Image
© David Marquina Reyes
Le ministère de l'Agriculture des États-Unis (APHIS - USDA) vient de conduire une étude d'impact environnemental suite à la demande, en 2011, de l'entreprise Oxitec, de lâcher dans l'environnement, à titre expérimental, un papillon génétiquement modifié (Plutella xylostella, OX4319), un parasite important des choux, colzas et autres plantes de la famille des Brassicacées. Cette étude est désormais mise en consultation, et quelques ONG (GeneWatch, Center for Food Safety, et d'autres...) dénoncent une étude d'impact globalement incomplète. Après les moustiques transgéniques, les mouches du fruit, voici donc une nouvelle innovation de l'entreprise Oxitec, à l'affiche en ce moment, malgré des évaluations toujours aussi défectueuses et une opacité totale.

Oxitec, une entreprise britannique liée à Syngenta, a développé une technologie brevetée, qui entraîne chez les insectes génétiquement modifiés, une descendance incapables de se reproduire. Il s'agit de la technologie du lâcher d'insectes porteur d'une létalité dominante (RIDL, Release of Insects carrying a Dominant Lethal). Autrement dit, les insectes adultes transmettent un gène de létalité à leur descendance qui ne peut donc pas se développer. Mais, Oxitec a mis au point plusieurs technologies RIDL. La première est déjà connue de nos lecteurs : elle a été autorisée au Brésil dans la lutte contre la dengue, avec des millions de moustiques mâles transgéniques disséminés dans l'état de Bahia [1]. Concernant ce papillon, qui pourrait être lâché prochainement dans l'état de New York, la technologie est sensiblement différente : le transgène introduit chez les mâles engendre une létalité uniquement pour les larves femelles. Et donc les larves mâles issus d'un papillon transgénique et d'une autre souche sauvage, peuvent atteindre l'âge adulte. Argument mis en avant par Oxitec : cette technologie est plus efficace car la seconde génération de mâles transgéniques (les larves mâles qui donc ont pu se développer) peuvent à nouveau s'accoupler avec des femelles sauvages. Ceci devrait donc en théorie réduire le nombre de lâchers nécessaires [2]. Ce papillon possède aussi le transgène DsRed qui code pour la fluorescence. Ceci est censé aider à suivre les populations d'insectes transgéniques...

Une évaluation incomplète

GeneWatch, une ONG particulièrement vigilante sur le dossier des insectes transgéniques, s'est procuré l'étude d'impact environnemental réalisée par l'USDA, et met en exergue « plusieurs préoccupations sérieuses » qui ont été négligées dans cette évaluation. Tout d'abord, l'ONG note que pour fonctionner, la proportion de mâles GM devrait être de 10 pour une femelle sauvage. Une proportion encore plus importante que celle nécessaire pour que le moustique transgénique d'Oxitec puisse espérer combattre la transmission du virus de la dengue.

Un des risques est que ces plantes de la famille des Brassicacées, contaminées par ces larves génétiquement modifiées mortes, soient consommées par de nombreuses espèces, dont les humains, intentionnellement ou non. Or, il n'y a aucune donnée dans le dossier concernant le devenir de ces larves dans la chaîne alimentaire. En revanche, il existe des études qui montrent que la protéine exprimée par ce papillon GM peut avoir des effets nocifs sur les souris [3], notamment au niveau neurologique.

Un autre risque, non spécifique à ce papillon, est le fait que la disparition, complète ou partielle, de ce parasite laissera la place à d'autres. Le même raisonnement avait été mis en exergue dans le cas du moustique : si Aedes aegypti disparaissait réellement, ne serait-ce pas l'occasion pour le moustique tigre (Aedes albopictus) d'occuper des niches écologiques qui, jusque là, ne lui convenaient pas ?

