiev et les milices ethniques russes.

Bruxelles et Washington, ainsi que leur alliance militaire OTAN, accusent la Russie d'intervenir en Ukraine orientale en livrant sous le manteau des armes et des soldats. Le commandement de l'OTAN affirme qu'il détient des preuves irréfutables que des milliers de militaires russes se sont infiltrés en Ukraine et qu'ils aident les rebelles des républiques auto-proclamées de Donetsk et Luhansk dans leur combat contre les forces de Kiev.

Moscou a nié à plusieurs reprises avoir livré des munitions et envoyé des troupes en Ukraine. Malgré les demandes répétées de se voir soumettre les « preuves irréfutables », aucun fait avéré n'a été présenté par l'OTAN.

Une fois encore, c'est sur la base des préjugés les plus minces et les plus négatifs, que l'UE juge que le conflit et le chaos ukrainien sont forcément causés par l'action malfaisante de la Russie. Selon Bruxelles, il ne peut y avoir aucune autre explication. Et donc, comme pour le référendum de Crimée, il n'est pas possible, du point de vue de l'UE, que les habitants de Donetsk et Luhansk aient pu vouloir s'opposer au coup d'état illégal du régime de Kiev. Ils ont forcément été victimes des manipulations machiavéliques de Moscou

Pourtant, le récent cessez-le-feu à l'est de l'Ukraine est dû en grande partie à l'intervention personnelle de Vladimir Poutine et à sa proposition, le 5 septembre, au Groupe de contact de Minsk, d'un plan de paix en 7 points ; et ceci va à l'encontre de ces conclusions fantaisistes.

Depuis que le régime de Kiev a lancé en avril son « opération anti-terreur » contre la population dissidente de l'est de l'Ukraine, plus de 3.200 personnes ont perdu la vie. Ce coup de force a reçu le soutien tacite de Washington et de Bruxelles.

Si le cessez-le-feu proposé reste fragile, ce n'est pas à cause de l'intervention secrète de la Russie, ni aux violations des milices anti-Kiev de Donetsk ou Luhansk. Le cessez-le-feu est sous la menace d'une offensive militaire toujours à l'œuvre, celle des forces de Kiev et de ses alliés occidentaux.

Depuis le 5 septembre, et malgré l'accord établi le 20 par le Groupe de Minsk stipulant le respect d'une « zone tampon » de 30 km, la ville de Donetsk a été constamment soumise à des tirs d'obus. La zone tampon était destinée à maintenir l'artillerie loin du front. Pourtant, Donetsk a souffert d'innombrables tirs de barrage en provenance des forces de Kiev qui assiègent la ville.

Parmi ces tirs en violation de l'accord, on peut citer les attaques sur une école et un arrêt de bus en centre ville qui ont fait 11 victimes. Lors d'une autre offensive, un employé humanitaire a été tué par un obus tiré sur les bureaux du Comité International de la Croix-Rouge. Le même jour, jeudi dernier, un immeuble a été touché par un tir d'artillerie à l'est de la ville.

Un peu avant, le 28 septembre, c'est le quartier Kuibyshevsky qui a été la cible de tirs. Et le 24 septembre, le bombardement d'un autre immeuble a fait 2 morts. La dépêche de l'Associated Press rapporte avec une certaine ambigüité que l'attaque a été causée par des résidents pris « dans des tirs croisés ».

La vérité brute et incontournable, c'est que le régime de Kiev et ses alliés occidentaux n'ont pas le droit de prendre pour cible des zones civiles, et tout particulièrement pendant un cessez-le-feu qui définit une zone tampon de 30 km. La reconquête de l'aéroport de Donetsk par les milices d'autodéfense le week-end dernier, devrait mettre un terme aux tirs d'obus sur la ville car ils proviennent pour la plupart, depuis le mois dernier, de cet endroit.

Le président du régime de Kiev, Petro Poroshenko a déclaré que les forces qu'il est censé contrôler, respectent le cessez-le-feu, alors que les faits le contredisent. Déclaration faite alors que son premier ministre, Arseniy Yatsenyuk effectuait la revue des nouvelles troupes assignées à l'est de l'Ukraine pour de futures opérations militaires. On rapporte que ces soldats étaient équipés de nouveaux blindés de transport de troupes et de vêtements d'hiver lorsque Yatsenyuk est venu les saluer sur une base de Kiev.

Et pourtant, malgré ce qui vient d'être énoncé, l'UE pense de manière irrationnelle que la Russie doit être punie pour ses entorses au cessez-le-feu.

