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© MARY EVANS/SIPA/MARY EVANS/SIPALe dernier loup de Tasmanie connu est décédé le 7septembre 1936 au zoo de Hobart en Tasmanie.
Fragile, le paradis n'est pas encore tout à fait perdu. Dans ses paysages sauvages à couper le souffle, l'Australie cache une biodiversité sans pareille, avec des espèces n'existant nulle part ailleurs sur le globe. Mais qui n'en sont que plus vulnérables aux menaces.

Dans une étude publiée dans les PNAS (Comptes rendus de l'Académie américaine des sciences), trois chercheurs australiens dressent un constat glaçant: 226 ans après l'arrivée des Européens, l'île-continent a déjà perdu 11 % (soit une trentaine) de ses 273 espèces de mammifères terrestres endémiques, 21 % sont « en danger » et 15 % « quasiment menacées », selon la classification de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « L'étendue du problème a été largement sous-estimée jusqu'ici car la plupart des pertes concernent de petits animaux nocturnes et timides », précisent les trois auteurs australiens, John Woinarski, Andrew Burbidge et Peter Harrison.

Une extinction d'autant plus dommageable, soulignent les chercheurs, que beaucoup des espèces concernées sont les seules représentantes de leur famille dans la classification phylogénétique. Ainsi, le loup ou tigre de Tasmanie (à ne pas confondre avec le diable du même nom) était l'ultime survivant de la famille des Thylacinidae, marsupiaux carnivores préhistoriques ; l'étrange ornithorynque, seul mammifère qui pond des œufs, est, lui, le dernier des Ornithorhynchidae.

Aucune espèce n'est inutile

Certains jugeront que la Terre peut bien tourner sans loup de Tasmanie ni ornithorynque. Mais outre que l'homme se nourrit de viande, s'habille de peau et fait travailler certaines bêtes, toutes les espèces jouent un rôle important même si elles ne constituent pas une ressource directe ou souffrent d'une réputation peu «glamour». Ainsi des innombrables bestioles qui rendent la terre riche à force de la fourrager sans relâche, des requins qui se régalent de méduses, ou des insectes pollinisateurs, infatigables «cupidons» biologiques.

Quant au rythme auquel succombent les mammifères australiens, il n'a rien de naturel, insistent les chercheurs qui évoquent une à deux extinctions par décennies. Des documents historiques montrent que certaines espèces aujourd'hui rares ou disparues étaient encore très abondantes à l'arrivée des Européens, et la biodiversité aurait été «dévorée» à mesure de l'avancée des colons sur le continent. Les auteurs racontent aussi comment des aborigènes, parmi les plus âgés, savent imiter le cri d'animaux pivots de leur culture, rencontrés autrefois mais qui ne peuplent plus que les muséums d'histoire naturelle.

Chat et renard, premiers coupables

Maladies, perte ou fragmentation d'habitat, incendies, déforestation, trafic routier, sécheresses et canicules, pollution... Listées par les chercheurs, les menaces ne manquent pas. Mais les deux principales se distinguent par un appétit vorace: le chat domestique, venu avec les colons, puis le renard roux, introduit plus tardivement pour réguler les populations de lapins eux-mêmes importés. Ces deux espèces invasives apprécient toutes deux les proies endémiques australiennes, qui résistent nettement mieux dans les îles où chats et renards sont absents.

Au chapitre des menaces surviennent ensuite les méthodes agricoles, notamment une gestion inappropriée des brûlis. Le pastoralisme n'est pas en reste, avec l'introduction de nouveaux herbivores. Dans les années 1960, les éleveurs australiens ont même dû importer des bousiers pour recycler les déjections des vaches, qui menaçaient d'étouffer la prairie. Les coprophages locaux trouvant plus à leur goût la crotte de kangourou.