Un troisième risque, lui aussi déjà mis en avant dans le cadre du moustique transgénique, est lié à l'utilisation d'un antibiotique utilisé pour élever les papillons GM en laboratoire. En effet Oxitec utilise la tétracycline pour annihiler, en laboratoire, la technologie RIDL. Ceci, estime GeneWatch, pourrait encore augmenter la résistance aux antibiotiques via les bactéries intestinales, alors que ce phénomène prend des proportions tout à fait inquiétantes au niveau mondial. L'OMS soulignait cette année, dans un nouveau rapport [4] que « cette grave menace n'est plus une prévision, mais bien une réalité dans chaque région du monde, et que tout un chacun, quels que soient son âge et son pays, peut être touché ». L'USDA et les autres agences d'évaluation devraient donc réellement se pencher sur cet aspect. Mais cela rend aussi potentiellement inopérant ces papillons : comme pour les moustiques d'Oxitec, si ce papillon rencontre cet antibiotique dans l'environnement, il peut « perdre » sa létalité et donc engendrer une descendance transgénique active. Ainsi, plusieurs ONG étasuniennes demandent que soient conduites des études et un protocole strict pour que soient détruites les cultures contaminées avec les larves de ce papillon GM afin d'éviter la contamination de la chaîne alimentaire.

Et bien entendu, ces mâles transgéniques, nous précise Oxitec, seront aussi vigoureux que les papillons sauvages... ce qui n'était pas le cas, on l'apprend à cette occasion, avec les insectes rendus stériles par irradiation. Ce qui est intéressant, c'est qu'à chaque nouvelle étape technologique, le concepteur, pour mieux « vendre » sa trouvaille, se voit dans l'obligation de dénoncer la technologie précédente. En l'occurrence, ici l'irradiation.

En conclusion GeneWatch souligne qu'il n'existe aucun cadre réglementaire spécifique concernant les lâchers d'insectes génétiquement modifiés. Et que les insectes posent de gros problèmes de dispersion... Les insectes GM sont censés mourir avec les premiers gels hivernaux, mais il est évident que certains trouveront refuge dans des milieux plus cléments où ils survivront (intérieurs, zones tempérées après transport dans des camions...).

L'humanitaire cacherait-il le phytosanitaire ?

Avec ce papillon transgénique, cependant, nous changeons de logique : il ne s'agit plus, comme avec le moustique GM, d'aider les pays pauvres à lutter contre la dengue, mais de lutter contre des parasites des cultures industrielles. C'est comme si les entreprises de biotech avait développé un riz doré (à objectif « humanitaire ») avant le soja Roundup Ready (à objectif de production commerciale)... La stratégie de communication de l'entreprise semble avoir bénéficié des quinze dernières années de polémiques...

Avec des dégâts occasionnés par ce papillon estimés à quatre ou cinq milliards de dollars, les agriculteurs pourront croire à un nouveau miracle technologique... Et être prêts à payer pour tenter de survivre. Le marché semble plus juteux que celui des malades de la dengue... D'autant plus que ce petit papillon est le premier parasite à avoir développé une résistance à quatre protéines Bt, produite par des plantes transgéniques (PGM), d'après une étude du Professeur Tabaschnik [5]. Oxitec ne pouvait pas vraiment l'ignorer, notamment du fait de son alliance avec Syngenta qui a développé de telles plantes transgéniques Bt. L'insecte GM viendra-t-il pallier les faiblesses des PGM ?

Notes :

[1] Inf'OGM, « BRESIL - Le moustique OGM autorisé et bientôt commercialisé, malgré une évaluation laxiste », Christophe NOISETTE, 14 avril 2014

[2] Oxitec a aussi mis au point un « female specific RIDL » moustique, mais il n'a jamais été expérimenté. Pour Helen Wallace, de GeneWatch, interrogée par Inf'OGM, « il n'est pas évident de savoir si c'est pour des raisons techniques ou si c'est que l'entreprise estime que c'est plus controversé, du fait que des mâles transgéniques peuvent survivre pour plusieurs générations ». Ainsi, ce moustique GM se rapproche d'une stratégie dite de bioconfinement, comme l'est le gène Terminator. Or le lobby des biotechnologies tente d'obtenir que les OGM stériles n'aient plus besoin d'évaluation environnementale car ils ne se reproduisent pas.

[3] Han HJ, Allen CC, Buchovecky CM, et al. (2012) Strain background influences neurotoxicity and behavioral abnormalities in mice expressing the tetracycline transactivator. J Neurosci. 32(31):10574 - 10586
Sisson TH, Hansen JM, Shah M, Hanson KE, Du M, Ling T et al. (2006) Expression of the Reverse Tetracycline- Transactivator Gene Causes Emphysema-Like Changes in Mice. American Journal of Respiratory Cell and Molecular Biology, 34(5), 552 - 560

[4] http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2014/amr-report/fr/

[5] http://www.pnas.org/content/94/5/1640.full.pdf