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Le paléonanthropologue éthiopien Chalachew Seyoum tient dans ses mains un fragment de mâchoire inférieure d'un hominine qu'il vient juste de découvrir sur le terrain en 2013. Son étude a révélé qu'il s'agissait d'un reste fossilisé du plus ancien individu faisant partie du genre Homo. © Kaye Reed, Science
Il est difficile de dater certains événements importants sur l'arbre phylogénétique de la vie car les données de la paléontologie viennent souvent le chambouler. Ainsi, la découverte récente d'un fossile d'hominine en Éthiopie a conduit les chercheurs à vieillir d'au moins 400.000 ans la date de l'apparition du genre Homo.

Vers la fin de l'année 1974, une équipe d'une trentaine de chercheurs éthiopiens, américains et français codirigée par Donald Johanson (paléoanthropologie), Maurice Taieb (géologie) et Yves Coppens (paléontologie) conduisait des fouilles près d'Hadar en Éthiopie lorsque certains d'entre eux sont tombés sur des restes fossilisés affleurant d'une formation géologique au bord de la rivière Awash. Ce cours d'eau désormais mondialement célèbre prend sa source dans les plateaux d'Éthiopie, coule vers le nord dans la vallée du grand rift et la dépression de l'Afar et se jette dans le lac Abbe, proche de Djibouti.

Qu'avaient donc découvert les chercheurs ? Rien de moins que les fragments du squelette d'une Australopithecus afarensis : Lucy. Cet hominine vivait il y a environ 3,2 millions d'année. Jusqu'à présent, on pensait que le genre Homo n'avait émergé qu'un peu moins d'un million d'années plus tard avec Homo habilis, dont la descendance directe depuis Australopithecus afarensis n'était pas établie. Mais voilà qu'une équipe internationale d'anthropologues et de spécialistes en géosciences, menée par des membres de l'Institute of Human Origins fondé par Donald Johanson à l'université d'État de l'Arizona (États-Unis), vient de sortir deux publications retentissantes dans le journal Science.

Un chaînon manquant entre Australopithecus et Homo ?

Les paléoanthropologues de l'Arizona State University (ASU) explorent la région de Ledi-Geraru, proche d'Hadar, depuis 2002. L'un des buts des expéditions qu'ils y ont menées était de trouver des fossiles d'hominines correspondant à une période mal connue, entre 3 et 2,3 millions d'années avant le présent. On dispose en effet de très peu d'information sur l'évolution qui a alors conduit du genre Australopithecus (qui contient plusieurs espèces et pas seulement celle dont faisait partie Lucy) au genre Homo. On peut donc imaginer l'excitation qui a envahi en janvier 2013 l'Éthiopien Chalachew Seyoum lorsqu'il est tombé, comme il le raconte dans la vidéo ci-dessus, sur un fragment de mâchoire inférieure fossilisée portant des dents. Le doctorant en paléoanthropologie a immédiatement compris qu'il tenait dans ses mains un fossile d'hominine.

Catalogué sous le code LD 350-1, il a pu être daté parce qu'il se trouvait entre deux couches de sédiments contenant des cendre volcaniques. La méthode radiométrique basée sur les isotopes argon 40/argon 39, complétée par d'autres méthodes de datation, a permis d'établir que l'hominine dont provenait ce fragment de mâchoire était âgé de 2,75 à 2,8 millions d'années.

La véritable surprise est venue quand le directeur de l'Institute of Human Origins, William H. Kimbel, a examiné de plus près LD 350-1 avec ses collègues parmi lesquels Brian Villmoare, de l'université du Nevada (Las Vegas, États-Unis). La présence de molaires minces, de prémolaires symétriques et d'une mâchoire uniformément proportionnée est un signe distinctif du genre Homo que l'on retrouve notamment chez Homo habilis il y a 2 millions d'années. La pente du menton que trahit le fragment de mâchoire est cependant une caractéristique simiesque primitive que l'on observe chez Australopithecus. La conclusion de Kimbel est sans appel : « C'est un excellent exemple d'un fossile de transition à une période critique de l'évolution humaine ».

L'apparition d'une conséquence du changement climatique ?

Mais il y a mieux, LD 350-1 permet de repousser d'au moins 400.000 ans la naissance du genre Homo car les plus anciens fragments fossilisés connus jusqu'alors ne remontaient qu'à 2,3 millions d'années environ. Certes, il reste encore beaucoup de travail à faire pour se faire une idée bien plus complète de cette espèce et pour répondre à des questions basiques : Que mangeait-elle ? Utilisait-elle des outils de pierre ? Les recherches vont se poursuivre.

D'autres fossiles dans la région de Ledi-Geraru ont aussi été retrouvés et datés. Ils permettent de se faire une idée de l'environnement de l'époque il y a entre 2,84 et 2,58 millions d'années. Alors qu'autour de Hadar vivaient il y a 3 millions d'années des singes, des éléphants et des girafes plus caractéristiques d'un milieu où prairies et forêts alternent, 200.000 ans plus tard on trouve autour de Ledi-Geraru une faune et une flore signalant une période plus aride. Elle fait penser au Serengeti actuel avec des gazelles et des zèbres, ou encore au Kalahari. De nouvelles et nombreuses espèces de mammifères ont aussi émergé rapidement. Cette période d'intense spéciation apparente a peut-être été causée par le changement climatique touchant l'Afrique de l'est à cette époque, mais il est difficile de dire s'il a vraiment joué un rôle dans l'apparition d'Homo.