Vladimir Poutine a déclaré que les sanctions de l'UE étaient "d'une inconscience totale". Devant un parterre d'hommes d'affaires russes à Moscou, Poutine a dit : «
C'est une inconscience totale de la part de ces gouvernements qui handicapent leur secteur économique, l'empêchent de fonctionner, réduisent sa compétitivité et offrent ainsi pour leurs concurrents des niches de développement sur un marché aussi prometteur que le marché russe ».
D'une inconscience totale, à n'en pas douter. Les sanctions européennes ont été contrées par des sanctions russes qui bannissent à leur tour un grand nombre de produits agricoles. Bruxelles doit déjà trouver des centaines de millions de dollars pour compenser les pertes des producteurs de fruits et légumes, de viande et de lait qui ne peuvent plus exporter leurs produits sur le marché russe, marché évalué à presque 16 milliards de dollars en 2013.

Le déficit déjà critique du budget européen va flamber pendant l'hiver alors que les récoltes vont pourrir dans les champs et que 10 millions de producteurs seront laissés pour compte et sans revenu. Les fermiers français ont déjà déchargé dans les rues leurs cargaisons de produits devenus inutiles et mis le feu à un bâtiment administratif en Bretagne pour protester contre des sanctions russes qui menacent leur survie.

Des rapports mentionnent que la Russie cherche à s'approvisionner en denrées agricoles sur les marchés alternatifs de l'Amérique du sud et de l'Asie. Comme Poutine l'a déclaré, c'est la bureaucratie de l'UE qui sera perdante, surtout quand ses fermiers prendront la pleine mesure, au cœur d'un hiver froid, de la stupidité de sa décision.

Et puis il y a le sujet capital de l'approvisionnement en gaz naturel. Le commissaire à l'énergie Guenther Oettinger a déclaré avec une naïveté grossière que la Russie ne devrait pas « politiser l'approvisionnement énergétique ». Alors, soyons clairs, Herr Oettinger : il serait parfaitement acceptable pour l'UE d'asséner à la Russie des sanctions financières et industrielles injustifiées, mais de votre point de vue, inacceptable pour la Russie de couper l'approvisionnement en gaz de l'Europe ?

Rendons justice aux Russes ; ils n'ont pas utilisé cette menace car des millions de foyers européens ne pourraient plus faire la cuisine ou se chauffer sans le gaz russe.

Mais que se passerait-il si on forçait les Russes à prendre une telle mesure ? La semaine dernière, la société à capitaux publics Gazprom a mené une enquête dont la conclusion était que la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie, trois pays membres de l'UE, tentaient de manipuler la politique russe pour obtenir un arrêt de la livraison de gaz à l'Ukraine. Moscou avait dû cesser ses livraisons cet été car le régime de Kiev refusait de payer une note de plus de 5,3 milliards de dollars.

Or il se trouve que si des états européens « piratent » le gaz russe en le revendant à l'Ukraine, cela donne tous les droits à la Russie de couper ses exportations de gaz à destination de certains pays de l'Union. Et comme l'Union Européenne dépend à 50% d'elle pour son combustible, cette crise conduira à la colère populaire et à des mouvements sociaux de grande ampleur.

Le pire, c'est que ce conflit, cette souffrance humaine et ce chaos financier pourraient être évités. C'est bien le leadership européen qui a empoisonné en les politisant, les relations avec la Russie, en raison de préjugés idéologiques et de déplorables manœuvres de désinformation.

Washington et sa cohorte d'idéologues fascistes à Kiev peuvent bien se réjouir de la crise qui s'aggrave, mais qu'en est-il des 500 millions des citoyens européens lambda qui souffriront cet hiver des conséquences de décisions stupides.

Les citoyens européens sont déjà profondément désillusionnés envers Bruxelles et une bureaucratie supra-nationale qui échappe à tout contrôle. Les taux de chômage record et les politiques économiques impitoyablement austères qu'ils lui doivent, alors que s'enrichit toujours plus un microcosme d'oligarques de la finance, font les beaux jours des partis politiques anti-européens et séparatistes, à travers tout le continent.

L'échec lamentable des tentatives de l'Union Européenne pour s'opposer à la Russie par le biais de sujets sans rapport avec le contexte général, prépare le terrain à un hiver de mécontentement et de révolte.

A l'image de ces Svengali de l'ancien empire qui se colletaient avec l'ours russe, l'élite de Bruxelles va fatalement se trouver débordée, et forcée à une retraite catastrophique à l'approche de l'hiver.